Nous sommes dans l’après-Assad, et Assad est toujours là

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Nous sommes dans l’après-Assad, et Assad est toujours là

Il y a maintenant quatre ans qu’une partie importante, sinon essentielle, de la Grande Politique des pays de la civilisation occidentaliste, dits bloc-BAO dans notre jargon, se trouve résumé par le mot d’ordre fulgurant dit-AMG. “Assad Must Go” (AMG), cela suffit à notre bonheur, et là-dessus les philosophes, Fabius, Cameron, le président-poire, BHO et BHL ne cessent de broder en répétant le même point de leur couture audacieuse : “Assad Must Go”, et, tout soudain tout ira bien. Mais notre pouvoir de persuasion, notre capacité de créativité politique sont si grands qu’il commence à apparaître très précisément qu’avant qu’AMG soit accompli, – et il est loin de l’être si l’on considère l’entêtement d’Assad soutenu par ses amis russes, iraniens et hezbollesques, voire irakiens, – nous avons déjà les conséquences d’AMG. Assad n’est pas encore parti et bien loin de partir, et nous avons d’ores et déjà les conséquences de la situation si Assad partait, ou lorsque Assad sera parti, – c’est selon la plume qui écrit. Cela relève de la magie dira-t-on, mais non, cela relève de nous-mêmes, et de nous seuls, du bloc-BAO sans l’aide de personne...

C’est-à-dire que nous sommes en train d’alimenter avec un zèle forcené l’installation et le développement du Grand-Désordre comme conséquence que l’on jugerait quasi-vertueuse de notre étrange politique. Certes, “Assad Must Go” reste notre but central, notre Saint-Graal, mais l’on peut finalement très bien se passer de cela pour aller immédiatement aux conséquences, et l’on découvre alors que notre véritable but est bien ce Grand-Désordre dont nous faisons tout pour qu’il nous affecte de plein fouet (voir plus loin). Voyons voir de quoi il s’agit.

• Il y a une longue dépêche de Reuters nous décrivant la situation qu’engendre le soutien que nous apportons à divers groupes, dont certains sont même de la sorte nouvelle enfantée dans un obscur bureau brillamment éclairé de la Maison-Blanche, service des communicants, des “terroristes-modérés”, – car effectivement nous avons réussi à créer cette catégorie scintillante, les “terroristes-modérés” (dont l’inénarrable al Qaïda), qui vont nous débarrasser à la fois d’Assad et de Daesh. Eh bien voici, nous dit Reuters le 6 décembre, que ces magnifiques “terroristes-modérés“ se battent entre eux ! Et même, il y a parmi eux des gens honorables, qui ne sont pas si “terroristes” que ça, mais qui, soutenus par les USA, sont l’objet d’une haine considérable de la part du “Calife à la place du Calife  Erdogan, – savoir, les groupes de Kurdes syriens contre les groupes turkmènes également de Syrie, avec l’interférence de divers groupes qu’on suppose islamistes... (On notera que Reuters cite, dans ce cas, l’impeccable “Observatoire Syrien des Droits de l’Homme”, source universelle du bloc-BAO pour suivre la situation syrienne.)

« The fighting pitched factions of the Free Syrian Army, supported by Turkey and known collectively as the Levant Front, against the YPG and Jaysh al-Thuwwar – both part of the Democratic Forces of Syria alliance backed by Washington. The Syrian Observatory for Human Rights, a Britain-based group that monitors the conflict in Syria, said Levant Front was supported in the fighting by the Ahrar al-Sham Islamist group and the al Qaeda-linked Nusra Front. »

Tout cela conduit Jason Ditz, d’Antiwar.com, ce 7 décembre, à observer que ce qui était prévu comme devant être une “guerre par procuration” (proxy war) des groupes aidés en approvisionnements et en armements par les USA et par la Turquie pour faire tomber Assad en attendant le tour de Poutine, aboutit à des affrontements farouches entre les membres actifs de cette farouche coalition-AMG. Effectivement, il s’agit bien d’un processus où les conséquences dépassent avec une grande dextérité les causes qui étaient censées les engendrer (personne n’ayant jamais douté que le départ d’Assad engendrerait le Grand-Désordre le plus complet) ; et l'on parvient ainsi, de cette façon qui continue à se juger honorable, à une situation d’inversion qui laisse pantois l’observateur courant. (Encore ne signalons-nous pas assez fortement que la mission de cette coalition est également la liquidation de Daesh, comme obligation de la narrative électorale qui est de plus en plus influencée par les affaires syriennes au travers des divers attentats qu’on sait, sur divers territioires du bloc-BAO.)  

