Notes sur un durcissement général

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Notes sur un durcissement général

2 août 2019 – La situation générale de la Grande Crise de l’Effondrement du Système présente actuellement plusieurs facteurs, extérieurs et intérieurs, indiquant la poursuite de la montée de la tension entre les acteurs principaux. Nous insistons sur le fait de facteurs extérieurs et intérieurs, car les situations extérieures et intérieures de ces acteurs sont de plus en plus intimement liées et répondent à la même logique de cette montée de la tension.

• Dans le domaine extérieur, la crise iranienne est le centre de l’activité crisique. En fait de “crise iranienne”, il s’agit désormais d’une crise générale d’une zone stratégique géopolitique et géoéconomique, — le Golfe persique et le détroit d’Ormouz, – où les acteurs impliqués ont des positions de plus en plus diverses et indépendantes des habituelles sources de tension, principalement les USA qui perdent de plus en plus leur capacité d’imposer leur politique anti-iranienne.

• Cette diversité et cette indépendance se manifestent sous la forme d’un durcissement général à l’encontre de la poussée belliciste constante des USA. Ce durcissement est le fait de l’Iran, qui confirme sa position déjà affirmée avec force ; de la Russie, qui s’engage de plus en plus nettement au côté de l’Iran ; des pays européens, qui repoussent les injonctions US à participer à une “coalition” navale indirectement anti-iranienne dans le Golfe (France et Allemagne), ou qui tempère un engagement initial imposé par les USA (le Royaume-Uni).

• Dans le domaine intérieur, il y a un durcissement perceptible, du côté russe et chinois, face à des troubles internes ou très-voisins qui sont perçus comme des tentatives de déstabilisation venues de l’extérieur, que ce soit ou non le cas. Il s’agit d’une position d’opposition désormais active à ce qui est supposé être une agression du type regime changeévidemment développée par les USA.

L’arraisonnement du Stena Impero

L’arraisonnement le 19 juillet du Stena Impero, pétrolier britannique passant le détroit d’Ormouz, par un commando héliporté des forces spéciales des Gardiens de la Révolution iraniens, a marqué une étape importante dans la montée de la tension de la crise iranienne mais aussi, comme nous l’avons signalé, de l’élargissement de cette crise à une zone stratégique, géopolitique et géoéconomique.

(L’action iranienne vient après la saisie du pétrolier iranien Grace 1 par les Britanniques dans le détroit de Gibraltar, et constitue évidemment une riposte dans une situation où les Iraniens tiennent une ligne d’action inflexible, correspondant au maximalisme de la politique américaniste contre eux.)

On observera que cet “élargissement” de la crise, promptement accéléré par les USA, directement ou indirectement (par Britanniques interposés), n’est pas nécessairement un avantage pour ces mêmes USA. En un sens, l’élargissement revient à accepter les règles du jeu stratégiques de l’Iran qui, dès le début de cette phase crisique, a averti que toute attaque aérienne (des USA et/ou d’Israël essentiellement) déclencherait une riposte asymétrique, par diverses actions dont la plus probable et la plus importante du point de vue international serait très probablement la fermeture du détroit d’Ormouz et l’interruption de l’acheminement du pétrole. Ensuite, cet avertissement a été nuancé par des hypothèses de scénarios alternatifs (attaque des champs pétroliers saoudiens notamment) mais l’effet de communication est resté fixé sur Ormouz, qui est un point géographique à l’extrême signification symbolique.

Par cette simple mécanique de communication, effectivement, le champ de la crise s’est “élargi” vers l’espace naval Ormouz/Golfe avec les divers incidents qu’on a vus, dont la prise du Stena Impero est le dernier en date.

Le résultat de la perception qu’on a de l’évolution de la crise est que l’Iran s’est sorti de la position de pays assiégé et isolé qu’il avait au tout début de la séquence. Nous ignorons si quelqu’un l’a voulu ainsi, mais nous croyons que c’est bien le résultat : l’Iran n’est plus pressé sur ses côtes et dans son espace aérien, la crise se joue dans l’espace naval Ormouz/Golfe, et l’Iran y marque des points devant les pays du bloc-BAOqui se découvrent de plus en plus extrêmement divisés, et même entre USA et UK dans la mesure où les Britanniques ont été lancés dans l’affrontement par les USA, puis abandonnés par eux selon une habitude bien américaniste :

