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290727 février 2014 – “La fin justifie les moyens”, – air connu, implicitement interprété par tous les partisans libéraux-Système du mouvement Euromaidan en Ukraine, lorsqu’on évoque la question des “extrémistes” de droite dans ce mouvement. Voire ... Il arrive que la fin, qu’on avait définie originellement d’une façon autonome, commence à être croquée par les moyens et se trouve devant le risque de changer de substance à leur profit.
En gros, “la fin”, ce serait, pour les plus imaginatifs, la doctrine “regime change” embrayant sur le mouvement Euromaidan en Ukraine, pour aboutir à une Ukraine européanisée type-UE, “otanisée” cela va de soi, enfin une Ukraine-Système qui en passerait aussitôt par une phase “grecque” pour se mettre au normes du pillage-Système qu’on connaît. “Les moyens”, ce sont donc les “extrémistes” ukrainiens, allant des nationalistes à des tendances néo-nazis, tout cela étant en réalités des références conservées depuis la Deuxième Guerre mondiale sans changement explicite de fond, et surtout sans le poids de la repentance mémorielle caractérisant les doctrines officielles du bloc BAO.
Divers experts évoquent pour envisager l’évolution de l’Ukraine, le précédent de la Croatie : une Croatie indépendante avec un gouvernement (Tujman) d’inspiration nationaliste jusqu’aux polémiques habituelles autour du fascisme et de l’antisémitisme débouchant sur une formule standard libérale-Système et intégrant l’UE. Mais les Ukrainiens extrémistes aujourd’hui n’ont pas grand’chose à voir, ni avec la tendance Tujman, ni surtout avec les circonstances qu’a connues la Croatie. Attendre d’eux qu’ils jouent le rôle ainsi suggéré d’“idiots utiles” pour permettre le “regime change”, avant d’être marginalisé puis éliminés pour passer à la formule standard libérale-Système, c’est mal mesurer leur puissance, leur organisation et, surtout, leur cohésion autour d’idées et de conceptions extrêmement polarisatrices et nullement handicapées par l’action générale de culpabilisation, de “démonisation” et par conséquent de marginalisation psychologique développée avec une efficacité considérable en Europe occidentale et dans le bloc BAO en général. Contrairement aux mouvements d’extrême droite modernes qui s’affirment beaucoup plus populistes qu’idéologiquement nationalistes sinon fascisants, notamment en Europe occidentale, les “extrémistes” ukrainiens se réfèrent directement, publiquement et sans le moindre frein aux idées et aux situations de la période 1933-1945 telles qu’elles furent exprimées dans leurs mouvements.
Il y a là un aspect très particulier de l’Ukraine. Etant intégrée en partie dans l’URSS comme République Socialiste Soviétique dès les débuts de l’URSS (en mars 1919), l’Ukraine a connu une répression féroce de la part du centre stalinien, d’autant plus féroce qu’elle était connue comme particulièrement nationaliste, et donc suspecte aux yeux de Lénine puis de Staline et de leur police politique Tchéka/Guépéou/NKVD (ses noms successifs jusqu’à l’après-guerre). L’Ukraine fut frappée successivement par la guerre civile de la fin des années 1910 (lutte contre les nationalistes, souvent de tendance anarchisante) suivie d’une terrible famine en 1921, puis par la Grande Famine d’Ukraine, l’Holomodor ou “extermination par la faim” (1931-1933), puis par la Grande Terreur ou Iéjovtchina (1936-1938), etc… Les liquidations ukrainiennes se chiffrent en nombreux millions de morts et de déportés, – les deux mots, “morts” et “déportés” tendant à s’équivaloir.
Cela explique des mouvements de collaboration avec le nazisme (les nationalistes ukrainiens proclamèrent l’indépendance de l’Ukraine le 30 juin 1941, neuf jours après le début de l’offensive Barbarossa de l’Allemagne contre l’URSS), d’ailleurs mouvements plutôt erratiques entrecoupés de mésententes et d’affrontements avec ces mêmes nazis, mouvements fondés sur le nationalisme ukrainien et, surtout, sur un anticommunisme radical. On comprend que fort peu de choses dans cette activité de collaboration épisodique avec le nazisme furent mises en cause après 1945 du point de vue occidental et américaniste, puisqu’au contraire la CIA s’appuya sur ces sentiments nationalistes pour activer son action constante contre l’URSS. Cette dynamique fut, après la fin de la Guerre froide, aisément recyclée dans la tendance antirusse des mêmes extrémistes, qui rencontre une psychologie quasi-“viscéralement” antirusse du bloc BAO, dans le chef des anglo-saxons principalement, UK et USA. L’ensemble explique encore mieux cette absence de culpabilisation et de démonisation, donnant à la psychologie des extrémistes une position offensive sans le frein d’une réprobation officielle après la chute de l’URSS, la fin du communisme et l’indépendance de l’Ukraine.
