Poutine met l’hypersonique hors-dissuasion

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Poutine met l’hypersonique hors-dissuasion

Lors d’une visite au plus grand centre d’essai aérospatial russe, le président Poutine a dit quelques mots d’importance concernant les armes hypersoniques dont il avait dévoilé l’existence dans l’arsenal russe il y a quatorze mois. Poutine a encouragé le développement de capacités de défense contre des armes hypersoniques que d’autres pays ne manqueront pas de développer à la suite de la Russie. Il s’agit d’une posture de dialectique stratégique très intéressante, qui marque le caractère rupturiel de l’époque que nous vivons. C’est la fin de l’“esprit de la dissuasion” de la Guerre froide, qui impliquait que l’on fût au moins à deux pour penser une situation stratégique (à cause du caractère de destruction absolue des armes nucléaires). Désormais, le président russe pense en Russe et rien qu’en Russe, dans cette matière essentielle de la stratégie nucléaire ; il pense en unilatéraliste, exactement comme se comportent les USA, exactement comme les USA lui ont appris à penser.

Voici le texte de RT-français (13 mai 2019) concernant cette visite et ces déclarations de Poutine.

« Pour protéger la Russie des menaces extérieures, Vladimir Poutine a estimé que son pays devait mettre sur pied un système de défense contre les armes hypersoniques avant que ces dernières ne soient développées par d'autres pays.
» “Nous devons nous doter de moyens de protection contre[les armes hypersoniques] avant que [celles-ci] ne soient mises en service par d’[autres] armées”, a déclaré ce 13 mai Vladimir Poutine lors d'une visite dans le plus grand centre d'essais militaires de l'aviation russe, situé dans la région russe d'Astrakhan (Sud de la Russie).
» Le président russe a rappelé que Moscou était à ce jour le seul pays au monde à posséder une arme hypersonique, faisant référence au test réussi du missile hypersonique Avangard  fin 2018. “Mais nous savons aussi parfaitement que les nations les plus importantes du monde développeront de telles armes tôt ou tard”, a-t-il averti
» Soulignant que les forces armées devaient assurer “un contrôle croissant de l’espace aérien” russe, Poutine a souhaité que les capacités de défense de la Russie pour repousser “les menaces potentielles aériennes et spatiales” soient renforcées.
» En mars 2018, lors de son discours annuel devant les représentants des deux chambres du Parlement russe, Vladimir Poutine avait consacré une partie de son allocution au matériel militaire, en particulier hypersonique et sous-marin, développé par la Russie.
» Le chef d’État russe avait insisté sur le caractère défensif du développement de ces nouvelles armes, qu'il avait présenté comme une “réponse” de la Russie à l'activité militaire américaine, dénoncée par Moscou comme “belliqueuse” et “antirusse”. »

Il est évident que les armes hypersoniques développées d’abord par la Russie, et dont le bloc-BAO s’est gaussé (FakeNews, baby) pendant quelques semaines avant d’admettre, – gloups, – qu’il s’agissait bien d’une réalité dans une course où lui-même (le bloc-BAO) n’est quasiment nulle part, – il est évident donc que ces armes sont de la catégorie la plus haute de la stratégie, et bien entendu susceptibles de porter des charges nucléaires. Par conséquent, dans l’esprit de la Guerre froide, dans ce que cet esprit avait de nécessairement coopératif pour éviter l’anéantissement réciproque, elles devraient faire partie de la dialectique de la dissuasion.

(“Dissuasion” à l’ère nucléaire de la Guerre froide, pour “dissuader” l’adversaire potentiel d’utiliser l’arme nucléaire contre soi, parce que les dommages qu’il causerait amènerait des dommages considérables chez lui qui rendraient vide de sens et absurde son attaque.)

La dialectique de la dissuasion dans la Guerre froide (dont la doctrine la plus illustrative fut la doctrine MAD) implique une “coopération” des ennemis potentiels pour que l’arme nucléaire ne soit pas utilisée en raison de la probabilité logique d’anéantissement réciproque qu’implique son usage. D’un point de vue opérationnel, cette espèce de sagesse de la terreur implique que lorsqu’on développe une nouvelle arme stratégique nucléaire, on ne recherche pas à développer parallèlement une défense de protection contre cette arme que le “partenaire” sera sans doute amené à développer pour éviter d’acquérir une supériorité au moins momentanée dans ce domaine, impliquant qu’on envisage effectivement de disposer au moins momentanément d’une capacité utilisable de supériorité qui est contraire à l’esprit coopératif de la dissuasion. C’était l’esprit de l’accord ABM accompagnant l’accord SALT-I du début des années 1970 : on s’accordait un plafond d’armes stratégiques offensives (SALT-I) en même temps qu’on limitait au maximum, jusqu’à un reste symbolique, les défense antimissiles stratégiques (ABM) dont certaines existaient déjà pour éviter qu’un des “adversaires” soit tenté d’utiliser des armes stratégiques nucléaires s’il disposait d’un avantage momentané dans ce domaine. (Effectivement, à la suite de l’accord ABM, URSS et USA détruisirent un certain nombre d’antimissiles stratégiques déjà déployés.) Il s’agissait toujours d’écarter le risque d’anéantissement réciproque.

Poutine fait exactement le contraire : il développe des armes qui lui assure un avantage stratégique majeur, au moins momentanément, et quasiment en même temps, il ordonne de développer un système de défense de ces armes pour protéger les siennes et interdire à l’adversaire tout avantage en ce domaine. Il agit donc complètement en unilatéraliste : “J’ai un avantage, je le déploie et, encore plus, je le protège au maximum”.

Certains soupçonneraient-ils Poutine de vouloir éventuellement en profiter, de cet avantage “au moins momentané”, par ce qu’on nomme une “première frappe stratégique” permise par cet arrangement opérationnel ? Il n’en a cure et on le comprend bien. Car les premiers à avoir brisé l’“esprit de la dissuasion” et montré la voie du désordre barbare de haute technologie, ce sont les USA, en sortant du traité ABM au début du siècle, en développant une structure de “première frappe”, en sortant du traité FNI, en pratiquant la politique de regime change, en développant les groupes terroristes type-Daesh, en instituant une politique de piraterie financière et d’holocauste des populations civiles avec la politique des sanctions, – et ainsi de suite se poursuivant le florilège de l’immonde “dictatrice” du monde.

Après plus de quinze ans de politique démente d’entropisation de la part des USA, les Russes et Poutine ont fini par comprendre que les belles idées de coopération responsable des plus grandes puissances s’étaient dissipées dans la poussière considérable de l’attaque du 11 septembre 2001. Le masque de la “dictatrice” est tombée  et elle apparaît pour ce qu’elle est : une force sans mesure ni limite au service d’un Système dont le but absolument nihiliste est bien l’entropisation du monde. Il n’y a plus de sagesse dans ce monde, il y a une dynamique de surpuissance déchaînée et contre cela on ne peut que chercher à susciter tout ce qui peut favoriser la transmutation vers l’autodestruction. La résilience de Poutine et de la Russie, leur supériorité dans les hypersoniques et leur volonté de les protéger pour garantir cette capacité, constituent une de ces choses inacceptables susceptibles de transformer la surpuissance de la colère nihiliste du Système en une folle colère de l’autodestruction suicidaire.

 

Mis en ligne le 14 mai 2019 à 09H34