Pas la “liberté d’expression”, plutôt la “libération de l’expression”

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Pas la “liberté d’expression”, plutôt la “libération de l’expression”

La puissance formidable du choc symbolique et de communication de l’“ouragan-Charlie” (-Hebdo) conduit à une analyse des mesures et des comportements désormais nécessaires, notamment et particulièrement dans le pays-fondateur, créateur et utilisateur au nom du Système, de 9/11 et de l’époque nouvelle qui en fut immédiatement accouchée. On retrouve donc aussitôt, aux USA, les supputations techniciennes et technologiques sur la façon dont la France, cette fois-ci placée au centre du bloc BAO comme moteur d’une accélération de la dynamique de surpuissance du Système, pourrait effectivement et peut-être décisivement participer à cette dynamique. Traduit en termes techniques et technologiques, cela introduit l’interrogation de savoir si la France peut se doter d’une infrastructure antiterroriste, sinon dans les faits dans tous les cas dans l’esprit, qui imite et prolonge celle des USA (ou USA-UK) d'ores et déjà en place. Cette infrastructure USA-UK ayant en effet connu une superbe et formidable succession d’échecs catastrophiques, il est évident qu’elle est un modèle tout désigné.

Un texte de CBC.News du 13 janvier 2015 étudie la question : l’état des forces antiterroristes en France, l’évaluation de l’évolution possible et/ou souhaitable, etc. Parmi les habituels experts appelés à la barre du témoignage irréfutable, Stephanie Pezard, de la RAND Corporation. Le ton est assez optimiste, comme l’est d’ailleurs l’appréciation des autres experts où l’on juge la France fort bien équipée et préparée ... Mais certes, il faut faire plus, au vu des conditions véritablement terribles et catastrophiques créées par l’attaque du 7 janvier, – puisque la narrative nous le dit, que ce fut terrible et catastrophique. (Dira-t-on 1/7 comme l’on dit 9/11  ? On verra.)

«“I think they are as prepared as they can be without putting a policeman behind each French citizen,” said Stephanie Pezard, a RAND Corporation political scientist with a specialty in French policy. “There’s only so much you can do to prevent attacks that basically can come from everywhere. It's going to be mostly intelligence services that will have to make sure that everyone on their watch list is being watched.”»

Inforwars.com, dont on sait la quête sans relâche des manigances des “mondialistes” (“globalistes”) pour établir un gouvernement mondial passant par la surveillance de tous les citoyens de la planète (vous, moi, lui, eux, et bien d’autres encore), dénonce aussitôt cette intervention. Le titre de son article du 14 janvier 2014 assimile la RAND au fameux groupe CFR (avec le Bilderberg, la Trilatérale, etc.) et démonte ce qu’il juge être le projet derrière tout cela : pousser la France sur la voie-NSA & Cie et favoriser encore l’extension de la grande industrie des technologies liées à tous ces moyens de surveillance de masse, – allant ainsi de la partie la moins amène de la citation de Pezard au rappel du statut plantureux de la RAND...

«Stephanie Pezard, a RAND Corporation political scientist with a specialty in French policy, told CBC News there is “only so much you can do to prevent attacks that basically can come from everywhere. It’s going to be mostly intelligence services that will have to make sure that everyone on their watch list is being watched.” [...]

»Not surprisingly, RAND is behind the propaganda effort to radically expand the size and scope of the surveillance grid. Real-time monitoring of “terrorists,” that is say all who pose a serious threat to the establishment, is a primary objective of the global elite. The end game for the NSA is not merely to monitor a million or so people included in a terror database, but the entire population.

»The “RAND National Defense Research Institute is a federally-funded Council on Foreign Relations ‘think-tank’ sponsored by the Office of the Secretary of Defense and headed by Council on Foreign Relations member Michael D. Rich. Clients include the Pentagon, AT&T, Chase Manhattan Bank, IBM, Republican Party, U.S. Air Force, U.S. Department of Energy and NASA. The interlocking leadership between the trustees at RAND, and the Ford, Rockefeller, and Carnegie foundations is a classic case of Bilderberg modus operandi,” writes Daniel Estulin in his book on the Bilderberg Group.»