Cet arrière-plan historique qui explique la situation ukrainienne actuelle de l’extrémisme ayant été tracé, nous passons à la situation politique générale par rapport à ces mouvements. D’abord, un rapide coup d’œil sur la situation opérationnelle dans l’Ukraine de Euromaidan, dont on peut dire qu’elle n’englobe nullement la partie orientale, méridionale et jusqu’à la Crimée bien sûr, du pays. Divers reportages en donnent un aperçu assez complet, qui se caractérise essentiellement par le fait de la mainmise complète des extrémistes sur les activités de contrôle, de surveillance et de sécurité.
Leur base numérique est très puissante, — puisque, selon une évaluation citée plus loin par Max Blumenthal, ils ont constitué à peu près 30% des protestataires qui ont animé la période novembre 2013-février 2014 sur la place Maidan. L’affluence et l'activisme sur la place Maidan, où les portraits géants saluant le retour et le discours de Ioulia Timochenko ont été prestement éliminés, ne faiblit pas et l’influence des extrémistes par conséquent ne faiblit pas non plus, au contraire. Le Washington Post de ce 26 février 2014 signale que les pressions et les exigences de “Maidan” (les extrémistes non-institutionnels dans ce cas) retardent la formation du gouvernement intérimaire ; le Parlement, où dominent les “partis convenables” du “coup d’État” est largement prisonnier de la rue. Cela était décrit déjà, le 25 février 2014, par Russia Today.
«“A new regime is taking shape really quickly and with the use of strong measures,” Evgeny Kopatko, a sociologist, told RT. “It has nothing to do with democracy because those coming to power will go on with pursuing tough policies and they will conduct massive expansion of eastern territories.” [...]
»Meanwhile, there were reports that a Russian correspondent, Artyom Kol of the Vesti news program has now been put on the wanted list. The radical Right Sector group is calling on their supporters to arrest him, accusing of “besmearing the Ukrainian people.” “The situation in Kiev is controlled by radicals, who are pursuing a very militant agenda,” Alexander Mercouris, legal expert and blogger told RT. “The opposition leaders [now: new authorities] are no longer in control of the crowds in Kiev.”»
Un texte très documenté du journaliste de la gauche progressiste US, Max Blumenthal, donne une analyse intéressante des mouvements d’extrême droite ukrainiens qui tiennent aujourd’hui ce rôle central. (On voit clairement la tendance de Blumenthal dans son penchant à assimiler systématiquement les nationalistes ukrainiens de la période soviétique avec les mouvements fasciste et nazi. Cela est fait d’une façon discutable et doit être notablement nuancé.) Il est publié sur Alternet.org le 25 février 2014. Ce texte donne des précisions structurelles, politiques, etc., des différents mouvements, et aussi d’autres précisions, concernant notamment leurs connexions aux USA, où l’on prolonge les précisions données plus haut concernant quelques proximités rarement évoquées des USA avec le nazisme.
Ces mouvements, ou disons leurs prédécesseurs dont ils sont issues, ont joué, durant la Guerre froide, un rôle important dans les plans de subversion et de pression de la CIA contre l’URSS, déjà signalés plus haut. Leur engagement nationaliste et éventuellement fascisant ou pro-nazi pour certains n’a jamais été réellement dissimulé, parce qu’il constituait une dynamique antisoviétique dont la CIA avait besoin. Ainsi s’est réalisée une sorte d’institutionnalisation de cette tendance en Ukraine, en complète contradiction de la démarche-Système à ce propos (faite également pour l'effet de réduire d'autant les critiques antiSystème des institutions en place), absolument dénonciatrice du fascisme, avec démonisation quasiment métaphysique du nazisme, etc. Le propos de Blumenthal montre également que Svoboda, qu’on veut présenter comme le membre du mouvement extrémiste le plus “convenable”, éventuellement acceptable au niveau institutionnel, ne présente guère de signes effectifs de modération par rapport à ces normes.
