Panem et Circenses... et Bolton en prime 

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Panem et Circenses... et Bolton en prime 

L’un des moments les plus imprévus pour ceux qui savent ce que fut jusqu’ici la personnalité et les opinions de John Bolton fut celui-ci, lors de sa rencontre avec Poutine, mercredi dernier, en vue de préparer le sommet d’Helsinki du 16 juillet, où l’on entendit ce diable-neocon se répandre en compliments au terme de ce court extrait du dialogue  :

« “Je tiens à vous féliciter pour avoir remporté le droit d'accueillir la Coupe du monde de football en 2026. Jusqu'à présent, nous avons réussi à organiser ce championnat à un niveau décent. Nous serions heureux de partager notre expérience avec vous”, a déclaré M. Poutine à Bolton lors des pourparlers de Moscou. Bolton a répondu qu’il espérait “apprendre comment vous avez géré la Coupe du Monde avec autant de succès”. »

A l’autre bout du monde mais commentant aussitôt cet échange Poutine-Bolton, Trump s’est emporté d’enthousiasme pour la capacité d’organisation de la Coupe du Monde par les Russes, – à laquelle son fils s’intéresse avec passion. Alors qu’il recevait le président du Portugal et à l’écouter répondre aux questions des journalistes sur l’événement (la Coupe du Monde) sans beaucoup de rapport avec les relations bilatérales USA-Portugal, Trump nous laissa entendre avec emphase que la Russie est un pays d’exception et, par conséquent, Poutine un homme exceptionnel, rien de moins...

« Le président américain Donald Trump a salué l'organisation russe de la Coupe du Monde 2018 et a déclaré que les États-Unis étaient “très honorés” d'être choisis en tant qu'hôte en 2026, avec le Canada et le Mexique.

» “Mon fils adore le football et il aime regarder la Coupe du monde”, a déclaré Trump à la Maison Blanche, lors d'une séance photo avec le président du Portugal, Marcelo Rebelo de Sousa. “Ils ont vraiment fait un travail fantastique avec la Coupe du Monde. C’est excitant, même si vous n'êtes pas un fan de football”, a-t-il déclaré, se référant à la Russie. “Je pense que l’organisation a été fantastique, ils ont vraiment réussi à mettre en place un spectacle vraiment très remarquable”. »

Il est vrai que cette Coupe du Monde de football était attendue comme un événement politique et sociétal autant que comme un événement sportif, puisqu’il s’agit de la Russie. D’ores et déjà, l’événement est salué comme une réussite sans guère de précédent d’un point de vue logistique, technique et humain (accueil, attitude de la population russe, etc.), dans une mesure qui dépasse très largement le cadre du sport pour s’installer dans celui du système de la communication dont le caractère politique est connu. On peut citer les déclarations de l’entraîneur de l’équipe de Belgique après la victoire de son équipe (1-0) contre l’Angleterre, dont les Russes se sont évidemment délectés (des déclarations plus que de la performance sportive) :

« ...Vraiment impressionnant. J’ai été impliqué dans les deux dernières Coupes du monde au jour le jour, connaissant bien les questions de logistique et le fonctionnement de l’organisation de cet événement, et bien je dois admettre que cette Coupe du monde est de loin la meilleure dans laquelle j'ai été impliqué... [...] L’organisation a surpris tout le monde, je pense qu'elle a donné une image incroyable du peuple russe, de la Russie en général. [...] C’est une Coupe du Monde impressionnante, vraiment impressionnante du point de vue des infrastructures et des équipes... »

Un pays important, pourtant, manque à l’appel. Dans Russia InsiderPaul Kindlon observe que la couverture médiatique de la Coupe du Monde est, dans la presse aux USA, – bien entendu presseSystème, –  « virtuellement non-existante. C’est un black-out virtuel. »