« Dans un mouvement auquel on est habitué, la mosaïque du pouvoir US a doublé l’incitation faite aux Britanniques de s’engager dans la “piraterie légale” anti-iranienne selon les conceptions de Bolton par une attitude plusieurs fois réaffirmé du secrétaire d’État Pompeo selon laquelle les USA se lavent les mains de la question des pétroliers arraisonnés, du seul ressort du Royaume-Uni. »

On peut se demander si les circonstances, et l’habituelle grossièreté de l’action maximaliste et faussaire des Bolton-Pompeo n’ont pas donné un avantage stratégique imprévu à l’Iran en desserrant l’étau autour de ce pays sans qu’il abandonne sa position extrêmement dure mais justifiée. Cette évolution a “internationalisé” la crise dans sens le plus critique, c’est-à-dire en offrant une aire stratégique importante où la discorde entre alliés peut se développer et ainsi conforter la position iranienne.

Cela justifie d’autant plus de connaître les détails de l’arraisonnement du Stena Imperoque nous donne Elijah J. Magnier le 31 juillet. On sait combien ce commentateur est proche, par ses sources, des Iraniens comme il est proche des Syriens. Les détails qu’il donne rendent compte à notre sens, de la position iranienne, comme s’il s’agissait d’une version “officieuse” ; où l’on voit que l’Iran veut montrer que son intervention a été délibérée, décidée au plus haut niveau, dans une parfaite coordination, et s’inscrivant dans un plan de riposte dure aux “pression maximales” des USA. On note qu’il est affirmé “en passant” que les sabotages de pétroliers, premier acte étendant la crise au Golfe et d’abord mise au crédit de la politique de provocation de Bolton-Pompeo/USA, sont présentés sans la moindre hésitation comme une initiative iranienne (« Le Corps des gardiens de la révolution islamique [CGRI] a envoyé de nombreux messages, en abattant un drone américain, en sabotant des tankers et en en capturant un»). Les Iraniens ont admis et conclu que l’extrême dureté de leur position est extrêmement payante ...

Ci-dessous une partie du texte de E.J. Magnier (traduction de Dominique Muselet).

Pourquoi le HMS Montrose n’a-t-il pas tiré ?