«... Sieg heil salutes and the Nazi Wolfsangel symbol have become an increasingly common site in Maidan Square, and neo-Nazi forces have established “autonomous zones” in and around Kiev. An Anarchist group called AntiFascist Union Ukraine attempted to join the Euromaidan demonstrations but found it difficult to avoid threats of violence and imprecations from the gangs of neo-Nazis roving the jksquare. “They called the Anarchists things like Jews, blacks, Communists,” one of its members said. “There weren’t even any Communists, that was just an insult.” “There are lots of Nationalists here, including Nazis,” the anti-fascist continued. “They came from all over Ukraine, and they make up about 30% of protesters.”
»One of the “Big Three” political parties behind the protests is the ultra-nationalist Svoboda, whose leader, Oleh Tyahnybok, has called for the liberation of his country from the “Muscovite-Jewish mafia.” After the 2010 conviction of the Nazi death camp guard John Demjanjuk for his supporting role in the death of nearly 30,000 people at the Sobibor camp, Tyahnybok rushed to Germany to declare him a hero who was “fighting for truth.” In the Ukrainian parliament, where Svoboda holds an unprecedented 37 seats, Tyahnybok’s deputy Yuriy Mykhalchyshyn is fond of quoting Joseph Goebbels – he has even founded a think tank originally called “the Joseph Goebbels Political Research Center.” According to Per Anders Rudling, a leading academic expert on European neo-fascism, the self-described “socialist nationalist” Mykhalchyshyn is the main link between Svoboda’s official wing and neo-Nazi militias like Right Sector.
»Right Sector is a shadowy syndicate of self-described “autonomous nationalists” identified by their skinhead style of dress, ascetic lifestyle, and fascination with street violence. Armed with riot shields and clubs, the group’s cadres have manned the front lines of the Euromaidan battles this month, filling the air with their signature chant: “Ukraine above all!” In a recent Right Sector propaganda video [embedded at the bottom of this article], the group promised to fight “against degeneration and totalitarian liberalism, for traditional national morality and family values.” With Svoboda linked to a constellation of international neo-fascist parties through the Alliance of European National Movements, Right Sector is promising to lead its army of aimless, disillusioned young men on “a great European Reconquest.” [...]
»[In December 19, 2013,] 15,000 Svoboda members held a torchlight ceremony in the city of Lviv in honor of Stepan Bandera, a World War II-era Nazi collaborator who led the pro-fascist Organization of Ukrainian Nationalists (OUN-B). Lviv has become the epicenter of neo-fascist activity in Ukraine, with elected Svoboda officials waging a campaign to rename its airport after Bandera and successfully changing the name of Peace Street to the name of the Nachtigall Battalion, an OUN-B wing that participated directly in the Holocaust. “’Peace’ is a holdover from Soviet stereotypes,” a Svoboda deputy explained...
Un autre aspect intéressant du texte de Blumenthal est le rappel de l’installation à Washington d’un puissant mouvement lobbyiste des nationalistes ukrainiens, lié à leur engagement anticommuniste et antisoviétique, et naturellement favorisé par la CIA qui utilisa ces nationalistes comme on l’a vu. On a ainsi une de ces démarches américanistes et de la CIA, avec répercussions dans les milieux dirigeants de Washington au travers du lobbyisme, pleine de blowbacks potentiels, un peu comme le furent le réveil et le soutien du mouvement des moudjahidines afghans, à partir de la mi-1979, à l’initiative de Brzezinski (voir le 31 juillet 2005), et largement développé par la CIA (avec l’Égypte, l’Arabie, etc.).
