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836Le débat aux USA concernant l’Iran, le nucléaire iranien, l’attaque contre l’Iran, semble sans fin, comme la crise elle-même. Il se poursuit donc, à mesure de la crise elle-même, qui a pris un nième tour aigu depuis décembre dernier, mais tout de même avec des éléments nouveaux importants… On envisage ici, à la lumière d’un article, la possibilité que se manifestent des prises de position rompant avec la “ligne” habituelle dans les pays du bloc BAO. (Cette “ligne” est que ces pays, depuis qu’a commencé en 2005 la crise iranienne dans sa phase actuelle, ont toujours favorisé avec ostentation une approche favorable à la négociation dans le plus pur esprit extrémiste et paradoxal qui les caractérise, – en émettant d’une part des exigences radicales et non négociables, d’autre part en développant des sanctions en aggravation continue et qui, aujourd’hui, sont proches d’équivaloir à des actes de guerre. Ainsi entend-on aujourd'hui, l'oreille aux aguets, le concept de “négociation”.)
Nous faisons référence, pour cette “rupture” possible, à un article que signale Jordan Michael Smith dans une chronique de Salon.com, le 15 juin 2012. Il s’agit d’un article de Kenneth Waltz à paraître dans le prochain numéro de la prestigieuse revue Foreign Affairs, revue de l’influent Council of Foreign Relations (CFR). L’argument est, du point de vue de la “ligne” du bloc BAO, complètement exceptionnel et sensationnel puisqu’il propose purement et simplement que l’on laisse l’Iran s’équiper d’une arme nucléaire. (Dans son propre article, Smith fait précéder son analyse de l’article de Waltz de deux autres analyses qui décrivent une prospective catastrophique en cas d’attaque de l’Iran. Les deux introduisent l’article de Waltz, dans l’esprit de Smith.)
«The third outlet advocating a different direction on Iran may be the most important. The forthcoming issue of Foreign Affairs has a cover article by Columbia University’s Kenneth Waltz called “Why Iran Should Get the Bomb.” Published by the Council on Foreign Relations, the most important establishment think tank, Foreign Affairs is the most influential foreign-policy periodical in print. Leading up to the Iraq War, the journal published essays almost exclusively in support of the invasion. Given its reach, Foreign Affairs’ one-sided perspective on Iraq before 2003 must be counted as a significant editorial failure.
»By commissioning a piece by Waltz, however, the journal seems to be trying to avoid making the same mistakes. The journal has already published widely discussed articles on both sides of the Iran issue, giving at least a more balanced view than it did with Iraq. Waltz is among the most influential international relations theorists in the world (tied for second, according to one survey), but he rarely writes for anything but academic journals. His new essay, the feature in the forthcoming issue, argues that the world would be better off if Iran gets the bomb. That argument may seem radical, but it is in keeping with Waltz’s long-standing arguments on the stability of nuclear weapons (arguments echoed by John Mearsheimer, among others).
»Waltz’s case goes like this: It doesn’t matter which type of regime gets nuclear weapons, because it has been proven in all instances that “whoever get nuclear weapons behaves with caution and moderation.” He says that countries from Cultural Revolution-era China to the Soviet Union to Great Britain have become more careful with nuclear weapons, because they feel more secure once they have them. Wars become less likely to occur as more countries gain nuclear weapons, because they have a sufficient deterrent to prospective attackers.
»Iran is no different. The country has good reasons to seek nuclear weapons, with Pakistan, Afghanistan and Iraq on its borders, and consistent threats coming from the U.S. and Israel. “It would be strange if Iran did not strive to get nuclear weapons, and I don’t think we have to worry if they do,” he has said. Deterrence among countries with nuclear weapons has a 100 percent effectiveness rate, so Israel and the United States have nothing to fear from a nuclear Iran — or any other countries, for that matter.
»The new Waltz essay is sure to make a splash, and we should hope it does. Controversial though its larger claims may be, it helps bolster the case that an attack on Iran is both unnecessary and potentially disastrous. That might seem obvious, but to many Americans it isn’t. Together, the three new pieces help make the case persuasively.»
En soi, l’idée n’est ni nouvelle, ni exceptionnelle, ni sensationnelle. Diverses personnalités l’ont déjà exprimée, mais en général en position de franc-tireur, sans aucun espoir de faire apparaître leurs interventions comme institutionnelles et donc comme “structurante” (terme paradoxal pour le cas) à l’intérieur des courants de pensée dans le Système. On se souviendra, par exemple, de l’argumentation dans ce sens du général à la retraite Abizaid, qui fut chef de Central Command jusqu’en 2006. (Voir le 19 septembre 2007 et le 20 septembre 2012.) D’autres idées approchantes ont été exprimées, notamment lorsqu’il a été plaidé que les dirigeants iraniens sont très rationnels et que, de ce fait, s’ils disposaient de l’arme nucléaire ils ne l’utiliseraient certainement pas unilatéralement, placés devant la certitude d’une riposte (nucléaire) qui anéantirait l’Iran. Cet argument réduit la “menace” nucléaire iranienne à une situation complètement relative, et même, dans certains cas, suscite un argument complémentaire en faveur de l’arme nucléaire iranienne par le fait que cette possession rendrait l’Iran encore plus “raisonnable” en le faisant entrer dans la catégorie des pays rendus nécessairement plus prudents selon l’expérience de la perception très forte que toutes les puissances nucléaires ont de la dangerosité apocalyptique de tout conflit pouvant avoir une potentialité nucléaire.