« Pourquoi est-ce non-existant? Parce qu’ils attendent les MAUVAISES nouvelles. Croyez-moi, s’il y avait un cas d’une bande hooligans qui attaquerait un groupe ou l’autre de supporteurs, ou un groupe de supporteurs russes qui se battrait avec un groupe de supporteurs d'une autre équipe, les anathèmes habituels de la pensée politiquement correcte jailliraient de partout sous leurs plumes, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

» Pour exposer la vraie nature de la “Russie de Poutine” (l’expression indique la propriété ici), les réseaux américains bien respectés doivent fournir une perspective “experte” par des individus qui sont payés pour écrire de la propagande antirusse ou qui sont motivés par une profonde haine de la Russie et des Russes – un phénomène que nous appellerions normalement le racisme, – mais ce ne sont pas des temps normaux, n’est-ce-pas ? [...] Si l'establishment américain différait de sa couverture négative de la Russie et fournissait une couverture positive de la Coupe du Monde, cela brouillerait le public et saperait ses efforts pour calomnier et dénigrer le nouvel ennemi. Car c'est ainsi que la Russie est perçue – et tant pis pour la réalité. »

... Ainsi devons-nous comprendre que la recette fameuse des empereurs romains décadents pour maintenir de l’ordre dans les rangs de l’empire non moins décadent, Panem et Circenses, a du plomb dans l’aile. C’est en effet une constante d’un aspect de la critique antiSystème lorsqu’elle verse dans le pessimisme sinon dans le défaitisme d’affirmer qu’il suffit de donner au “peuple” “du pain et des jeux” pour qu’il se tienne coi et aille à l’abattoir, ou dans tous les cas suivent les consignes-Système sans la moindre récrimination. En fait de “pain”, on observera qu’il est souvent à la portion congrue ces derniers temps, mais par contre les “jeux” fleurissent de toutes parts, des smartphones aux JO et aux diverses Coupes du Monde. C’est bien entendu ce dernier point qui nous intéresse.

Les grands événements sportifs, entre autres événements du genre, sont censés détourner l’attention des problèmes courants et faire accepter avec engouement la politique générale d’abrutissement par le Système. Mais nos mœurs ne sont plus celles de l’empire de Néron-Caligula. Le Système a inventé une guerre, – la branche de la “guerre de la communication” de la G4G, – qui n’épargne aucun trait du comportement humain dans l’ère postmoderne, surtout depuis que la jeune pousse sociétale-progressiste s’est mise à pousser à quel rythme. Les grands événements sportifs ont suivi la dynamique du Système dans toute sa surpuissance et sont devenus, sans qu’on s’avise de la contradiction, à la fois des enjeux financiers énormes et des occasions de premier plan de faire de l’agitation politique.

Depuis 2012 et la (ré)élection de Poutine, alors que l’antirussisme est devenu une des branches principales de la politiqueSystème, tout événement dans lequel la Russie est impliquée, et encore mieux organisatrice, est devenu un champ de bataille. Ce fut le cas pour les JO de Sotchi, c’était encore plus le cas pour cette Coupe du Monde de football dont certains espéraient même qu’elle produirait les circonstances conduisant à une révolte populaire et à un coup de regime change ayant enfin la peau de Poutine. C’est exactement le contraire qui se produit : la Coupe du Monde est bien une bataille politique, mais c’est la Russie qui est en train de l’emporter haut la main. Les Circenses n’endorment pas le bon peuple, ils lui font au contraire prendre conscience de certaines réalités politiques, et dans ce cas que la Russie est loin, très loin d’être cet enfer pavé de mauvaises intentions qu’on lui décrit à longueur d’antenne.

