Ianoukovitch, politicien-Système de la Chute

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Ianoukovitch, politicien-Système de la Chute

On laissera de côté toutes les explications de convenance, archi-connues et documentées sur nos jeux pseudo-rationnels d’expliquer l’évidence d’une situation qui nous dépasse par des hypothèses conceptuelles sur les “forces de l’ombre” (et l’on dirait plutôt les “forces du clair-obscur”, tant l’ombre ne dissimule plus rien désormais où tout se fait par téléphone portable aux communications ouvertes à tous) ; les explications par les pressions extérieures, les maîtres-pseudo “plans” subversifs, les ingérences du Système dans ses actions extérieures, la subversion des réseaux du bloc BAO qui sont de la routine depuis les “révolutions de couleur” et qui n’ont jamais réellement réussie, – après tout l’Ukraine dénoncée aujourd’hui par les accusateurs-Système au nom de l’idéologie factice de la Chute (droitdel’hommisme, moralisme hyperlibéral, démocratie comme produit publicitaire, etc.) est née de la “révolution orange” censée régler le problème pour de bon, et dont les instigateurs directs ont aggravé les termes en prolongements catastrophiques et corrupteurs avant de céder démocratiquement le flambeau à Ianoukovitch en 2010... En bref, laissons de côté comme absolument accessoire, événements artificiels servant d’“idiots utiles” des événements déstructurants du Système en phase surpuissance-autodestruction, l’arsenal de l’action de communication semi-clandestine passée à ciel ouvert pour que nul n’en ignore, de la fabrication d’un ex-boxeur champion du monde poids lourd ukrainien au passeport allemand en meneur politique au poids futilement tombé en catégorie poids plume, aux conversations hystériques ou cyniques c'est selon entendues par tous d’une Victoria Nuland-Fuck, au libre champ offert aux extrémistes à l’organisation insurrectionnelle impeccable de Pravy Sektor. Tout cela existe et joue son rôle mais tout cela est insuffisant et ne peut être tenu en aucune façon pour décisif.

L’essentiel est du côté de la situation principielle, et elle se résume dans la personnalité, la psychologie, le rôle d’un homme privé de toutes les capacités effectivement principielles, tout cela qui fait que cet homme qui est un politicien, placé dans des circonstances extrêmes qu’il a lui-même laissé se développer, est totalement impuissant à acquérir la stature qui lui permet de développer la maîtrise du pouvoir potentiel dont il dispose, fût-ce au prix d’actions dénoncées comme arbitraires et sanglantes, et à se fabriquer vaille que vaille une véritable légitimité. Assad a réussi cela en Syrie, même si cela ne garantit rien de l’avenir immédiat de la Syrie ; Ianoukovitch a complètement échoué et il a garanti l’avenir de l’Ukraine dans le désordre chaotique.

Le 22 février 2014, Russia Today a édité un excellent texte d’analyse sur ce cas : «Ukraine downfall: Lack of leadership to blame?». La réponse, bien entendu contenue dans la question posée au-dessus d’un Ianoukovitch saisi dans un moment manifeste d’indécision, désigne le président démissionné/pas-démissionnaire de l’Ukraine comme le principal coupable, et de loin.

• Qui aurait imaginé que la situation deviendrait ce qu’elle est lorsque Ianoukovitch décida qu’il ne signerait pas l’accord entre l’Ukraine et l’UE. Cette décision, qui lui semblait évidente, bien qu’il fut nettement favorable à un rapprochement avec l’UE et parce que cet accord ne réservait que quelque calvaire de plus à l’Ukraine où lui-même risquerait de voir son pouvoir sombrer, n’est que la clef de convenance d’un processus désormais courant dans nombre de situations de la crise d’effondrement du Système. Aussitôt, Ianoukovitch se montra tel qu’il était :

«As the Ukrainian protest slowly evolved from a peaceful pro-EU demonstration into a mass-rioting gang shooting at police with firearms, it seems that the Ukrainian president was preoccupied with two things: staying in power and avoiding responsibility. “A lot depends on the resolve of President Yanukovich. Until now he hasn’t shown the necessary qualities to take control of the situation,” said Veronika Krasheninnikova, head of the Institute of Foreign Policy Research and Initiatives, a political think tank. “So most probably it will continue to deteriorate. Chaos will continue spreading in Ukraine.”

