Plan à trois

Les Carnets de Badia Benjelloun

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Plan à trois

Il se joue en Méditerranée orientale depuis quelque années une importante partie à trois acteurs dont les règles et le fonctionnement excluent les pays de l’Union européenne. Ils ont sont un partenaire sans pouvoir de décision. Ils n’en sont pas bénéficiaires mais  ils en sont accessoirement les payeurs. L’enjeu est l’acquisition et la consolidation d’une zone d’influence dans cette région. Les substrats sont figurés par la Syrie, la Libye, deux pays passés sous régime de conflit perpétuel à partitionner et par des champs de gaz très en profondeur en offshore.

Les rivaux en sont la Russie, la Turquie et l’entité sioniste.

Le rivage des Syrtes

L’intervention de l’OTAN dès qu’elle eût arrachée à l’ONU la résolution 1789 au titre du devoir de protection des populations civiles (R2P) a fait basculer la Libye d’une situation prospère et stable dans un chaos sans fin depuis dix ans. Deux camps s’y affrontent. Mais ni l’un ni l’autre ne représente le peuple libyen. 

Le gouvernement d’accord national (GAN), reconnu par ‘la communauté internationale’ c’est-à-dire patronné par l’ONU jusqu’au secours apporté par le Sultan d’Ankara ne maîtrisait qu’un maigre territoire autour de Tripoli. Dirigé par Fawaz Assaraj, il incarne les intérêts de la Turquie et du Qatar. L’Allemagne et l’Italie lui apportent un appui d’appoint non négligeable.

L’autre gouvernement qui siège à Benghazi, dirigé par un ancien officier de Kadhafi (le maréchal Khalifa Haftar ) devenu américain après son exil aux Usa où il a été très proche de la CIA, est le champion de l’Égypte, de la Russie et des Emirats arabes Unis. Les Séoud et la France lui dispensent leur aide.

 En Libye, l’entité sioniste se place du côté de Khalifa Haftar pour l’armée duquel elle a formé les principaux officiers à des tactiques de guerre, à la collecte et l’analyse de renseignement. Le Mossad ‘gère’ la Libye en coopération étroite avec les renseignements de l’actuel président égyptien.

Les Turcs fournissent à Tripoli des drones Bayraktar TB2 qui lui ont donné un avantage certain dans les airs. Les Russes ont dû faire voler des Mig 29 sans marquage partis de la base de Hmeimim pour les contrer. L’entité sioniste a fourni à Haftar des systèmes de défense anti-aérienne d’une entreprise sioniste payés par les EAU.

L’Afrique est depuis 1948 un terrain  revêtant un intérêt géostratégique de Tel Aviv qui dès 1948 a entrepris de déstabiliser le Soudan en initiant les futurs séparatistes du Sud, au-delà du fait que le continent noir est une source de minerai. Elle est aussi un débouché pour ses mercenaires retraités de l’armée d’occupation qui ont fait merveille en Côte d’Ivoire et au Congo-Zaïre.

Russie et Turquie se disputent les hydrocarbures libyens et font de ce pays livré à des puissances étrangères et toutes sortes de mercenaires un point d’entrée pour un immense marché de plus d’un milliard d’habitants. Le continent avec ses points de croissance fait pâlir d’envie et saliver les vieux pays capitalistes occidentaux coincés dans une récession qui ne veut pas dire son nom depuis au moins 2008. Embusqué, sans tenue de camouflage, Tel Aviv compte les points.

La France responsable de la destruction de la Libye et de la déstabilisation de tout l’espace sub-sahélien qui a suivi l’assassinat de Kadhafi est alignée du côté des pétromonarchies et du criminel El Sissi tout en feignant être favorable au GAN. L‘élimination du dirigeant d’une société militaire privée française en mai 2011 et l’arrestation de quatre de ses cadres par le Conseil National de Transition démontre à l’évidence que Paris a été plus qu’ambigu avec un CNT dont il s’est prétendu le champion contre l’affreux dictateur qui aurait donné du Viagra à ses milices tchadiennes et soudanaises pour terroriser son peuple. La duplicité française est devenue impossible à dissimuler quand furent découvert des missiles français dans une cache d’armes de Haftar en 2019. 