« [...] ...“Je vous ordonne de ne pas intervenir dans mon opération. Le pétrolier est sous mon contrôle. Ne mettez pas votre vie en danger”. Voilà exactement ce que l’officier de la marine iranienne des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) a dit au commandant du Foxtrot 236 [le HMS Montrose]lorsque les forces spéciales iraniennes s’apprêtaient à aborder le pétrolier Stena Impero. Mais pourquoi a-t-il averti la marine britannique de “ne pas risquer la vie de ses soldats” ?
» Les radars de la marine britannique avaient découvert que des radars actifs de guidage de missiles les suivaient au moyen de radars semi-actifs depuis différentes plates-formes de lancement – des radars principaux qui pouvaient facilement engendrer une attaque intensive pour rendre le navire impuissant et éventuellement le détruire. Les missiles iraniens étaient prêts à être lancés si le commandant du navire britannique avait décidé d’ouvrir le feu sur les rapides vedettes iraniennes.
» Les lanceurs de missiles iraniens répartis tout au long de la côte iranienne qui surplombe le détroit d’Ormouz ciblaient quatre navires de guerre américains et le navire de guerre britannique et étaient prêts à attaquer. D’autres drones armés iraniens étaient dans les airs, également prêts à attaquer les cibles prévues. L’Iran n’a pas révélé, à ce jour, d’autres missiles plus sophistiqués qu’il a fabriqués et qu’il pourrait mettre en service en cas de guerre.
» Le commandant britannique du Foxtrot 236 de la Royal Navy a décidé de renoncer au Stena Impero et de laisser la diplomatie de son pays prendre la relève pour éviter les grandes pertes humaines inévitables dans une confrontation militaire.
» Cependant, le gouvernement britannique veut sauver la face. Il doit donc rejeter tout échange de pétroliers. La Royal Navy avait auparavant confisqué un superpétrolier iranien, Grace 1, à Gibraltar. Londres avait exacerbé le conflit avec l’Iran avec la décision du tribunal de Gibraltar de prolonger d’un mois l’arraisonnement du superpétrolier iranien à la demande des États-Unis.
» La seule solution envisageable est que le tribunal de Gibraltar s’abstienne de jeter encore plus d’huile sur le feu en mettant fin à la détention du Grace 1, une fois le délai d’un mois écoulé. Cela permettra à l’Iran de libérer Stena Impero du port de Bandar Abbas et de mettre fin à la crise.
» Pourquoi l’officier du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a-t-il ordonné au commandant britannique de se tenir à l’écart alors que le HMS Montrose était à portée de main, avec quatre autres frégates américaines bien armées et prêtes à attaquer ?
» Lorsque les autorités britanniques ont décidé de prolonger la saisie du “Grace 1”, cela a sonné le glas de l’initiative d’Emanuel Bonne (l’envoyé présidentiel français) pour obtenir la libération du super tanker iranien. La décision du Royaume-Uni de torpiller l’initiative de son partenaire européen et de se conformer à la position étasunienne a montré la fragilité de l’unité de l’Europe. Londres a accepté d’être un instrument de la politique de Trump.
» C’est alors que le leader iranien Sayyed Ali Khamenei a ordonné au commandant du CGRI Hussein Salameh d’arrêter le premier navire britannique et de rendre coup pour coup. Après un soigneux passage en revue de tous les navires naviguant dans la zone, Salameh a été informé à propos du Stena Impero, mais aussi des cinq navires militaires occidentaux naviguant à proximité. Le commandant du CGRI a informé Sayyed Khamenei qui a répondu, selon une source bien informée: “N’aie pas peur, Dieu est avec toi. Ils n’oseront pas nous attaquer”.
» C’est ainsi que la décision a été prise, au plus haut niveau de la hiérarchie iranienne avec les directions spirituelle, militaire et politique toutes rassemblée sous le drapeau de la “protection de l’intérêt national et la sécurité du pays.”
» Malgré la position du Royaume-Uni, l’Europe ne tombera pas dans le piège américain et ne jouera pas le rôle de bouclier dans une guerre que Washington voudrait imposer au continent. Les compagnies pétrolières britanniques sont en train de modifier les immatriculations de leurs navires et de retirer le pavillon britannique pour pouvoir traverser le détroit d’Ormuz en toute sécurité. BP, le géant pétrolier britannique qui a été le premier à le faire, évite d’envoyer des navires dans la région, en utilisant des sous-traitants. C’est une manifestation flagrante de son manque de confiance dans la décision de son propre gouvernement, qui n’est pas dans l’intérêt du Royaume-Uni mais reflète plutôt un dévouement servile à la politique de l’administration Trump.
» Les propriétaires de pétroliers qui naviguent dans le golfe Persique s’assurent contre les risques de guerre. Ils doivent maintenant payer $185 000 de plus pour les super tankers, suite aux évènements de ces derniers mois.
» Le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) a envoyé de nombreux messages, en abattant un drone américain, en sabotant des tankers et en en capturant un. On peut les résumer en un seul : si l’Iran ne peut pas exporter pas son pétrole, aucun pays ne le fera. L’arrivée d’un nouveau navire de la Royal Navy britannique, le HMS Duncan, ne changera rien : il s’ajoutera à la liste des cibles dont les Iraniens disposeront dans le golfe Persique en cas de guerre. La décision américaine de révoquer l’accord nucléaire a non seulement rendu le Moyen-Orient moins sûr, mais elle a également provoqué l’entrée de la Russie dans les mers chaudes de la région : L’Iran a annoncé un exercice naval conjoint avec la Russie dans les prochains mois. L’Iran fait entrer les Russes dans ce qui était autrefois le “terrain de jeu naval” des États-Unis. De toute évidence, la “pression maximale” de Washington ne donne pas les résultats escomptés par les Américains.
» Tant que Trump sera au pouvoir, la situation au Moyen-Orient ne se stabilisera pas. Rares sont ceux qui, dans le monde, ont cru le secrétaire d’État Mike Pompeo quand il a dit que les sanctions étasuniennes paralysaient l’Iran à hauteur de 95 % et que l’influence de l’Iran au Moyen-Orient était sérieusement affectée par les mesures étasuniennes.
» L’Iran défie l’hégémonie américaine et est prêt à la guerre ; il défie ouvertement les États-Unis et le Royaume-Uni. Téhéran se félicite du soutien de la Chine et de la Russie et développe sa capacité de missiles pour compenser son manque de supériorité en mer et dans les airs.
» L’Iran compte sur ses missiles pour imposer ses règles d’engagement et défie les États-Unis ainsi que le Royaume-Uni et sa tradition impériale.
» Les États-Unis ne sont plus en mesure de dicter leur loi à l’Iran ni de lui “couper les ailes”. Téhéran est en train de développer sa technologie de missiles et sa capacité nucléaire. Il est prêt pour l’étape suivante, qui consiste en un nouveau retrait partiel de l’accord nucléaire en dépit des efforts de la France et de l’Allemagne pour se distancier de la position étasunienne. Le monde continuera à concentrer son attention sur cette partie du monde et à suivre anxieusement l’évolution du bras de fer entre les États-Unis et l’Iran. »

