Ping-pong à trois: Trump-Poutine-Kamala

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Ping-pong à trois: Trump-Poutine-Kamala

6 septembre 2024 (18H35) – L’effondrement de notre civilisation, et en plus des plus grands de tous dans le bidule que sont les États-Unis d’Amérique, ne cesse de me surprendre par son espèce d’aspect glissant, fluide et insaisissable. Tout le contraire du tonnerre ou du Mystère des grands ancêtres, des Égyptiens aux Romains, aux Aztèques... Nous sommes pourtant équipés pour le bruit, de l’arme nucléaire aux missiles hypersoniques, nous imaginons de fantastiques complots, nous avons même les bataillons de flics-espions pour les nouer. Pourtant, rien de ce côté de décisif et plutôt tout à trouver dans les mille nuances d’un sourire à peine esquissé et le joyeux tintamarre d’un rire aux éclats. Ce n’est pas drôle, c’est étrange. (“It’s not funny, it’s phoney”.)

Je reviens sur un aspect déjà mentionné dans ce texte d’hier sur Russiagate-2.0, sur la réaction de Poutine à une question lors d’une conférence de presse : “Qui soutenez-vous pour l’élection de novembre prochain aux USA ?”. Cette question était inconvenante pour un président russe qui fait profession d’éviter toute immixtion dans le processus électoral d’un pays étranger. Là, cette fois, pas question de ces timidités-là ! Poutine a voracement sauté sur la question (“narquoisement”, nous fait comprendre RT.com) :

« “Je vous l'ai dit, notre favori, si je puis dire, était le président actuel, M. Biden”, a déclaré Poutine, avec un sourire narquois. “Il a été écarté de la course, mais il a conseillé à tous ses partisans de soutenir Mme Harris. Nous le ferons donc aussi, nous la soutiendrons”, a-t-il poursuivi.

» Poutine a déclaré que Harris “rit de manière si contagieuse et expressive, cela montre qu'elle se porte bien”. »

Depuis que Poutine a prononcé ces mots et esquissé un sourire “narquois”, tous les services de renseignement US sont pleins de ces petites lampes rouges, celles qui signalent un risque maximal de niveau-1, qui clignotent : bip, bip, bip... Cela signifie-t-il qu’il existe une sorte d’intrigue au moins à distance entre la prétendante démocrate et le président russe ? Je vous laisse deviner dans quel état d’effervescence et d’inquisition enquêtrice se trouvent tous ces officiers du DeepState..

Prudent comme de coutume et attentif à distinguer où il pose les pieds (après tout, Kamala est toujours VP), l’amiral et néanmoins porte-parole du NSC que dirige Jack Sullivan a fait entendre la voix de la sagesse :

« Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a réagi en déclarant que le président russe devrait s’abstenir de discuter de l’élection présidentielle américaine. »

Le plus remarquable, c’est que l’intervention de Poutine équipé de son sourire narquois a laissé l’homme-qui-a-réponse-à-tout, et qui jusqu’ici n’a cessé de tendre la main à Poutine et d’inonder la Russie de fleurs à peine dissimulées, – absolument stupéfait, oscillant entre le mieux et le pire ; car enfin, qu’a-t-il voulu dire, ce Poutine ?

« “Il [Poutine] a déclaré soutenir Kamala et je ne savais pas si j’étais censé l’appeler et lui dire : ‘Merci beaucoup’… Je ne sais pas exactement quoi dire à ce sujet. Je ne sais pas si je suis insulté ou s’il m’a rendu service”, a déclaré Trump lors d’un événement au Club économique de New York. »

Enfin nous vient une explication pleine de calme, de mesure et de raison, et nul ne sera étonné d’apprendre qu’elle vient d’Andrew Korybko. Pour lui, Poutine n’a rien dissimulé ni inventé de fausses démarches parce que Poutine n’est pas de cette sorte-là ; de même écarte-t-il, me semble-t-il, l’explication de l’intrigue sentimentale qui inquiète tant CIA, FBI & Cie. Comme il dit en synthèse, Poutine préfère traiter “avec les diables qu’il connaît” plutôt qu’avoir à faire face à une situation complètement imprévisible avec Trump.