Quoi qu’il en soit, l’UCCA (Ukrainian Congress Committee of America) devint l’ombrelle lobbyiste aux USA des nationalistes ukrainiens, essentiellement de l’OUN-B de Stepan Bandera constituée en 1940 après une scission de l’OUN initiale. L’administration Reagan chouchouta avec constance l’UCCA durant les années 1980, avec l’intégration de certains de ses membres dans ses services (le président de l’UCCA Lev Dobriansky devenant ambassadeur des USA aux Bahamas, et sa fille Paula occupant un poste au Conseil National de Sécurité, ou NSC, autour du président). Blumenthal, – qui choisit en général les versions les plus défavorables des activités des nationalistes ukrainiens durant la guerre, – rappelle que Reagan accueillit Stetsko, le chef de l’OUN-B depuis 1968, à la Maison-Blanche en 1983, avec ces mots «Your struggle is our struggle, your dream is our dream»
«Still an active and influential lobbying force in Washington, the UCCA does not appear to have shed its reverence for Banderist nationalism. In 2009, on the 50th anniversary of Bandera’s death, the group proclaimed him “a symbol of strength and righteousness for his followers” who “continue[s] to inspire Ukrainians today.” A year later, the group honored the 60th anniversary of the death of Roman Shukhevych, the OUN-B commander of the Nachtigall Battalion that slaughtered Jews in Lviv and Belarus, calling him a “hero” who “fought for honor, righteousness…”
»Back in Ukraine in 2010, then-President Viktor Yushchenko awarded Bandera the title of “National Hero of Ukraine,” marking the culmination of his efforts to manufacture an anti-Russian national narrative that sanitized the OUN-B’s fascism. (Yuschenko’s wife, Katherine Chumachenko, was a former Reagan administration official and ex-staffer at the right-wing Heritage Foundation). When the European Parliament condemned Yushchenko's proclamation as an affront to “European values,” the UCCA-affiliated Ukrainian World Congress reacted with outrage, accusing the EU of “another attempt to rewrite Ukrainian history during WWII.” On its website, the UCCA dismissed historical accounts of Bandera's collaboration with the Nazis as “Soviet propaganda.”»
Ces connexions lobbyistes entre l’establishment washingtonien et les nationalistes ukrainiens, dont on trouve aujourd’hui des éléments à tendance nazie, ne sont pas nécessairement accidentelle ou aberrantes par rapport à l’histoire vertueuse de la Grande République. La détestation horrifiée actuelle de Washington pour tout ce qui fleure le nazisme, malgré les relations présentes avec l’extrême droite ukrainienne et sa mauvaise réputation, n’empêche nullement une histoire chargée à cet égard. Nous avancerions même que certains caractères spécifiques de proximité des USA avec le nazisme sont bien plus significatifs que leurs relations avec les Ukrainiens, ce qui explique la facilité avec laquelle les USA ont jusqu’ici envisagé cette sorte de relation. Nous en rappelions quelques facettes dans un texte publié le 16 novembre 2010, et nous citerons ici, comme documentation non négligeable, les extraits qui en détaillent trois...
«• Les conceptions de suprématisme, souvent présentés selon l’optique raciale, mais qui implique sans aucun doute une dimension systémique, furent évidentes d’abord aux USA, avant l’Allemagne hitlérienne. Nombre de lois hitlériennes sur des domaines tels que l’euthanasie étaient courantes aux USA, dans nombre d’Etats de l'Union, entre les années 1900 et les années 1930. Les politiques US de quotas concernant l’immigration ressortaient également de ces notions suprématistes, qu’on retrouve également dans les origines de la création du complexe militaro-industriel (CMI)…
»• Cette dernière notion, des rapports entre le CMI et le suprématisme, mais aussi des rapports entre le CMI et les nazis, ou, dit autrement, les méthodes et les conceptions scientifiques et d’organisation nazies, est largement évidente et documentée. On se référera notamment à deux textes publiés sur ce site le 26 janvier 2003. Particulièrement intéressantes, les précisions données par Nick Cook sur les similitudes conceptuelles entre le CMI (le Pentagone) et les démarches scientifiques sous le régime nazi, notamment alimentées par l’afflux de savants nazis dans le cadre de l’opération ‘Paperclip’. A propos du système ‘black’ (programmes secrets) mis en place par le Pentagone, Cook déclarait : “It is remarkably similar to the system that was operated by the Germans —specifically the SS — for their top-secret weapons programs during the Second World War.” Quant au délicat aspect idéologique, Cook précisait, prudemment mais tout de même de manière significative : “I'm not for a second saying that there is direct linkage there. What I do mean is that if you follow the trail of Nazi scientists and engineers who were recruited by America at the end of the Second World War, the unfortunate corollary is that by taking on the science, you take on—unwittingly—some of the ideology.”