L’Europe en croisière

L’évolution crisique (passage à la zone Ormouz/Golfe) touche donc également les pays européens dans le sens où ils sont obligés de prendre des positions plus actives que de simples déclarations soutenant le traité JCPOA sans trop mettre en accusation les USA, pourtant porteurs massifs de l’essentiel sinon de l’exclusivité de la faute. Désormais, ils doivent se déterminer par rapport aux “pressions maximales” as usualdes USA, mais exercées sur eux-mêmes cette fois, pour qu’ils participent à la coalition que les USA rêvent d’établir dans le Golfe pour protéger sur la sacro-sainte liberté de navigation, c’est-à-dire exercer des “pressions (militaires) maximales” sur l’Iran, cela avec les navires de guerre des autres qu’ils commanderaient néanmoins.

Placés devant cette sollicitation pressante des USA, les Européens sont donc obligés de prendre position, c’est-à-dire de refuser une telle option qui serait aussitôt interprétée par les Iraniens comme une sorte de préparation à la belligérance. Les Européens se trouvent coincés entre les diverses “pressions maximales” et leur engagement sans aucun doute sincère dans le traité JCPOA. Il n’est nullement assuré que le calcul US (c’est-à-dire la dynamique habituelle de la brutalité sans le moindre discernement) donne le résultat exigé par l’exceptionnalisme américaniste... Pour l’instant, les Européens tiennent et il leur sera difficile de céder à leur habituel exercice de servilité volontaire, avec un partenaire américaniste qui fait tout pour que l’éventuelle acceptation de leur proposition ressemble à une humiliation maximale et une trahison de tous leurs engagements :

« Mais la stratégie décidée par Washington, consistant à mettre la pression sur ses alliés, ne semble pas porter ses fruits. Le 31 juillet, lors d’une conférence de presse à Berlin, Ulrike Demmer, une porte-parole du gouvernement allemand, a mis fin aux espoirs étasuniens. “La priorité doit être à notre avis les efforts diplomatiques et la désescalade”, a-t-elle rappelé, précisant que “le gouvernement allemand est réticent face à la proposition concrète des États-Unis et c’est pourquoi il n’a pas proposé d’y participer”.
» [Demmer] a par ailleurs indiqué que “l’approche globale” de la politique allemande vis-à-vis de l’Iran “différ[ait] nettement de l’approche actuelle des États-Unis”. Le ministre des Affaires étrangères, Heiko Maas, avait enfoncé le clou dans la soirée alors qu’il se trouvait en visite à Varsovie. “[L’Allemagne] ne participera pas à la mission maritime présentée et planifiée par les États-Unis”, a-t-il martelé, considérant que “la stratégie de pression maximale est erronée”. Il a ajouté ne pas vouloir d’“une escalade militaire”, préférant continuer “à compter sur la diplomatie”. Une affirmation confirmée le même jour par le vice-chancelier allemand et ministre des Finances, Olaf Scholz, qui, dans un entretien à la  ZDF, avait estimé que cette opération n’était “pas une bonne idée”.
» De leur côté, les Français ne semblent pas non plus emballés par le projet américain. “Nous ne voulons pas contribuer à une force qui pourrait être perçue comme aggravant les tensions”, avait expliqué le ministre des Armée, Florence Parly, soulignant, le 26 juillet, qu’il ne s’agirait en aucun cas de déployer des moyens militaires supplémentaires dans la région. Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, avait lui assuré que Paris, Londres et Berlin travaillaient conjointement à la mise en place d’une “mission de suivi et d’observation de la sécurité maritime dans le Golfe”. Une grande partie des Européens semblent donc préférer sauvegarder l’accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015, duquel les États-Unis s’étaient retirés de manière unilatérale en mai 2018, plutôt que de se lancer à corps perdu dans une entreprise susceptible de déboucher sur un désastre. »