»On several occasions Yanukovich could have acted decisively in one of two ways. He could have stepped down and called an early election, de facto putting the future of Ukraine to a referendum. This would most likely ruin Yanukovich’s personal aspiration for reelection. In a post-protest election, an apparently weak leader accused of corruption by his rivals and with an ailing economy on his hands would barely stand a chance. But at least Euro-skeptics and Euro-proponents would have their opportunity to convince all Ukrainians – not just a few thousand anti-government activists – to choose their course of action...»

• Le texte décrit l’action de Ianoukovitch pendant ces trois mois de troubles qui ont mené à la situation présente... Il n’a choisi aucune voie politique cohérente c’est-à-dire aucune voie du tout, que ce soit la dispersion forcée et répressive des premières manifestations, que ce soit l’habileté offensive vis-à-vis des dirigeants de l’opposition qu’il pouvait aisément diviser, que ce soit la politique de concessions offensives pour désamorcer le mouvement, – toutes les concessions qu’il a faites à mesure forcée, qui ont été refusées tout en renforçant la radicalisation du mouvement, – chaque fois “trop peu, trop tard”. La question n’était pas pour lui d’anticiper, ce qui relève du calcul prospectif impossible (personne n’a anticipé et ne pouvait anticiper ce qui allait se passer), la question était celle d’une affirmation de son pouvoir pour légitimer sa position et reprendre la main – y compris, durant ce week-end, passer en dissidence proclamée hautement et immédiatement au nom de l’affirmation de l’illégalité de la situation à Kiev. Il aurait pu reprendre le contrôle d’une partie de la situation et retrouver un peu de légitimité en se plaçant dans le courant de l’Est du pays en état de quasi-dissidence autonomiste selon l’argument solide de l’illégalité des événements de Kiev, alors qu’il ne semble pour l’instant jouer aucun rôle actif dans cette situation... En un mot, comment n’est-il pas apparu à la réunion de Kharkov pour y imposer une position de coordinateur et d’inspirateur ? (Au moins lui aurait-on évité dans le chef de certains de ses conseillers, selon des interprétations qui restent à confirmer, le choix d’une fuite hors d’Ukraine, pour s’installer au contraire dans la région orientale hostile aux événements de Kiev et affirmer qu’il ne démissionne pas. Mais ces derniers développements restent encore confus, et sa posture de “résistance” au nouveau pouvoir de Kiev manque notablement de fermeté et d’ardeur, ce qui conduit certains de ses partisans à le mettre en accusation et à affirmer qu’ils se passeront de lui.) «As Yanukovich went missing, delegates from local governments decided in Kharkov that they should resist a new opposition-enforced government and form local militias to defend themselves from a potential armed attack from western Ukraine...»

• Politicien et piètre politicien, encore plus corrompu psychologiquement (par le Système) que vénalement, ce qui n’est pas peu dire, incapable de comprendre qu’il fallait au moins prétendre à la carrure d’homme d’État si les circonstances s’y prêtaient et l’exigeaient, préoccupé de seulement conserver le pouvoir pour pouvoir faire perdurer sa situation de corruption, alimentant évidemment les critiques contre lui sinon les justifiant... Mais le paradoxe de ces appréciations nécessairement critiques et sévèrement critiques est qu’au moins Ianoukovitch, en montrant jusqu’à la caricature le véritable visage du pouvoir aujourd’hui, dans le cadre du Système dont l’Ukraine fait partie comme le reste, a montré parfaitement à quel niveau de bassesse était tombé tout système politique parrainé de facto par l’influence du Système, – car il fut, lui, en 2010, démocratiquement élu, et développa une politique sinueuse qui montrait sa volonté d’arrangement avec le Système, et donc l’influence qu’il subissait du Système. La remarque, ci-dessous en fin de citation, de la parlementaire US Dana Rohrabacher, qui est dit pour l’Ukraine mais vaut pour tous, doit se fixer dans notre esprit. (Cette remarque rencontre à cet égard l’analyse de Martin Sieff [le 21 février 2014].)