« In what everyone expected would boil down to a proxy war with Russia, US and Turkish officials have been throwing ever-growing numbers of weapons at their favorite rebel factions, nominally bulking them up against ISIS, but also giving them weapons meant to be used against the Syrian military itself. Proving that nobody can predict just how much these schemes are going to backfire, however, the reports out of northern Syria today suggest that, instead of fighting Russia, or ISIS, or the Assad government, the US-backed factions and the Turkish-backed factions are just fighting one another. »

• L’autre front, c’est celui de l’esprit extraordinairement messy (cela fait plus chic que le “bordélique” qui était venu sous notre plume) qui caractérise nos directions-Système dans la gestion dialectique du Grand-Désordre qu’elles croient dur comme fer contrôler si magnifiquement. L’intervention de l’étonnant Obama lors d’une solennelle et bombastique Adress to the Nation (la troisième de son règne, car l’on met les petits plats dans les grands) a suscité à Washington des commentaires stupéfaits de divers côtés, des libéraux de plus en plus anti-BHO aux multiples candidats républicains et bien entendu conservateurs, soit bellicistes soit atypiques.

Sur ConsortiumNews, Daniel Lazare résume l’affaire avec le titre de son commentaire du 7 décembre, « The Incredible Shrinking President », ou le président Obama en mode-turbo de dissolution accélérée. On citera quelques paragraphes du début et quelques autres de la fin d’un texte qui vaut d’être lu en entier pour substantiver cette impression délicieuse de confusion et de désordre touillés dans un cloaque de narrative, de fausses affirmations, de constats invertis, d’où finalement n’émerge strictement aucun sens dont on puisse faire quoi que ce soit (sinon celui, – après tout pourquoi pas, – de la montée des fameux néo-fascistes français du Front National, lequel a su si bien cacher son jeu en s’opposant bruyamment aux néo-nazis de Pravy Sektor en Ukraine, dorloté par toutes les démocraties-UE qui se respectent). Tout cela devrait alimenter les craintes des vigiles de la pénétration islamiste de l’administration Obama qui préparent un coup d’État contre le président, sans faire croire une seconde que quoi que ce soit de cet effondrement abyssal mais confortable dans le Grand-Désordre puisse être changé.

« But otherwise he was the incredible shrinking president. The problem was not so much his use of clichés – the victims are “part of our American family … founded upon a belief in human dignity … let’s make sure we never forget what makes us exceptional,” etc. – rote phrases that are somehow meant to be reassuring and comforting. Rather, it was the denials, half-truths and outright misstatements that leave no doubt that the man is clinging to a failed policy and that whatever changes he makes in the wake of the San Bernardino killings will only make matters worse.

» As for half-truths and misstatements, perhaps the best place to begin is with the concept of terrorism. Although Obama spoke the T-word some two dozen times during the course of his address, he holds a selective view of what it means. While everyone agrees that setting off a bomb on a crowded bus is terrorism, what about using an F-16 to deposit a bomb in the middle of a Yemeni wedding party – is that terrorism too? If shooting up health workers is terrorism, then what about using an AC-130 gunship to bomb and strafe hospital workers in Afghanistan? What is the difference? [...]

»...But under his watch, Al Qaeda and ISIS have expanded from Bangladesh to Morocco, with the latter now in charge of a territory the size of Great Britain in northern Syria and Iraq. How many more such victories can the world take – and how much longer can the U.S. government keep covering up for the Saudis?