... Pour les Britanniques, ils sont engagés dans ce qu’un de nos lecteurs nous signale être une “aporie”. (Voir le Forum d’un autre texte décrivant « un labyrinthe terminé par une impasse » [l’aporie en question], où l’on retrouve effectivement le parcours récent de l’intermède May-Johnson et de la Royal Navy.) Malgré les liens qui unissent Trump et Johnson, il nous paraît bien difficile que le Royaume-Uni risque une belligérance en accompagnant la coalition US dont les USA seraient par ailleurs, semble-t-il, opérationnellement absents sinon pour les commander... Par contre et connaissant les règles surprenantes de ce simulacre déguisé en tragédie-bouffe, Johnson pourrait peut-être s’entendre avec Trump, qui n’est pas insensible à la manœuvre distraiyante de faire trébucher ses principaux conseillers (Bolton-Pompeo) lorsque ces deux-là croient être en vue de la réalisation catastrophique d’une de leurs infamies.

Durcissement discret mais effectif de la Russie

Un événement important qui vient prendre discrètement sa place, c’est ce qui semble bien être un réel engagement opérationnel des Russes avec l’Iran. Comme le signale Magnier, il y a l’annonce de manœuvres navales conjointes entre Russes et Iraniens, “d’ici la fin de l’année” selon une source iranienne (sans que l’on sache s’il s’agit de la fin de l’année du calendrier grégorien, ou du calendrier iranien qui commence en mars) ; et ces manœuvres qui auront lieu dans l’Océan Indien, dans le Golfe Persique, et peut-être bien en Mer Caspienne, – ce qui implique un accord de réciprocité : la Russie soutient l’Iran dans sa crise dans le Golfe, l’Iran soutient la Russie sur son flanc Sud-Ouest avec ses embarras ukrainien et géorgien.

Spoutnik-français précise ceci : « La Russie et l’Iran ont signé un mémorandum de compréhension mutuelle visant à élargir les relations bilatérales, a annoncé Hossein Khanzadi, commandant de la Marine de la République islamique d'Iran. En visite officielle en Russie il a en outre souligné qu’un accord de ce type était sans précédent et que sa signature pouvait être qualifiée de “moment charnière dans les relations militaires entre Moscou et Téhéran”. »

Malgré sa discrétion et son profil réduit aux “opérationnels”, cet accord apparaît important dans les circonstances actuelles, et surtout il se place dans un contexte où nous distinguons un réel durcissement en Russie, vis-à-vis des pressions extérieures et de nouvelles pressions intérieures. La répression de la manifestation du 27 juillet a Moscou a été particulièrement lourde (plus de 1 000 interpellations), et les réactions aux critiques extérieures  singulièrement vives  quoique non sans argument, notamment après l’expression tweetée des préoccupations de la diplomatie française avec son cortège de Gilets-Jaunes (« En ce qui concerne les actions ‘disproportionnées’ de la police lors de manifestations, la France est malheureusement l’une des premières du monde »).

Cette réaction à l’encontre des Français a été répétée à plusieurs reprises, avec les précisions des “bavures” policières contre des journalistes, aussi bien que la mise à l’index de RT et de SpoutnikCela fait beaucoup de la part de la Russie de Poutine, souvent critiquée par ses opposants de droite pour la mollesse de ses réactions vis-à-vis des pressions extérieures portant sur les vertus nécessaires de la démocratie universelle. Il est possible de voir dans toutes ces circonstances, parallèlement à l’accord avec l’Iran, un durcissement russe qui s’accorde à l’évolution de la situation générale ; dans ce cas, on discutera un peu moins des vertus de la démocratie, pour agir un peu plus vivement contre ce qui est perçu comme une menace ontologique contre la sécurité et la souveraineté nationales de la Russie. Si c’est le cas, cela nous signale que l’on passe aux choses sérieuses.