Contre cette poussée pour le renforcement de la surveillance type-9/11 dans une France devenue avec 1/7 le second pilier du bloc BAO pour la défense de nos valeurs tant chéries de la contre-civilisation occidentale, il y la réaction des “dissidents” US, antiSystème de divers origine. Ils vont tous dans le sens qu’on connaît, et toutes leurs positions valent pour la France placée, comme on dirait, “à la croisée des chemins”... (Entre quels “chemins”, on verra plus loin.) D’abord, quelques mots de Ron Paul qui fait un second texte sur le sujet désormais français de la Grande Crise, en utilisant le fameux mot de la CIA (Blowback, ou disons, de manière imagée et cinglante, “coup de fouet en retour”) qui désigne les conséquences désastreuses pour soi-même d’échecs d’opérations de renseignement, le plus souvent à l’extérieur. (La CIA, ça la connaît.) Ron Paul rappelle les récents déboires français, notamment syriens (Maxime Chaix les détaille avec beaucoup d’attentions et de références dans son texte du 10 janvier 2015), et il poursuit en élargissant le problème dans la profondeur du passé qui commence au moins à Brzezinski-1979 (voir le 31 juillet 2007). (Le texte de Ron Paul, du Ron Paul Institute for Peace, repris sur Antiwar.com le 12 janvier 2014.)

«After the tragic shooting at a provocative magazine in Paris last week, I pointed out that given the foreign policy positions of France we must consider blowback as a factor. Those who do not understand blowback made the ridiculous claim that I was excusing the attack or even blaming the victims. Not at all, as I abhor the initiation of force. The police are not blaming victims when they search for the motive of a criminal. [...]

»Beginning with Afghanistan in the 1980s, the US and its allies have deliberately radicalized Muslim fighters in the hopes they would strictly fight those they are told to fight. We learned on 9/11 that sometimes they come back to fight us. The French learned the same thing last week. Will they make better decisions knowing the blowback from such risky foreign policy? It is unlikely because they refuse to consider blowback. They prefer to believe the fantasy that they attack us because they hate our freedoms, or that they cannot stand our free speech. Perhaps one way to make us all more safe is for the US and its allies to stop supporting these extremists.

»Another lesson from the attack is that the surveillance state that has arisen since 9/11 is very good at following, listening to, and harassing the rest of us but is not very good at stopping terrorists. We have learned that the two suspected attackers had long been under the watch of US and French intelligence services. They had reportedly been placed on the US no-fly list and at least one of them had actually been convicted in 2008 of trying to travel to Iraq to fight against the US occupation. According to CNN, the two suspects traveled to Yemen in 2011 to train with al-Qaeda. So they were individuals known to have direct terrorist associations. How many red flags is it necessary to set off before action is taken? How long did US and French intelligence know about them and do nothing, and why?

»Foreign policy actions have consequences. The aggressive foreign policies of the United States and its allies in the Middle East have radicalized thousands and have made us less safe. Blowback is real whether some want to recognize it or not. There are no guarantees of security, but only a policy of nonintervention can reduce the risk of another attack.»

Le passage sur le state surveillance de Ron Paul nous conduit à une autre citation intéressante d’un autre dissident, plus technique mais débouchant néanmoins sur des problèmes très concrets qui nous intéressent précisément et interviennent dans le débat sociétal type-guerre civile symbolique en France, et plus précisément dans le débat sur la “liberté d’expression”. Russia Today a interrogé l’ancien officier (analyste) de la CIA Ray S. McGovern, qui est aujourd’hui une autre des grands personnalités de ce milieu dissident US, le 12 janvier 2015.

McGovern recommande évidemment le contraire de ce que suggèrent les experts de tous poils. Il recommande un retour aux méthodes traditionnelles du renseignement dans la lutte contre le terrorisme, c’est-à-dire l’enquête, l’infiltration, etc. (Il faudrait d’ailleurs parler d’“infiltration constructive” à cet égard, – une idée qui mérite quelques remarques, lesquelles sont en note pour ne pas trop décentrer notre sujet.) (*) Bien entendu, McGovern se place en complète opposition des tendances du Système, des “stratèges” de la bureaucratie washingtonienne et du Corporate Power, surtout lorsque, sur la fin de son interview, il introduit l’idée fondamentale, non pas de la “liberté d’expression” mais bien de ce que nous nommerions fondamentalement l’idée de la “libération de l’expression”.