Les Chemins de Damas

La Syrie, ainsi en avaient décidé les néoconservateurs étasuniens aux manettes à la Défense et aux Affaires Étrangères pouvoir depuis Bush le deuxième, devait être détruite au même titre que l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, l’Iran et le Yémen. Détruite et réduite à l’état de poussière. La tâche fut déléguée à la Turquie, membre de l’OTAN et alliée stratégique d’Israël. Elle s’en acquitta avec zèle, faisant transiter par son territoire des combattants venus des quatre coins de la ‘Musulmanie’ obscurantiste essentiellement wahhabite ou simplement attirés par un gain non négligeable. La montée au djihad se négociait dans les banlieues françaises autour d’un salaire mensuel minimal de 3000 euros. Elle a également servi de plateforme commerciale pour le pétrole volé à l’Irak et à la Syrie acheminé dans des caravanes de camions par les takfiristes de l’Etat islamiste. De tout cela, elle s’est acquittée avec fidélité et soin, aidée par la propagande occidentale qui mettait en scène des simulacres d’attentats à l’arme chimique qu’aurait perpétrés un Bachir el Assad irrationnel et assoiffé de sang, d’une qualité si piteuse et avec des comédiens si médiocres que le public même peu instruit s’est senti méprisé. 

Celui qui ‘ne méritait pas d’être sur terre’ a empêché l’engloutissement de la Syrie comme ce fut le cas pour l’Irak happé dans un trou noir avec toutes les infrastructures détruites. L’armée nationale, celle de la République arabe de Syrie et non celle de el Assad comme s’acharne à le dire l’Occident , continue de défendre l’intégrité du territoire, pied à pied contre toutes sortes de mercenaires et d’armées étrangères. Sans les renseignements collectés et fournis par l’armée d’occupation sioniste et la Palestine de 1948 comme repli, la longévité des groupes takfiristes aurait été écourtée. 

La Russie a répondu à l’appel à l’aide de Damas car l’implantation de bases  à Tartous et Hmeimim  en lui assurant un avant-poste dans cette partie de la Méditerranée protège son flanc Sud. La confrontation entre la Turquie qui se voit reprendre tout le sandjak de la Grande Syrie et la Russie se fait de manière mesurée, chacun semble savoir jusqu’où il peut mener l’hostilité sans provoquer une montée vers l’irréversible. La Russie a besoin de fragiliser la relation d’Ankara avec le reste de l’OTAN, la Turquie y voit une aubaine pour étendre ses prétentions sur les pays de l’ex Union soviétiques avec des populations turcophones.

Ces positions quasi- gelées exposent la Syrie à un conflit de basse intensité sans fin prévisible dans l’immédiat. Son ciel n’est pas inviolable puisque Tel Aviv y fait des incursions avec des drones que sa défense antiaérienne ne sait pas (encore) neutraliser. La Syrie offre un champ d’expérimentation de l’armement russe versus l’occidental particulièrement observé. Netanyahu dans cette configuration se fait rappeler à l’ordre par Moscou quand il dépasse un certain niveau d’agressivité.

Entre les trois rivaux, tout est dans le dosage de ce que chacun peut se permettre..

Les Européens sont absents quand se mènent des négociations. 

Émois en mer Égée

En Ukraine, Israël était venu en renfort du gouvernement néo-fasciste placé  au pouvoir à Kiev  par les Usa en 2014. Au cours du récent conflit dans le Haut Karabakh, une alliance entre la Turquie et Tel Aviv s’est formée pour assister l’Azerbaïdjan contre l’Arménie soutenue par la Russie.

La découverte de gisements au large du Liban, de la Palestine, de Chypre et de l’Égypte implique des réserves potentielles de l’ordre de 3500 milliards de mètres cubes. La moitié sont des réserves prouvées, 850 dans les zones d’exclusivité économique pour l’Égypte, 450 revendiqués par Israël et 140 pour Chypre. 

La Turquie a toujours contesté la minceur du ruban de ses eaux territoriales en Méditerranée que limite la poussière de minuscules îles grecques très proches de son littoral, parfois à 2 Km seulement. Elle n’a jamais admis les clauses des traités de Lausanne en 1923 et de Paris en 1947, qui les fixaient en faveur de la Grèce. La partition de Chypre en deux entités depuis 1974, l’une revendiquée par la Turquie au Nord, complique  la situation. 

La Turquie est dépendante de ses importations pour 80% de son énergie. La découverte très récente d’une réserve en mer Noir estimée à 400 milliards de mètres cubes qu’elle espère exploiter dès 2023 change la donne. Mais forte de ses 700 milliards de PIB, elle ne compte pas céder à la Grèce alliée pour l’occasion à Israël. 