De Hong Kong au Vénézuela

Ainsi mettrions-nous dans la même catégorie d’un “durcissement général” l’attitude chinoise d’une possible réaction contre les événements en cours à Hong Kong depuis une quinzaine. Cette réaction pourrait, dans certaines circonstances, prendre la forme d’une intervention armée. Que ceci soit fondé ou pas importe peu, mais il y a une similitude d’interprétation des Russes et des Chinois des événements signalés, tous perçus entièrement ou en partie comme des opérations de déstabilisation selon la technique du regime change ; et cette interprétation induit un durcissement, de la même sorte que celui des Iraniens, face à une direction américaniste perçue non seulement comme subversive mais comme étant devenue folle, d’une folie qui ne connaît plus de bornes ni de répit parce qu’elle est liée à la perception inconsciente (non reconnue et non acceptable) du déclin américaniste.

Le professeur à l'Université de Téhéran Seyed Mohammad Marandi, qui faisait partie de la délégation iranienne qui a aidé à négocier le traité JCPOA de 2015, explique rationnellement le cercle vicieux confinant à la folie (le “sentiment d’insécurité” conduisant à une paranoïa sans frein)qui affecte la direction US prise comme un tout, hors de toute question de personnes : « Les États-Unis, qui sont dans la dynamique d’un empire en déclin, sont de moins en moins tolérants à l'égard des voix dissidentes, mais je pense que cela expose aussi plus clairement le déclin des États-Unis et leur sentiment croissant d'insécurité »... Plus ils sont en déclin, plus ils veulent s’affirmer en voyant partout des menaces contre leur puissance, plus ils montrent combien ils sont devenus faibles du fait de leur déclin, plus leur déclin accélère : un tourbillon crisiqueprécipitant dans le trou noir de l’effondrement.

Cette dynamique explosive semble atteindre les limites de la tolérance pour ceux qui la subissent directement, – et même pour ceux qui la subissent indirectement, comme les Européens. A cause des actions US déclenchées sans aucune précaution ni la moindre conception tactique pour un but stratégique qui peut se rapporter soit au nihilisme soit à l’entropisation, sans aucune attention pour la légalité, sans aucune précaution pour les effets et les conséquences sur les équilibres et sur les alliances, naît et grandit ce phénomène constaté plus haut d’“élargissement” des crises conduisant à la confusion des faiseurs de crise (USA & le reste quand c’est le cas) et au désenclavement des situations d’assiégé et de solitaire de celui qui subissent l’agression. C’est le cas de l’Iran, ce pourrait être demain le cas du Vénézuela si Trump met sa menace à exécution de déployer un blocus naval contre ce pays, qui le conduirait à un risque d’une possible confrontation navale avec des pays tels que la Chine, la Russie et l’Iran ; là aussi, il y aurait “élargissement” de la crise comme on a vu plus haut pour l’Iran.

La situation intérieure des USA ne peut non plus, bien évidemment, être ignorée dans cette évolution, alors que la tension monte à l’approche de l’élection USA-2020 dans un climat de fracture du pays sans précédent, alors que les réflexions concernent désormais de manière ouverte des options de démembrement, de guerre civile ou de dictature des États-Unis. Ce climat agit d’une façon indirecte mais extrêmement puissante sur les pulsions paranoïaques de la politique extérieure. La dégradation de la situation depuis USA-2016 est proprement stupéfiante, alors que les avis des analystes capables de garder un peu de sang-froid étaient, durant la campagne échevelée USA-2016, qu’une fois l’élection faite s’opérerait un retour à un certain calme à l’intérieur du système politique et institutionnel des USA. Ainsi peut-il être admis qu’une étape importante, voire gigantesque, a été franchie entre USA-2016 et USA-2020, et bien entendu avec les conséquences de cet ébranlement sismique sur la direction US, et sur ce qui tient lieu de “politique extérieure” sont considérables.

La question de plus en plus pressante est de savoir jusqu’où les victimes de ce phénomène cosmique d’effondrement de l’“Empire” (dito, du Système) vont tenir avant de décider qu’il devient préférable, plutôt que de contenir les effets de la folie, plutôt de les accélérer dans l’espoir que la folie détruira le fou avant de déclencher des événements imprévisibles. L’attitude de l’Iran, qui n’est nullement passionnée ni affective, mais bien froidement calculée, n’est pas loin d’atteindre ce point, et les Russes et les Chinois ne sont plus très loin de l’Iran à cet égard. Lorsque nous y serons, il ne restera alors plus à l’Europe et à ses divers galopins qu’à singer l’un des épisodes d’Apollo : “Allo Bruxelles, nous avons un problème... ”

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