Russia Today : «Millions of people came out to show their unity against terrorism. But do you think now that they will be more open to stricter, more stringent anti-terror laws?»

Ray S. McGovern : «The stoking of fear: “Be afraid, be very afraid” is typical of what happened after 9/11 in our country. I don’t think it helps. I think it inspires the worst in us – the spirit of vengeance. And when I hear the talk about increasing surveillance measures – it is fact, not interpretation that there were enough surveillance measures against these two from the beginning. They were on a ‘No Fly’ list, they were communicating in unencrypted telephone conversations as far as we know. There was everything in place necessary to get these guys – why they weren’t gotten is really a puzzle. Now there are lots of conspiracy theories, saying the French let them do this. I can’t buy that. It is more typical of Western intelligence services to be just really dumb, really ineffectual. And if you need proof of that, read James Rison’s latest book, when he talks about the fellows that ran the place where I used to work for 27 years were just completely clowns and could not cope with the challenges that they faced after the Cold War.»

Russia Today : «The authorities are under a lot of pressure now to take decisive action. What sort of action can they take that would help the situation?»

Ray S. McGovern : «They can avoid building a larger haystack of information on terrorists. When NSA [US National Security Agency] and various allies decide to collect everything from the whole world, from all of us and put it in this haystack lest they miss anything, they can’t get any needles under this haystack. So, divert the billions of dollars that went into that into tried and true techniques, intelligence analysis, and you will be able to nab people like [Umar Farouk] Abdulmutallab, the fellow that tried to down a commercial aircraft over Detroit on Christmas Day 2009. You only get these folks with just traditional detective work. And the reason a lot of that does not happen anymore is because of this fixation to collect all the conversations. The conversations weren’t even encrypted. Why was no one listening to these two? It just defies the imagination. What needs to happen is go back to the tried and true intelligence techniques that we are all familiar with during the Cold War and shortly thereafter, which were all cast aside as soon as multi-million dollar corporations decided that they can make a lot of money by selling these ineffectual blanket eavesdropping techniques to the Western services.»

Russia Today : «This could be potentially a wake-up call to the security services to change the way they do things. Do you think that will happen though and why if not?»

Ray S. McGovern : «It really depends on the media. With the exception of RT, Al Jazeera and a couple of other places, the French and the United States’ citizens won’t know what I just said. The conversations were not encrypted, these guys were on the ‘No Fly’ list. Everything was in place to get them, why didn’t they get them? Well, how are were going to repair this situation? We will spend much more dollars and francs on these ineffectual building of haystacks. So, what I am saying here is that it’s not likely to change unless the mass media in these countries gets a little honest about this business and says: “Look, this is a failure, an utter failure of intelligence, the information was there, this should never have happened.”»

... Ainsi en est-il de la proposition de McGovern, qui est en réalité une nécessité dans la logique qu’il adopte. Plaçons-nous du point de vue du Système et de sa narrative, avec sous-narrative multiples, et acceptons l’idée (par ailleurs grotesque, – mais c’est un autre sujet que nous avons d’ailleurs souvent abordé) que le terrorisme est une menace existentielle contre la civilisation. (C’est bien entendu faux, résultat de manipulations diverses, du refus d’identifier notre vraie crise, et d’ailleurs de quelle menace s’agit-il sinon d’une menace “contre la contre-civilisation”, – et ainsi tout est dit.) Si le terrorisme est cette menace, il faut pour le combattre exactement évaluer ce qu’il en est, et mettre en évidence de façon publique et circonstanciée pour que le public participe à cette lutte les erreurs commises pour repousser cette menace sinon la réduire, sinon la détruire (erreurs incontestables puisque la menace n’est ni détruite, ni réduite, ni repoussée) ; il faut signaler les abus innombrables du point de vue de la surveillance des citoyens et des cadres institutionnels qui conduisent à des situations de tension, à des situations rompant les solidarités nationales et favorisant le terrorisme, et ainsi de suite. Pour cela, il faut que le système de la communication développe la puissante vérité de cette situation en se débarrassant des entraves du Système et de ses narrative.