»• Une autre connexion majeure est celle du business. Les relations d’affaire, d’investissement, aux plus hauts niveaux financiers et du capitalisme, furent intenses entre les USA et l’Allemagne dès après la défaite de l’Allemagne en 1918. Elles se poursuivirent malgré les vicissitudes politiques et idéologiques. Il est admis qu’en planifiant l’offensive stratégique aérienne US contre l’Allemagne dès 1940, les officiers de l’U.S. Army Air Force chargés de ce travail entrèrent en contact avec les grandes banques et groupes industriels US pour identifier et localiser les entreprises allemandes avec forts investissements US, et les placer hors des objectifs des bombardiers US. Plus encore, divers grands groupes US (Standard Oil of New Jersey, ITT, Chase Manhattan Bank, Ford, etc.) continuèrent à travailler avec l’Allemagne nazie, même durant la guerre avec l’engagement des USA, jusqu’en 1945, y compris sur des contrats à caractère stratégique. Dans son livre ‘Trading with the Enemy, the Nazi-American Money Plot, 1933-1949’ (Barnes & Noble, 1983), Charles Higham a largement documenté ce domaine. (Higham, Britannique demi-juif dont une partie de la famille avait péri dans les camps nazis, avait pris la nationalité américaine par choix idéologique et c’est la découverte des réalités du système de l’américanisme qui le poussa à écrire son livre.)»
Comme l’on voit, nombre d’éléments dans l’histoire passée feraient penser que la présence de l’extrême droite nationaliste dans Euromaidan n’est pas un vrai problème, c’est-à-dire un problème de fond, pour les USA (pour le bloc BAO). D’un autre côté, et en nous référant également à ce que nous avons dit précédemment sur la puissance des mouvements extrémistes, notre propos n’est pas non plus d’envisager comme un événement fondamental le seul fait que le vide actuel du pouvoir en Ukraine pourrait déboucher sur un gouvernement réellement autoritaire, sinon un gouvernement ultra-nationaliste avec des tendances fascistes ou nazies. Toutes ces questions deviennent assez secondaires sinon marginales, par rapport à la spécificité des conditions en cours en Ukraine, de la proximité d’une Russie qui a de très fortes inquiétudes et des cartes à jouer, enfin des buts supposés du bloc BAO qui reviennent toujours à l’intégration déstructurante dans le Système imposée par la force du désordre chez les autres. (... Buts “supposés” mais finalement réels, car quelles que soient les intentions ou l’absence d’intention du bloc BAO, sa stratégie finit toujours par se ramener effectivement à ces buts qui sont ceux de la politique-Système, impliquant effectivement déstructuration et dissolution de l’objectif visé.)
C’est-à-dire que “la vérité de la situation”, comme nous disons, dans les conditions de tension crisique prévalantes aujourd’hui, supposent, pour l’accomplissement de l’évolution envisagée pour l’Ukraine par le bloc BAO, des spécificité politiques et de communication extrêmement claires et précises, correspondant aux exigences conformistes des narrative du Système. Le déroulement des événements a effectivement mis en évidence de la part des pays du bloc BAO et vis-à-vis des extrémistes ukrainiens, une indulgence extrême contrastant très fortement avec l’attitude de ces mêmes pays vis-à-vis de leurs propres extrêmes droites. Cette indulgence extrême, s’ajoutant à la grande puissance opérationnelle de ces groupes au sein de Euromaidan, peut conduire effectivement à la constitution d’une équipe dirigeante où s’exprimeraient des tendances qui sont tout simplement inacceptables et sacrilèges dans le cours du conformisme autorisé de la situation du bloc BAO. Ce facteur ne peut être ignoré dans une configuration générale où la tension interne dans les pays du bloc BAO est très grande, et souvent retenue au bord de l’explosion par l’argument de la diabolisation de l’extrême-droite pour soi-même alors qu’on l’accepterait à Kiev ; dans une configuration générale où la Russie est concernée au premier chef et qu’elle est placée dans une position si sensible, accusée des mêmes tendances que celles des extrémistes ukrainiens par le bloc BAO alors qu’elle en est l’antagoniste opérationnel dans ce cas.