De plus les Palestiniens, sans État à ce jour, privés de tout, sous blocus, contestent le pillage d’un gisements au large de Gaza, pompé depuis un forage plus au Nord installé par l’entité sioniste.

Plusieurs fois remis, le projet d’un pipeline qui relierait les gisements au large de la Palestine, à ceux de Chypre et de la Grèce et conduirait le gaz naturel  au Sud de l’Italie semble redevenu d’actualité. L’EastMed aurait une longueur de 2000 km dont les deux-tiers en offshore. Il traverserait la Zone d’économie exclusive de Gaza sans l’accord des concernés. Il acheminerait environ 10 milliards de m3 de gaz naturel par an vers l’Europe.

L’entité sioniste a fait avancer ses pions au sein de l’Union européenne dont le Parlement a voté en février 2020 en faveur de cet EastMed comme Projet d’Intérêt Commun. Cela fera bénéficier ce programme de procédures accélérées et de subsides européens en plus d’une aide immédiate de 2 millions d’euros versée sans contrepartie. 

Turquie et Russie se trouvent alors lésées. En effet, l’entité sioniste a plaidé en faveur de son projet qui rendrait l’Europe indépendante du gaz russe.

Ankara envoie ses bateaux d’exploration dans les eaux attribuées à la Grèce selon les puissances sorties triomphantes de la première guerre mondiale. Laquelle proteste et ‘dégaine sans tirer’. La France a fait une démonstration de force en mobilisant dans la zone une flotte qui acheminait de l’aide humanitaire au Liban.

 Ce nième projet de spoliation des Palestiniens fondé sur l’artifice géopolitique de priver la Russie d’un espace de commercialisation de son gaz, répondant à l’objectif étasunien d’isoler l’Europe de la Russie, serait une catastrophe écologique pour la Méditerranée orientale. Les ‘défenseurs de la Nature’ ont fort à faire en ce moment. Un protocole entre l’entité sioniste et les Émirats Arabes Unis prévoit le transbordement d’un volume démultiplié de pétrole dans le port de la cité balnéaire d’Eilat à l’extrémité nord de la mer Rouge. Les bancs de coraux situés à quelques centaines de mètres ne survivront pas aux inévitables pertes depuis les tankers. En ce moment, la presse est muette concernant l‘origine de la souillure du littoral en Méditerranée par du mazout qui endommage sans doute irréversiblement la faune marine. Il est peut-être très fun de se lamenter voire d’organiser des actions violentes pour défendre les tortues et les étoiles de mer ; il est moins héroïque de s’opposer à l’emprisonnement d’enfants palestiniens ou à l’assassinat par des colons de paysans dans leurs vergers d’oliviers. Pourtant, sacrifier le corail et coloniser la Palestine procèdent  tous deux de la même violence capitaliste portée par l’aiguillon du profit. Il s’agit de contourner le canal de Suez, l’Égypte n’est jamais à l’abri d’une nouvelle révolution, de shunter la Turquie, concurrente sérieuse, de saisir tout le territoire d’un peuple qu’on aura  brisé et convaincu de s’exiler.

La contestation attendue du Liban et des Palestiniens qui s’opposeront à un projet qui vole leurs ressources et viole le droit international accroîtra la tension dans la région. Nul doute que la Russie et la Turquie aideront à l’amplifier.

L’Union européenne, mise hors jeu diplomatiquement dans ses anciennes zones d’influence au Moyen Orient et en Afrique, vient d’offrir 15 millions d’euros à l’industrie de guerre israélienne, fort créative, dans le cadre du programme Horizon 2000. Elle s’apprête à devenir complice d’un nouvelle violation du droit international et de pillage. 

Israël a perdu l’appui des Juifs étasuniens de plus en plus libéraux, Trump en transférant l’ambassade des USA  à Jérusalem confortait sa base chrétienne sioniste (et antisémite).

Comment imaginer qu’une entité consubstantielle à des guerres permanentes menées contre ses voisins puisse avoir un quelconque avenir dans un environnement qu’elle concourt à rendre de plus en plus hostile. Biden, le vieillard sénile qui préside l’administration des Usa a appelé le chef du gouvernement à Tel Aviv avec un retard très remarqué, manière sans doute de signaler que Netanyahu, poursuivi pour de nombreuses affaires de corruption et de prise illégale d’intérêt, a fait son temps.

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