Propagande et hyperbellicisme, amis pour la vie

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Propagande et hyperbellicisme, amis pour la vie

18 octobre 2023 (18H40) – Monsieur Andrea Zhok (déjà vu) est philosophe et universitaire italien, professeur d'anthropologie philosophique et de philosophie morale à l'université de Milan. Malgré ces titres considérables, il rend ainsi un texte extrêmement court, concret, simple et direct, sans prétention ni obscurité avantageuse, sur le passage de la passion des imbéciles, en aller-simple pour l’instant de l’Ukraine à Israël. Bien que ces deux crises méritent bien plus que des imbéciles, elles attirent les imbéciles comme le miel les mouches, avec leurs instruments favoris, – propagande, mais nous préférons “simulacre”, et hyperbellicisme que nous adoptons sans hésitation. Tout cela nourrit l’imbécillité publique qui est la plus puissante, la plus pesante des caractéristiques de notre temps, qui nous accompagne dans notre périple comme une mouche dont nous serions le miel monté sur coche.

D’abord, Zhok nous confirme en quelques mots ce que je juge comme le phénomène essentiel du passage de témoin de l’Ukraine à Israël du fait de l’imbécillité, – ou de la “bêtise”, si l’on veut...

« En un clin d'œil, toute la rhétorique sur la guerre en Ukraine s'est éteinte et s'est tout de go reportée sur le conflit israélo-palestinien. »  

Au reste, il me faut signaler, avant de poursuivre, qu’un très grave et épouvantable avatar de ce conflit soudainement parmi nous est venu apporter une première, brutale et sanglante inflexion, dont l’effet très large a été la mise à nu de l’hostilité du monde arabe aux USA via Israël, et le ridicule asséné au piètre et pauvre président des Etats-Unis conduit à annuler plusieurs visites à des amis arabes...

Dans des guerres mûrement provoquées et habillées de simulacres pesants, qu’on s’emploie à contenir tandis que les acharnés veulent s’y précipiter en chuchotant “Retenez-moi ou je fais un malheur”, se glisse souvent une de ces terribles pertes de contrôle qui bouleverse tous les plans fiévreusement élaborés. C’est le cas à Gaza, avec l’Hôpital Al Ahli, dans le nord de la ville, – jusqu’à 800 morts peut-être, peut-être moins peut-être plus, et bien entendu femmes et enfants essentiellement, déjà blessés ...

Et voici, – figurez-vous que je me demande bien pourquoi, – que me vient à l’esprit une citation de ‘Croix de cendre’, de Antoine Sénanque. L’auteur rapporte une anecdote dans l’histoire (romancée ? Beaucoup ? A peine ? Je l’ignore) du prestigieux théologien et philosophe du Haut Moyen Âge Maître Eckhart, qui concerne une situation de l’être humain dans son origine la plus vile, dont moi-même ne m’extrais pas une seule seconde, puisque tributaire du sort commun qui nous est dû, – mais cette situation qui, en l’occurrence, va si bien à quelques acteurs du drame :

« Alors qu’Eckhart [arrivé comme novice au couvent d’Erfurt] avait demandé la chapelle pour rendre grâce, le frère lui avait fait visiter les latrines parce qu’il devait, avant tout, apprendre que

» “l’homme était né entre les excréments et l’urine”. »

Pour dissimuler cette réalité bien dérangeante, Sapiens-Sapiens (homme-femme) a donc inventé le simulacre. Zhok le nomme « déploiement propagandiste et ultrabelliciste » (mais je préfère “hyperbelliciste” par reconnaissance pour les missiles du même nom). Notez aussi qu’il nous désigne le fonctionnement, ou “mécanisme” de la chose, de l’expression de « mécanisme de sélection habituel » où vous pourriez fort bien remplacer “habituel” par “naturel” pour montrer qu’il s’agit de la découverte d’une branche nouvelle du darwinisme permise par la toute-puissance de la communication et effectivement concentrée sur cet aspect de la puissance des choses du cosmos. Je pense en effet que la communication doit être désormais conçue, après l’expérience extravagante et grandguignolesque de l’Ukraine et ce qui suit, comme une dimension essentielle de la composition du cosmos, et de notre monde par conséquent... Pour l’instant et restant sur le plancher des vaches, cela donne :

« Les mécanismes de sélection [naturelle], avec le schéma gauche-droite, sont depuis longtemps une forme de pathologie politique et sociale.