... D’autant que le Système en rajoute ! Certains commentateurs sportifs, qui se prennent à “penser politique” en s’imaginant ainsi être un peu plus des “journalistes” dans le sens noble que le terme prétend avoir, sont les premiers à faire des présentations pleines jusqu’à la gueule de sous-entendus sur la situation russe ; tout cela tombe si mal à propos que l’effet inverse est obtenu. C’est ainsi que l’on vit et entendit Patrick Chêne, qui dirige la couverture de LCI pour la Coupe du Monde et qui est fondamentalement un journaliste sportif, évoquer lourdement la corruption qui aurait présidé à la préparation de cette Coupe du Monde russe, pour obtenir des réactions gênées et mitigées de ses consultants qui sentaient tous le décalage de ces remarques avec le climat d’enthousiasme russe et russophile qui émanait de cette compétition ; ce fut un « Parlons plutôt de l’équipe de France » de la ministre des Sports, invitée et plutôt gênée, et surtout le sommet d’entendre un Cohn-Bendit (« N’est-ce pas, Dany ? », disait Chêne), toussotant et répondant en substance et dédouanant Poutine-in personam, “C’est vrai mais il n’y a pas que celle-là, toutes les Coupes du Monde, tous les JO que j’ai suivis de près, partout il y a eu de la corruption”, – ainsi, situation miraculeuse d’un Cohn-Bendit n’embrayant pas sur une attaque anti-Poutine spécifique. Simplement, les événements, même de type-circenses, ne le permettent plus : ils sont certes politisés, mais leur sens politique n’est pas, puisqu’il est exactement le contraire, celui que recherche le Système qui n’a que sa surpuissance pour le guider tandis que sa complète stupidité le différencie des empereurs romains de la décadence.

Ce qui nous ramène, personnalité pour personnalité, au début de cette note. Effectivement, la poignée de mains Poutine-Bolton, sur fond de Coupe du Monde de football portée à la gloire de la Russie, représente un cas qui vaut bien celui de Cohn-Bendit, et même au-delà. On n’a pas assez médité dans le sens de la détente de l’esprit sur l’incroyable virage pris par Bolton, qui représenta de loin la personnalité la plus agressive, la plus belliciste, la plus conforme à la politiqueSystème de l’époque GW Bush, s’entretenant aujourd’hui dans une si chaude cordialité avec Poutine.

Cette rencontre et les embrassades allant jusqu’à la Coupe du Monde, en plus du sommet de Reykjavik, a enflammé bien des flics-Système qui y ont vu une trahison sonnante et trébuchante. Cela conduisit RT à noter, le 29 juin :

« Le conseiller américain à la sécurité nationale a rencontré le président russe Vladimir Poutine mercredi à Moscou, préparant le terrain pour une rencontre entre Poutine et Trump. L’archi-faucon avait in illo tempore accusé la Russie de s'aligner sur l'Iran, “le plus important financier du terrorisme au monde”, et de soutenir de toute sa puissance un “axe du mal”. Alors, la rencontre de Bolton avec Poutine ne peut signifier qu'une seule chose, selon les connaisseurs de cette grande conspiration qu’est le Russiagate : John Bolton a été compromis.

» Le plumitif neocon Michael Weiss a mené la charge, insinuant que la présence de Bolton à Moscou fait penser que les Russes ont probablement une vidéo de lui goûtant le plaisir de se faire asperger d’urine par une prostituée. Pour ne pas être en reste, Anders Aslund, auteur de contes de fées et membre de l’Atlantic Council a déclaré que Bolton avait été “retourné par le Kremlin”. Aslund a fourni des preuves accablantes pour soutenir cette revendication incendiaire, – conformément aux règles déontologiques de l’Atlantic Council : “Bolton montre tous les signes d’une personne retournée par le Kremlin, donnant même sa conférence de presse à l’agence russe Interfax plutôt qu'à l'ambassade américaine. Triste et révélateur.” »

Ainsi pourrait-on dire que la victime la plus célèbre de ce Panem et Circenses inverti fut l’extraordinaire John Bolton qu’on croyait sculpté à jamais dans le marbre du “déchaînement de la Matière” enfantant la prodigieuse politiqueSystème. Songeant à son Panem (la fonction prestigieuse qu’il occupe), il s’est affiché convaincu par les Circenses de Poutine à l’inverse de ce que le Système exigeait de lui. Même les trucs de la décadence se font antiSystème...

 

Mis en ligne le 1erjuillet 2018 à 10H43