Pierre & Jacques sont des amis

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

   Forum

Il y a 7 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 5226

Pierre & Jacques sont des amis

31 janvier 2019 – D’abord on lit ce tweet, de Jacques Attali, le 27 janvier 2019, à 08H20 : « Une nouvelle crise financière mondiale s’annonce ; elle ressemble à s’y méprendre à la précédente, en pire. Des solutions existent ; elles supposent de maîtriser l’avidité de certains financiers et d’exiger qu’ils s’occupent du long terme. » Connaissant le bonhomme, ses liens avec Macron, avec le Système, avec Davos, etc., vous vous dites que ce tweet est bien intéressant et vous le gardez à l’esprit.

Le lendemain, le 28 janvier 2019 à 19H10, ceci, de Pierre Moscovici, Commissaire européen, socialiste et économiste comme Attali, pas loin d’être de la même génération, donc quelqu’un dont on pourrait attendre qu’il ait un jugement prospectif assez similaire. Que nenni, mais alors à un point ! Que super-nenni :  « Que fait l'Europe pour répondre à la montée des populismes ? “On est sorti de la crise, la croissance est là partout, on n'a jamais créé autant d'emplois [...] Il reste le défi des inégalités qui doit être réglé à l'échelle de nos pays”, dit @pierremoscovici#Auditionpublique »

C’est assez intéressant, cette contradiction, non ? Mais oui, c’est intéressant, pour de multiples raisons (deux économistes-Système, de pensées proches, même élite mêmes salons, mêmes restos du Fouquet’s  à La Rotonde, deux socialistes mutatis mutandis néo-libéraux, etc.). Dans tous les cas, cela intéresse madame Coralie Delaune, essayiste, collaboratrice de Marianneet de Causeur, et plutôt eurosceptique ; cela, chuchote-t-on, n’est pas encore un délit capital. Elle tweete le 29 janvier 2019 à 11H10 : « Il va falloir que @pierremoscovici et Jacques Attali se mettent d'accord. On est dans l’opulence ou à la veille du chaos ? Ça ne peut pas être les deux “en même temps”. »

Ce n’est donc pas fini car il s’agit de couronner le tout et de mettre en place le facteur essentiel d’un scandale terrifiant, sorti tout droit du “ventre de la bête immonde” ; en l’occurrence, le Commissaire européen Moscovici qui invente pour l’occasion une nouvelle valeur inédite, l’“antisémitisme rampant” : « Un petit coup d’antisémitisme rampant ne fait jamais de mal aux anti-européens, une fois de plus. Jacques et moi sommes 2 amis, et 2 esprits libres. Pourquoi devrions-nous être d’accord sur tout? »

C’est un curieux cas de dystopie. Si l’on comprend bien, Moscovici au lieu de s’imaginer que madame Delaune s’écrie en elle-même “Pierre Moscovici, Commissaire européen, socialiste comme Attali”, pense que madame Delaune a dû s’écrier en elle-même : “Pierre Moscovici, Commissaire européen, juif comme Attali”. C’est là qu’est l’antisémitisme rampant, lequel nous signifie en général, d’une manière rampante dans ce cas, qu’il y a un “complot juif” et que Moscovici-Attali en font partie. Mais alors, pourquoi jugent-ils exactement le contraire dans une matière si totalement fondamentale qu’elle constitue l’objet principal du complot ? Lorsque Moscovici s’exclame « Pourquoi devrions-nous être d’accord sur tout? », il admet la remarque de la personne qui pratique un “antisémitisme rampant” tout en lui donnant un argument curieusement contraire à l’antisémitisme classique. (“Pourquoi, nous, deux juifs, devrions-nous être d’accord sur tout ?” “Effectivement, répond madame Delaune, il n’y a aucune raison pour que vous soyez d’accord du fait que, comme vous l’avez vous-mêmes implicitement signalé, vous êtes tous les deux juifs ; par contre, il y a bien des raisons pour que vous dussiez être d’accord parce que vous êtes tous les deux économistes socialistes tous deux ralliés au marché, gloires du Système, même génération, etc...”)