» Ils sont le succédané de la capacité de réflexion. Ils permettent d'avoir une opinion sans se donner la peine de réfléchir. »

La suite du texte de Zhok est l’exposé des conséquences de ce transfert infâme, de simulacre en simulacre, selon une dynamique qui pourrait être nommée “deuxième loi de l’infodynamique”, comme succédané de la “deuxième loi de la thermodynamique”.

Note de PhG-Bis : « M’est avis qu’on reviendra sous peu sur la chose et les vastes horizons qu’elle nous ouvre. ‘Ukrisis’ suivi de Hamas-Israël vaut bien un tel effort. PhG étant de plus en plus allumé, je vous dis que l’affaire est conclue. »

Ainsi Zhok construit-il une théorie selon laquelle ce flux nouveau, qui constituerait une sorte de nouvelle dimension de la matière constitutive du monde (c’est-à-dire autre chose que la brutale “matière” de la métaphysique ; peut-être faut-il dire “matériel constitutif du monde” en évitant toute dérive vers une idée matérialiste mais en restant neutre à cet égard), alimente somptueusement « l'imbécillité publique, l'exacerbation des conflits, l'incompréhension, la destruction. »

.... C’est-à-dire, pour voir autrement et retrouver un de mes dadas, du pur déconstructurationnisme qui serait devenu, dans tous les cas temporairement, je veux dire pour le Grand’œuvre de l’effondrement, une des forces structurelles de l’univers, – et forces anti-spirituelles pour détruire la fausse spiritualité et ouvrir la voie à la vraie... On verra, comme dirait l’autre, – “Et pourtant, on verra” dirait effectivement Galileo Galilée !

En attendant, ‘zhokons’ la suite...

« Et donc, comme c'est toujours le cas pour la bêtise, [ces mécanismes de simulacre] sont plus nocifs encore que la nébulosité: la seule chose qui est plus nocive socialement et politiquement que la méchanceté, c'est l'abrutissement.

» La réalité et l'histoire sont toujours traversées par des raisons multiples, par des lignes de motivation plurielles.

» Il n'y a que dans les films qu'il y a un bien et un mal absolus. Et reconnaître ce fait ne signifie pas ne pas assumer la responsabilité de jugements même tranchés, mais cela signifie comprendre que, pour chaque position que les humains prennent collectivement, aussi déplorable soit-elle, il y a des raisons, et que ce n'est qu'en évaluant ces raisons que l'on peut tenter de trouver une solution.

» Couvrir les panneaux d'affichage et les journaux de drapeaux, de banderoles et de slogans est le symptôme d'une faiblesse d'analyse et contribue toujours à la non-résolution des problèmes.

» Dans l'histoire, il n'y a pas de bons et de mauvais acteurs.

» Il peut y avoir des luttes pratiques où l'on est forcé de prendre parti dans l'action réelle.

» Mais même dans ce cas, il ne faut pas confondre l'acuité des choix pratiques avec l'encouragement ou la diabolisation du camp adverse.

» D'autant plus que pour ceux qui ne sont pas directement impliqués, pour ceux qui ne sont pas obligés par les circonstances de prendre parti sur un plan pratique, l'encouragement idéologique et la diabolisation d'un camp ou d'un autre constituent un péché mortel, ils contribuent à l'imbécillité publique, à l'exacerbation des conflits, à l'incompréhension, à la destruction. »