Pourquoi ne pas “désagréger” l’Europe ?

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Pourquoi ne pas “désagréger” l’Europe ?


16 mai 2003 — Une nouvelle alerte, une alerte très sérieuse pour les Européens atlantistes, partisans d’une Europe alignée sur les USA, — peut-être l’alerte la plus sérieuse qui soit. Dans un article du 13 mai de l’International Herald Tribune, John Vinocur se fait indirectement mais sérieusement l’écho de l’inquiétude pressante suscitée par cette alerte. Un mot la résume : “disaggregation”, ou “désagrégation” comme on l’a compris.

L'inquiétude de Vinocur est un point intéressant. Ce journaliste nous a habitués à un soutien inconditionnel des évolutions politiques de l’administration GW Bush. Sa spécialité est de faire la promotion des arguments des Européens atlantistes, et de les accorder à la politique américaine contre les arguments des partisans d’une Europe autonome. Sa préoccupation dans le cas de cette politique éventuelle de Washington est d’autant plus significative.

La désagrégation se présente comme une volonté de miner l’Union européenne, de séparer les pays européens les uns des autres... « a new kind of concern in Europe that the United States might be making the “disaggregation” of Europe — dealing with like-minded individual parts rather than the unified whole of its aspirations — the basis of future American policy » On comprend bien que cette démarche aura comme conséquence évidente de déforcer considérablement les pays-relais des USA en Europe. Ces pays ne s’engagent pas derrière les États-Unis en dénonçant l’Europe mais, au contraire, en clamant qu’ils sont la “vraie” Europe (la “new Europe”, nous dit obligeamment Rumsfeld. Une politique européenne déstructurante de l’Amérique réduit à néant cet argument et fait des pays-relais de l’influence américaine des “traîtres” de l’Europe (certains mauvais esprits n’y verraient qu’une simple mise en lumière de la réalité). Cela serait horriblement contre-productif et ces pays sont très inquiets.


« Coming out of the Iraq experience in which the Bush Administration may believe it successfully isolated its opponents, disaggregation or “cherry-picking” in relation to the EU would bring the United States into contradiction with its traditional position in favor of European integration. More important, it would turn America into a perceived opponent of what the project for European unity retains of idealism and political ambition.

» Europe, including politicians from countries who want to escape an EU that sees itself as a counter-pole to the United States, emphatically does not like the disaggregation talk. “It would put everybody in the position of constantly having to choose,” a British official said. “And that's a bad position.”

» Javier Solana, the chief voice of the EU on foreign policy, said last week: “I am concerned when I hear influential voices asking whether the United States would be better served by disaggregating Europe. Such an approach would not only contradict generations of American wisdom, it would also be profoundly misguided. Different voices must be heard and respected, not ostracized or punished.”

» The expression of concern relates to a meeting last month in Washington at which, according to news agency reports, a State Department official said that disaggregation was now America's approach to the EU. »


La curiosité de cette affaire est qu’il n’y a rien de nouveau dans cette politique US, et pourtant tout est nouveau. Avant (pendant la Guerre froide), on ne disait pas “désagréger”, on disait “saucissonner”, et l’Amérique s’y connaissait dans la tactique de prendre les pays européens les uns après les autres pour les retourner quand une matière générale l’opposait à l’Europe en tant que telle. Mais elle avait soin d’ajouter qu’elle soutenait la construction européenne, et elle le faisait effectivement (les Américains n’ont jamais craint les contradictions).

Ce qui est complètement nouveau dans ces hypothèses de “désagrégation”, c’est que les Américains cette fois ne se cachent plus de vouloir séparer les Européens et qu’ils laissent entendre là-dessus qu’ils s’opposeraient à l’Europe (la construction européenne). On ne peut rêver une politique plus maladroite et il faudra en chercher la cause dans la psychologie fermée des Américains.

Vinocur termine en gémissant :


«  Regardless of the reality of this characterization, a friend of the United States who had knowledge of the Washington meeting said the disaggregation talk was “quite alarming” and, quite obviously, could not serve European or American interests. »