Nous voulons signifier par là que cette question de l’extrémisme ukrainien dans le mouvement Euromaidan ne peut alors en aucun cas être tenue pour accessoire, mais pas nécessairement pour la situation qu’elle met à nue. Elle concourt décisivement à faire du cas ukrainien un cas sortant complètement du schéma habituel (par exemple, celui des “révolutions de couleur”) de cette sorte de crise dans la région, dans lequel s’opposent deux forces (en général Russie et bloc BAO, en général Système et antiSystème, etc.). Si l’on veut, on ne se trouve pas dans un scénario de type binaire, où les évolutions doivent être envisagées principalement en fonction des deux partenaires-adversaires principaux, où l’un perd et l’autre gagne, ou vice-versa, ou bien encore parviennent à un équilibre ; si l’on veut, on doit envisager que cette question de l’extrémisme ukrainien détermine réellement un troisième facteur ou acteur autonome, qui fait de la crise une situation à trois éléments, où la situation interne de l’Ukraine constitue un élément aussi déterminant que les deux acteurs extérieurs, et cela dans le fondement même de cette crise et non pas comme une circonstance accessoire ou accidentelle. (Bien entendu, nous disons “situation interne” à partir de l’identification de l’importance du facteur que constituent les extrémistes d’Euromaidan : si ceux-ci ont effectivement cette importance qu’on leur reconnaît, les autres composants de la situation interne en acquièrent également, et notamment, pour prendre un exemple impératif, les poussées autonomistes et sécessionnistes diverses dans l’Est et le Sud du pays.)
... Tout cela revient enfin à dire que cette situation du nationalisme extrémiste ukrainien, avec ses groupes à tendance nazie, n’est pas un phénomène qui nous intéresse spécifiquement, parce que cette spécificité lui donne une appartenance à un autre monde, à un autre temps. Ce qu’il nous intéresse de mettre en évidence, c’est que cette spécificité d’un autre monde et d’un autre temps peut tout de même, à cause de l’image soupçonneuse et scandaleuse qui s’attache à elle, à cause de notre conformisme s’attachant à des effets terribles du passé, produire un effet majeur considérable et fort actuel par rapport aux narrative dont nous sommes prisonniers. Cette spécificité serait alors là pour brouiller les cartes et faire d’une crise dont on pourrait juger qu’elle devrait suivre des lignes devenues classiques depuis trois ou quatre ans, un événement d’un type nouveau, avec un facteur interne spécifique de facture assez vieille et dépassée (le nationalisme, le nazisme) qui pourrait pourtant lui donner un aspect complètement nouveau. Parmi les hypothèses à cet égard, on citerait bien entendu, en premier lieu, celle de Martin Sieff (voir le 21 février 2014) selon laquelle le déroulement de la crise établit une sorte de “jurisprudence” contradictoire dans le chef des possibilités de révoltes populaires, contre les normes du régime de la démocratie-Système, c’est-à-dire une jurisprudence permise par le Système contre un régime qui répond pourtant à ses propres normes, à lui le Système. (...D’où ceci que Ianoukovitch, comme nous l’avons observé le 24 février 2014, était effectivement un dirigeant-Système.)
Certainement, le fait que le Système se soit appuyé sur une tendance ultra-nationaliste avec certaines ramifications nazies pour obtenir un résultat qui met en cause ses propres normes de structuration politique constitue un cas d’espèce assez extraordinaire de contradiction dans l’action. Ce fait-là marque le désordre conceptuel de l’action du Système, son désarroi, son absence de normativité stratégique au profit des tentations tactiques offertes par l’attrait et le sentimentalisme du système de la communication et ainsi de suite, pour des événements de fortune qu’on transforme en soi-disant bouleversements stratégiques en prenant le risque d’en faire de formidables bombes à retardement contre soi-même. En un sens, nous dirions que le Système, en s’aventurant dans l’aventure ukrainienne, a perdu le sens des choses selon point de vue. Il devient ainsi la victime déstabilisée du désordre qu’il est censé semer pour déstabiliser les autres et les positions symboliques semblent s’amuser à invertir ceux qu’on s’était trop vite empressés de désigner comme les vainqueurs et les vaincus.
... En visite à Kiev avant-hier et hier, Lady Ashton, Haute Représentante de l’UE, a passé son temps à convaincre ses interlocuteurs institutionnalisés des partis “convenables”, arc-boutés pour ne pas trop reculer et agacer Euromaidan qui les soutient comme la corde le pendu, qu’il ne faut surtout pas, en aucun cas, qu’ils rompent avec Moscou et contrarient les Russes (voir le New York Times, le 26 février 2014). Aujourd’hui encore, 26 février 2014, le président russe Poutine a ordonné des manœuvres d’urgence pour les forces russes dans la région occidentale du pays, principalement à la frontière ukrainienne, simplement pour vérifier si tout va bien... Personne n'est ni vainqueur ni vaincu, le désordre est grand comme l'influence des extrémistes ukrainiens, et les événements hors de tout contrôle font la loi.