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217218 novembre 2015 – En un sens qu’il faut manifester avec sagesse du point de vue de la symbolique, l’on pourrait dire que Daesh nous a rendu un fier service en nous révélant à nous-mêmes ; en un sens, qu’il faut manifester simplement par la bonne information des choses, c’est une sorte de renvoi d’ascenseur puisqu’il est avéré que nous avons littéralement fabriqué Daesh sans autre but que le vertige de la puissance, ou disons mieux de l’hybris parvenu au stade de l’inversion manifeste de ses effets. Bien sûr, employant ce “nous”, je ne fais que constater mon appartenance obligé à cette organisation du monde, cet enfermement, cette pression de la contrainte, ce producteur de souffrances et de révoltes furieuses qu’est le Système. Je parle, ici, de l’intérieur du Système bien que je dispose de divers stratagèmes pour lui échapper régulièrement et l’observer à loisir, comme étranger à lui, désolidarisé de lui et le méprisant, dans ces instant de libération qui me sont bien précieux. (L’inconnaissance, par exemple mais bon exemple, est un de ces stratagèmes.)
Je reprends une remarque d’un texte écrit peu après le 13-novembre pour, me l’appropriant (j’ai des accointances avec dedefensa.org), le développer au-delà de ce qu’il prétendait dire ; c’est-à-dire, l’expliciter et explorer son sens plus avant. Dans ces Notes d’analyse du 16 novembre, il est notamment écrit, au paragraphe où l’on traite de la communication (« la communication diluvienne ») : « Au contraire de “Je-suis-Charlie” et de tant d’autres occurrences, le Système n’avait pas de narrative prête et impérative sinon les ‘usual suspects’ (la barbarie, l’horreur, etc.). » Cela signifie qu’il n’a pas d’explication qui, en dénonçant le terrorisme mais en prétendant expliquer son acte, renforce le Système. Dans le cas de Je-suis-Charlie, c’était la liberté de penser et de s’exprimer, vieux truc-à-la-française devenu truc-Système dont chaque jour nous montre l’application forcenée. Dans le cas de 9/11, dans l’an d’extrême disgrâce 2001,– pour étendre la réflexion à l’origine de toutes choses dans la séquence que nous vivons, – c’était the American Way of Life dont le philosophe du régime Don Rumsfeld affirma le 29 septembre 2001, le plus justement qu’on puisse dire (cette old crapule de Rumsfeld était loin d’être stupide), qu’elle constituait la véritable cible d’al Qaïda (alors, on parlait d’al Qaïda).
(On l’a oublié, mais la véritable riposte à 9/11, ce ne fut pas le Patriot Act et toutes ces autres choses terribles, ces vilenies à-la-Pinochet dont on fait fort grand cas mais qui sont les épiphénomènes cruels et honteux d’un Système aux abois, qui ne changent rien à ses fondements, – et qui ne sont pas à proprement parler nouvelles, ces choses terribles, juste beaucoup moins dissimulées. La véritable riposte, ce fut ces exhortations de GW que Tom Engelhardt rappelait le 29 octobre sur son site TomGram, en chargeant sa plume d’une incrédulité complète et effarée : « Now, hop ahead to that long-forgotten moment when he would finally reveal just how a twenty-first-century American president should rally and mobilize the American people in the name of the ultimate in collective danger. As CNN put it at the time [20 september, 2001], “President Bush... urged Americans to travel, spend, and enjoy life.” His actual words were: “And one of the great goals of this nation's war is to restore public confidence in the airline industry and to tell the traveling public, get on board, do your business around the country, fly and enjoy America's great destination spots. Go down to Disney World in Florida, take your families and enjoy life the way we want it to be enjoyed.” » On comprend la désolation d’Engelhardt mais il s’agissait bien de la riposte du Système, en l’occurrence de sa filiale US : puisqu’il y a attaque contre l’American Way of Life, ripostons en pratiquant plus que jamais l’American Way of Life, et l’arme absolue de ce combat c’est d’emmener ses bambins à Disney World, en Floride après avoir acheté quelques actions pour permettre aux banksters de Wall Street de prospérer de feux d’artifice type-septembre 2008 en feux d’artifices à venir.)
“Nous sommes en guerre”, disent-ils, comme l’ancien secrétaire d’État Haig disait, l’après-midi de 9/11 “We are at war”. Dire cela, c’est évacuer le problème ou plutôt le nier, l’ignorer, le repousser, se voiler la face d’un geste nerveux et fiévreux pour ne rien voir. Notre problème n’est pas de faire la guerre, en admettant que nous parvenions à identifier de quelle guerre il est question, avec quel ennemi nous avons à en découdre et ainsi de suite. Notre problème est que, dans notre décrépitude absolue du point de vue du sens, nous n’avons rien à défendre qui vaille la peine, ou l’héroïsme, ou l’abnégation si l’on veut, d’être défendu. D’ailleurs, nous ne savons plus ce que sont la peine, l’héroïsme et l’abnégation, ce qui est déjà effleurer le problème.
En subissant cette attaque cette fois où nous nous trouvons à court de narrative puisque notre seule riposte est d’annoncer une guerre que nous n’avons ni les moyens, ni l’habileté, ni la volonté de faire jusqu’à son terme qui serait une victoire décisive et une paix véritablement pacifiée, nous découvrons que nous vivons selon une façon d’être et non plus selon une raison d’être, et que cette “façon d’être” est une dévastation de l’être. Aujourd’hui, il serait ridicule de riposter comme firent Rumsfeld-Bush en proclamant la grandeur d’une American Way of Life qui s’abîme dans le désordre et la corruption américanistes, qui n’est plus que la caricature d’elle-même, caricature d’une infamie, donc infamie d’une infamie. BHO ne s’y risquerait pas, le brave homme, craignant de compromettre le legs qu’il va laisser à l’histoire dans un peu plus d’un an et se contentant de soupeser le nombre de dizaines de soldats qu’il va expédier pour faire de la figuration anti-Daesh. C’est encore plus ridicule pour la France qui est cette fois l’héroïne souffrante et célébrée de l’attaque, parce que la France a abandonné depuis longtemps la French Way of Life, frappée d’apostasie et d’obsolescence honteuse comme chacun sait.
Ainsi en est-il à ce point que nous n’avons plus toutes ces “façons d’être” à brandir devant l’ennemi pour lui signifier que nous les défendrons jusqu’à quelque chose qui ressemblerait à la mort en la singeant. Alors, dans la débandade, nous nous replions sur ce qu’il nous reste, c’est-à-dire sur ce qu’il doit normalement nous rester, sur le fondement, sur notre “raison d’être” ; et cela, pour nous apercevoir avec terreur et fureur que, hop ! – disparue, envolée, finito l’argument décisif et sans réplique de “la raison d’être” auquel nous ne prêtions plus aucune attention en le tenant pour acquis, “lo spettacolo è finito” ...
Il y a de quoi être à la fois horrifié (pas par Daesh mais par ce que nous sommes devenus) et furieux (de ce que nous sommes devenus) ; il y a de quoi ... Et aussitôt, me dis-je, avec un joyeux “hop !”, la revoilà notre raison d’être ! Aujourd’hui, en plein jour et dans la lumière, je constate cette évidence que notre seule “raison d’être” possible est notre horreur et notre fureur devant ce que nous sommes devenus, la première alimentant la seconde et réveillant, à partir du constat horrible de la chute accomplie, le besoin furieux de se transformer décisivement en se relevant.
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