Cela signifie que nous en venons à l’essentiel pour notre compte : pour parvenir à ce que McGovern juge indispensables, il faut transformer la presse-Système et tout ce qui tourne avec en un moyen de communication qui opère hors des normes-Système auxquelles ils se sont jusqu’ici totalement soumis. (Ou bien les liquider, non, “la presse-Système et tout ce qui tourne avec” ?) Le problème n’est plus alors celui de la “liberté d’expression” pour lequel les citoyens sont descendus par millions dans les rues de la douce France, mais celui de la “libération de l’expression” ; problème infiniment plus ardu, tout simplement existentiel, sur lequel le Système ne peut transiger car c’est, comme on vient de le dire, son existence qui est en jeu . Si l’on “libère l’expression”, dont la “liberté” s’exerce entre des barreaux ripolinés et maquillés aux couleurs postmodernistes, toute l’infamie du Système éclate et toute la pourriture de ses narrative surgit comme une infection épouvantable, – les fautes antiterroristes, les tortures qui ne servent à rien, l’état de la Libye libérés et pourquoi, la Syrie, l’Ukraine, la corruption des systèmes électoraux, la haute finance, bla bla bla ... On comprend que la “libération de l’expression” (ou si l’on voulait être plus précis “libération de la liberté de l’expression”) est infiniment plus explosif que celui de la « liberté d’expression” qui devient à la lumière de la vérité de sa situation une plaisanterie républicaine et laïque pour remplir les talk-shows, une sorte de faux-nez armé des mâchoires serrées de Manuel Vals ; leur “liberté d’expression” étant, comme l’on sait, une liberté conditionnelle dans les normes du Système... Cela, la “libération de l’expression” face au pseudo-terrorisme sur lequel le Système veut bâtir sa dynamique de surpuissance, c’est le très, très grand défi ... C’est de la pure équation surpuissance-autodestruction.

Note

(*) Pour nous l’“infiltration constructive” des réseaux terroristes ne serait pas nécessairement faite dans le but de détruire les terroristes comme les USA résolvent les problèmes (“Nous, aux USA, on ne résout pas les problèmes, on les écrase”, – parole d’un général US en 1993). Il s’agirait de diviser, voire de les retourner par manœuvres puis par conviction. Les SR français, – le SDECE de renseignement, et non la DST de police du renseignement, – réussirent à partir de 1957 à introduire le phénomène de la “bleuite” au sein du FLN conduisant à des affrontements internes culminant en 1960, et aussi à la fameuse offre d’acceptation de “la paix des braves” de De Gaule du chef rebelle Si Salah, – que finalement de Gaulle repoussa, entraînant la liquidation de Si Salah et de ses troupes par les durs du FLN. Cela conduit à souligner que ces affrontements dupliquaient un réel antagonisme au sein du FLN, entre “démocrates”, notamment ceux de la Willaya IV d’Alger, et les “staliniens” de type-Amirouche. Nous écrivions dans notre texte du 11 novembre 2010 (une réflexion sur “la légitimité et l’intuition haute” évoquant la personnalité du commandant Denoix de Saint-Marc, putschiste antigaulliste du 1er REP en avril 1961 à Alger, évoluant sur la fin de sa vie vers une reconnaissance que de Gaulle représentait bien la légitimité dans ces circonstances malgré les souffrances, les injustices, les terribles événements, etc.) ... «Pour ce “parti des salonards” et en a parte, une saine lecture devrait être celle de “J’ai été fellagha, officier français et déserteur, – du FLN à l’OAS”, de Rémy Madoui (au Seuil). Rémy (ou Sid Ali) Madoui, Algérien, combattant du FLN à partir de septembre 1955, devenu cadre supérieur de la Willaya IV (région d’Alger), “purgé” en 1960 par les staliniens du même FLN, – ceux-là qui prirent le pouvoir à l’indépendance, – pour ses tendances démocratiques et soumis à un séjour d’un mois dans un camp de torture du toujours même FLN en Algérie, sorte de Guantanamo avant l’heure, avant de s’évader pour rejoindre l’armée française et y devenir officier. Cela, aussi, aide à mieux cerner les réalités de la légitimité des uns et des autres dans des temps incertains.»

... Cette sorte d’exemples du passé permet de montrer combien les stéréotypes dont nous gavons nos têtes formatées-Système devraient être soumis régulièrement à des révisions impliquant, plutôt que de se gargariser de “liberté d’expression”, la “libération de l’expression”.


Mis en ligne le 14 janvier 2015 à 10H22

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