» If Marine Le Pen’s neo-fascist National Front emerged as the biggest winner in French regional elections this weekend and Donald Trump is now 20 points ahead of his Republican competitors, it’s because voters have lost confidence in their leaders’ ability to combat ISIS and Al Qaeda. The only way they know how to respond is by closing U.S. borders and keeping out anyone who looks the least bit like a “terrorist.” If Obama’s gun-control message is failing to make headway, it is for the same reason. If the government can’t protect them against ISIS, growing numbers of Americans figure that the only solution is to protect themselves by arming to the hilt. Thus, fear of “terrorism” contributes to the street-level arms race that Obama is unable to contain.

» Obama’s core contradiction is that he wants to battle ISIS while catering to ISIS’s co-thinkers in Riyadh. He wants to rein in ISIS savagery in Syria and Iraq while aiding Saudi savagery in Syria and Yemen. He wants to protect Americans while protecting those who allow money and weapons to flow to forces trying to kill Americans. »

Puisque il est par ailleurs constaté de tous côtés comme une évidence implacable que le sens de la tragédie nous a complètement échappé au profit de l’autosatisfaction permanente pour ce que nous sommes, il devient à défaut difficile de garder tout son sérieux devant ce spectacle étonnant de la conduite de notre contre-civilisation, rassemblant toutes ses forces de désordres dans le conflit syrien (phase Syrie-II), pour faire sentir le maximum de ses effets aux niveaux intérieurs. Il nous semble manifeste, en effet, qu’à ce rythme, et tout cela ponctué par des attentats épisodiques de Daesh dans nos contrées qui semble équivaloir par l’écho de communication qu’ils reçoivent aux grands massacres des grandes guerres que nous avons connues, le Grand-Désordre syrien ne finisse pas par constituer directement un facteur majeur des grandes confrontations électorales qui nous attendent, – plus précisément aux USA l’année prochaine et en France l’année suivante.

Il est tout autant manifeste, en effet, que plus personne, ni aux USA ni en France, ne sait comment imaginer une façon ou l’autre de se sortir de l’imbroglio extraordinaire que vont constituer les deux élections présidentielles dans ces deux pays. Il y a dans le rapprochement, involontaire à cet égard, que fait Daniel Lazare sur la fin de son texte consacré aux affaires syriennes vues de la Maison-Blanche, entre Marine Le Pen en France et Donald Trump aux USA, comme une suggestion extrêmement insistante de cette connexion entre Syrie-II et les affaires intérieures des deux grands pays du bloc-BAO, la France et les USA.

(En aparté, On appréciera en effet comment la France, malgré l’extraordinaire marigot de médiocrité politique où elle se débat, finit par regagner une place majeure dans le récit politique du naufrage de la contre-civilisation occidentaliste, au côté des USA, dans le chef de ces forces subversives qui sont en train d’accaparer le processus électoral démocratique censé protéger le Système de toute mise en cause. Ainsi la France retrouverait-elle, par un étrange tour de passe-passe qui ne peut qu’indigner les bonnes consciences, sa place centrale, au côté des USA comme ce fut souvent le cas depuis 1776, dans l’échiquier du destin occidentaliste. Il n’y a là rien pour se réjouir, ni d’ailleurs pour se désespérer ; il s’agit d’une évolution naturelle d’un Système en mode de surpuissance et aux abois en même temps, et qui cherche par tous les moyens possibles à transformer sa surpuissance en autodestruction. Nous serions conduits effectivement à penser que, plus qu’aucune autre entité, plus qu’aucune communauté, plus qu’aucune nation, plus qu'aucun observateur épuisé et commentateur exacerbé, c’est le Système qui aura raison de lui-même parce que finalement, il est prisonnier de lui-même et il est le premier à ne plus pouvoir se supporter. Il serait excellent et bénéfique que l’un ou l’autre dirigeant politique puisse parvenir à penser de cette façon qui paraît absolument loufoque mais qui, dans les circonstances actuelles, pourrait s’avérer être la sagesse même.)

 

Mis en ligne le 8 décembre 2015 à 11H16

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