Bien entendu, on peut s’indigner de cette étrange accusation de Moscovici (voir Spoutnik, qui fait rapport de l’affaire). Pour mon compte, c’est le qualificatif “étrange” qui m’arrête, d’abord de la façon assez simple et crue qui provoque par exemple cette réaction d’un tweeteur qui, littéralement, n’y comprend rien : « Je tombe par hasard (ou ce qui s'en approche le plus sur twitter) sur cet échange. Abstraction faite de la problématique économique, je ne vois pas ce que “l’antisémitisme rampant” vient faire là. Je rate surement un truc mais en toute sincérité j'aimerais qu'on m'explique. » Il ne le comprend pas, ce tweeteur, exactement comme nombre de gens n’ont pas compris ce que Macron voulait dire, — s’il “veut” seulement, Macron, et si seulement il sait ce que “dire” veut dire : « La part que je ne comprends pas en allemand a un charme romantique que parfois, le français ne m'apporte plus »

Ainsi en est-il de plus en plus souvent chez ces élites-qui-parlent : elles disent de plus en plus des assemblages qui n’ont aucun sens de mots qui en ont (Moscovici), ou bien des assemblages que l’on ne comprend pas de mots qui ne nous sont pas étraners (Macron). Dans le cas Moscovici examiné ici, on reconnaît certes des discours et des concepts, d’ailleurs eux-mêmes conformistes, peu raisonnables, totalitaires, étranges bien entendu selon l’emploi qu’on en fait, etc. L’attraction du mot “antisémitisme” est incontestable : il exerce une sorte de fascination destinée à clouer celui qui reçoit le trait, et d’ailleurs répondant à une sorte de foi religieuse. (Comme l’ont montré plusieurs auteurs [dontDiane Johnstone], la Shoah est en France une “religion d’État” et par conséquent l’“antisémitisme” fait partie des anathèmes officiels du clergé, et sans doute le plus décisif sinon définitif.)

En un peu plus élaboré, on note que, dans la courte phrase de Moscovici, “antisémite” et “anti-européens” tendent à s’équivaloir, je veux dire même charge d’anathème, même racine, même emphase, même excommunication en chaire. Je nous laisse réfléchir sur les perspectives, mais je note encore une fois combien ce “concept” de l’équivalence des deux concepts est étrange... Toujours ce mot, “étrange” ; et d’autant plus que, sous la plume de Moscovici, cela semble aller de soi, – oui, un “anti-européen” est nécessairement un antisémite.

Enfin, il y a le non-sens général tel que je l’ai détaillé. Je l’ai désigné comme une dystopie parce que je crois qu’il faut y voir une utopie complètement inversée. En parlant d’antisémites comme il le fait, concernant les “anti-européens”, Moscovici énonce une utopie : l’utopie d’un complot antisémite contre l’Europe. Cela permet de rassembler deux concepts absolument, immensément vertueux, qui ont eux-mêmes atteint aujourd’hui une valeur constitutive d’une utopie ; celui qui est victime d’antisémitisme et celui qui est victime d’antieuropéanisme se trouvant rassemblés dans un même océan de vertu ; sauf que c’est faux dans le cas qui nous occupe puisque le concept d’antisémitisme s’appuie lui-même sur une situation invertie, où l’on ne voit pas deux juifs côte-à-côte, mais deux juifs (Moscovici et Attali) s’opposant l’un à l’autre sur la prospective économique. (Deux juifs antisémites ?) La situation peut alors “virer au cauchemar” et ce que nous donne Moscovici devient bien une dystopie sous la forme d’un “contre-utopie” : « Une dystopie peut également être considérée, entre autres, comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie » (selon Wikipédia).

Enfin, pour en arriver à ceci, qui est ma grande interrogation : pourquoi écrivent-ils ces étranges absurdités ? Consulté rapidement, un ami qui avait connu Moscovici il y a un quart de siècle me parla d’une personne d’une certaine qualité : « Comment peut-il écrire des choses pareilles aujourd’hui ? Ces gens se font broyer le cerveau... » (par le Système, voulait dire cet ami). C’est à cela que je veux en venir, à ma théorie des fous, dont on sait que j’en parle pour des causes de multiples dérangements mentaux du fait de leurs situations, de ce qu’ils doivent dire et qu’ils doivent penser, des narrative qu’ils doivent endosser et défendre à toute force. C’est épuisant pour l’esprit et, partant, pour la psychologie ; ainsi dérive-t-on et en arrive-t-on à ne plus comprendre exactement ce qu’on dit, dans des phrases où plus rien ne brille, – sauf ce mot sacré, “antisémitisme”, foutue au milieu des autres mots mis dans n’importe quel sens, comme pour les éclairer, pour leur donner un sens.

Ils sont dans la Nef des Fous, vent debout, ouh ouh ouh...

Cela dit, fou mais “humain, trop humain”. Je soupçonne que l’élément déclencheur de cette démarche chez Moscovici est une simple humeur d’irritation, et de vanité un peu bousculé, lui découvrant le tweet d’Attali à l’occasion de l’intervention de la malheureuse Coralie Delaune : comment Attali, ce “cher Jacques, mon ami Jacques”, a-t-il pu écrire une telle sottise, contredisant par avance ce que je dis, moi, de source sûre, comme un article de la Table de la Loi, ici, à la Commission Européenne ?