Ecoutons-le :

« Poutine a confirmé jeudi lors de la session plénière du Forum économique oriental que son soutien précédemment déclaré à Biden s’étend désormais à Kamala, mais des amis comme le célèbre dissident Kim Dotcom et des ennemis comme le rédacteur en chef de la BBC pour la Russie, Steve Rosenberg, ne le croient pas. Le premier a tweeté qu’il s’agissait d’un coup de “grand maître des échecs” de la part du dirigeant russe, tandis que le second a spéculé que cela était fait pour discréditer les démocrates. La réalité est que Poutine est sincère.

» Il a été expliqué plus tôt cette année qu’“il est raisonnable pour Poutine de préférer Biden à Trump” car “1) Biden a le soutien des libéraux-mondialistes au pouvoir de l’‘État profond’ ; 2) cette faction devrait rester au pouvoir même si Trump gagne ; et 3) elle pourrait mener davantage de provocations antirusses pour le discréditer dans ce cas, comme la dernière fois”. Cette intuition est toujours d’actualité et explique pourquoi il soutient désormais Kamala, puisque rien n’a changé au cours des six mois qui se sont écoulés depuis qu’il a publiquement soutenu Biden.

» Les amis ont du mal à accepter cela, car ils sont favorables à la politique de Trump à l’égard du conflit ukrainien, ce qui explique pourquoi ils croient que Poutine est du même avis, alors que les ennemis sont convaincus que Poutine a aidé Trump à gagner en 2016 et qu’il essaie donc de l’aider à nouveau en discréditant les démocrates avec son soutien à Kamala. Ce qu’aucun des deux ne peut comprendre, c’est que Poutine est un homme d’État de la vieille école qui apprécie la prévisibilité, en particulier face à ses adversaires géopolitiques, et n’aime pas le chaos qui a accompagné le premier mandat de Trump. »

Je comprends bien ce Korybko veut nous faire comprendre. En même temps, il fait croire à un singulier aspect presque romantique sinon  utopique de Poutine, – ce qui me fait un peu douter de Korybko, – qui semblerait croire que parce qu’il fait un choix contre “le chaos de Trump”, il  va aider effectivement à contenir ce chaos. Tout au contraire, – telle est ma pensée, et j’espère qu’elle a effleuré celle de Poutine.

Sa déclaration concernant le rire séduisant de Kamala a sans le moindre doute déclenché une tempête de spéculations et d’alarmes (les fameuses “petites lampes rouges... bip, bip, bip” du début du texte) parce qu’elle n’est pas parfaitement compréhensible ni sérieuse, à la limite de caricaturer son affirmation de soutien. D’ailleurs, Trump ne s’y est pas trompé, qui avoue nager complètement en aveugle pour interpréter en braille Poutine dans le texte, alors que la vidéo montrant la séquence de la question (tout début de celle-ci, de Christoforou) nous permet également d’entendre les applaudissements et l’éclat de rire général accueillant sa déclaration concernant Kamala. Tout cela mis ensemble concourt à accélérer de manière exponentielle le chaos-USA et l’enquête sur Russiagate-2.0 à l’encontre de Poutine, de Trump, et maintenant de Kamala, soupçonnée des plus noires intrigues amoureuses. Que croyez-vous donc ? Qu’un soutien de Poutine à Kamala va innocenter Poutine ? Ou bien qu’il va rendre Kamala infiniment suspecte ? Faites votre choix, le mien coule de source empoisonnée.

Vous savez, enfin, il faut être sérieux ! Le ‘DeepState’ n’est pas du tout réputé pour son humour. Il est râleur, soupçonneux, de mauvaise humeur, Il ne croit rien de ce qu’on lui dit et dénonce avec fureur tout ce qu’on ne lui dit pas, il tire sur tout ce qui bouge et désormais sur tout ce qui rit... Alors, si Poutine se met à plaisanter, plus moyen de reconnaître celui qui a gagné en Ukraine comme le ‘DeepState’ nous l’explique depuis des années. Rien que pour cela, sa haine de Poutine, des Russes et de leurs amis connus et cachés (Kamala ?) décuple littéralement.

Ah, vous ne connaissez pas les tractations labyrinthiques et kafkaïesque des soupçons sans fin du ‘DeepState’, menacé sans fin dans l’essence même de sa vertu !