Dès lors, on comprend que les caractères “exceptionnel” et “sensationnel” que nous évoquons sont bien entendu ceux que Smith lui-même propose in fine : développer un tel argument d’un Iran militairement nucléaire comme ce qui serait de facto la solution décisive de la crise, dans une revue du prestige de Foreign Affairs, cela couvert par l’influence considérable du CFR ; que cet article soit placé en tête de couverture du numéro de juillet-août de la revue, voilà qui doit achever d’emporter l’argument de l’aspect sensationnel par le biais de la technique de communication et, par conséquent, du cas exceptionnel. Cela signifie que tout se passe comme si le CFR prenait à son compte l’article de Waltz, donc qu’il faisait officieusement sienne la prise de position de Waltz. Le reste (l’argument de Waltz) est un aspect mineur : il s’agit d’une argumentation classique sur les vertus de la dissuasion réciproque, d’ailleurs complètement acceptable et que rien n’est jamais venu démentir. D’une façon plus générale, c’est bien entendu écarter du processus du jugement l’affectivité en général de type hystérique renforçant l’argument du messianisme, caractérisant notamment quelques individualités de la direction israélienne, notamment la paire Netanyahou-Barak, et les diverses franges idéologisées type neocon qu’on trouve diversement répandu en Israël, et dans divers pays du bloc BAO, – et tout cela, jusqu’ici suivi aveuglément et sans véritable débat par les positions-Système défendues par les pays du bloc BAO. (Avec une certaine subtilité et en un seul mot, Waltz met implicitement et a contrario en question l’équilibre psychologique de ceux [quasiment tout le monde] qui, dans le Système, développent la dénonciation hystérique classique du développement nucléaire iranien : “It would be strange” que les Iraniens, justement, ne développent pas de nucléaire, y compris et surtout du nucléaire militaire ; en traduisant cela : il faut être un peu, beaucoup, etc., dérangé soi-même pour le leur reprocher comme on le fait…)
Il est acquis qu’un tel article, dans les conditions qui sont les siennes, ne passera pas inaperçu (même si, éventuellement, l’on s’abstient de trop le critiquer, pour n’en pas faire la publicité). Il est également acquis qu’il ouvre un champ d’interrogation nouveau, en constatant qu’une puissance d’influence du poids du CFR, qui continue à tenir une place très importante au sein du Système, qui organise le fameux Bilderberg, prend officieusement mais quasi institutionnellement une position contraire aux canons habituels du Système dans son hystérie maniaco-dépressive. Notre hypothèse à cet égard n’est certainement pas que le CFR est saisi d’une soudaine passion pour la défense de la souveraineté nationale, et notamment celle de l’Iran, ni pour la défense de l’Iran en général ; notre hypothèse est plutôt que l’explication relève de l’inquiétude, voire de la panique, que certaines forces au sein du Système éprouvent à l’idée de la possibilité d’une attaque de l’Iran, comme perspective dévastatrice pour l’équilibre général du Système, jusqu’à lui faire risquer l’effondrement par les contrecoups d’une telle action. En montrant une certaine approbation pour la solution la plus extrême de la crise qu’on puisse imaginer, l’argument n’implique pas que le CFR veuille que l’Iran ait une bombe mais il implique qu’en aucun cas il n’existe un argument suffisant pour justifier, selon lui, une attaque de l’Iran. Dans le chef implicite du CFR, l’argument nous dit, en renversant la formule fameuse (“all the option are on the table”) : “toutes les options sont sur la table, sauf celle de l’attaque de l’Iran”.
On ne dit pas une seconde que cet argument doit être pris stricto sensu pour ce qu’il est ; on ne dit pas une seconde qu’il sera suivi, ni qu’il va nécessairement adoucir la position du bloc BAO vis-à-vis de l’Iran. (Accessoirement, on ne dit pas une seconde que le CFR a levé l’étendard, ouvertement et d’une façon tonitruante, d’une telle politique d'une sagesse toute relative et conjoncturelle à l'intérieur de la folie du Système.) On dirait plutôt que cet article va fortement alimenter le désordre général déjà considérable au sein du Système et, bien entendu, le désordre spécifique par rapport à la crise iranienne et l’option extrême d’une attaque de ce pays qui est tenue par une psychologie absolument prisonnière de sa pathologie comme allant de soi et quasiment normale. Il s’agit moins de la résolution de la crise iranienne que de l’accentuation de la crise intérieure du Système, dans ce cas à propos de la crise iranienne.
Mis en ligne le 16 juin 2012 à 23H24
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