«“Yanukovich was desperate to hold on to power. He was willing to do whatever it took to maintain that power. Even to make concessions that he understood would tear his own country apart. This is pure politics on his part grasping to hold on to his power,” commented the geopolitical analyst Eric Draitser to RT. The ramifications of this non-choice by Yanukovich are on his head, but they may have dire consequences for the whole of Ukraine. The moderate opposition may pretend that they have taken power, but in reality it was the radical fighters of the Right Front who made Yanukovich flee. The same fighters, who booed opposition leaders each time they returned from talks with the president to announce new concessions and demanded more.

»“What we’ve learned in Ukraine now is that if you really disagree with what the elected government is doing, you should go to the streets and just raise holy hell until those policies are reversed or until there is some change made in the procedure. That’s not going to lead to peace in Ukraine in the future,” warns Congressman Dana Rohrabacher from California.»

... Ainsi présentons-nous Ianoukovitch comme un politicien-Système dont le comportement catastrophique finit par produire une situation antiSystème. C’est notre habituel pseudo-paradoxe (surpuissance-autodestruction). Nous ne nous attachons évidemment pas une seconde à tous les avatars de complots à ciel ouvert et en clair-obscur, ni à la “menace” fasciste des groupes extrémistes, – qui n’est menaçante et effective que parce que rien n’existe en face d’eux, selon une situation-Système caractéristique... Ces complots et ces groupes disparaîtront aussi vite qu’ils sont apparus lorsque l’évolution du désordre chaotique aura utilisé tout ce qu’ils sont capables de lui donner : pas de place dans notre désordre globalisé pour le triomphe de la machination humaine ni des vieilles barbes de l’idéologie d’une époque lointaine où nos pères et les pères de nos pères (pour les plus jeunes) crurent en cette étrange chose qu’on nommait “révolution”... Le seul avantage de celle-ci, – c’est-à-dire cette pseudo-“révolution” avec quelques allures de Roumanie/période Timisoara pour les montages, – est de parvenir à mettre en évidence les grotesques contradictions du flux aveugle de la politique-Système du bloc BAO. Après tout, et quoi qu’il en soit de la suite des événements, l’un de ses effets est de nous montrer l’UE et les humanistes du parti des salonards soutenant un mouvement qui est ce qu’il est, qui conduit après la prise de contrôle de Kiev des personnalités de la communauté juive de cette même Kiev à presser ses membres de quitter la ville ou de se terrer chez eux pour leur sécurité, – suggestions sans précédent pour une capitale européenne (on nous rabat tant les oreilles que l’Ukraine c’est l’Europe) depuis la Deuxième Guerre mondiale et la chute du nazisme. Dans notre monde BAO si vertueusement pointilleux sur cette sorte de possibilité au point où une nation entière se lève pour quelques tombes juives profanées dans un cimetière, il fallait le faire...

Ce qui fait la surprise constante d’une situation où les événements se développent d’eux-mêmes, sans “plan humain” pré-établi, c’est la variété extraordinaire des circonstances qui s’accumulent et, par conséquent, la variété non moins extraordinaire des jugements qui peuvent être posés. Le cas ukrainien démontre que cette spécificité a encore progressé par rapport au cas syrien, dont il semble à la fois une progéniture et une avancée dans le domaine précis de la prolifération du désordre, – à la fois déstructuration et dissolution. Cela fait qu’un Ianoukovitch, qui est un dirigeant de type-Système par son absence de principe et de conviction, sa faiblesse et son irresponsabilité, a accouché d’une situation qui lui ressemble, y compris dans le chef de son opposition, – elle aussi marquées par les caractères-Système qu’on a décrits et flanquée de son appendice extrémiste prenant une importance disproportionnée et nous révélant à cette occasion que ce caractère de l’importance des extrêmes n’est nullement réservé à l’islamisme, – ce qui est une excellente mise au point pour apprécier que notre crise générale est bien celle du Système et non celle, dérisoire et publicitaire, d’un “choc des civilisations” qui n’ont plus grand’chose de spécifique à elles à entrechoquer. A partir d’une situation ukrainienne qui était marquée par un désordre rampant et contenu, la crise, marquée par la personnalité de Ianoukovitch (c’est-à-dire sa non-personnalité, qui a permis aux conditions objectives de s’aggraver et à diverses potentialités crisiques de s’en trouver aggravées), s’est développée en une sorte de super-désordre qu’on décrirait comme assez bien organisé de lui-même, mise à nu et optimisation du “désordre rampant et continu” joliment arrangé en une narrative maquillant la trahison de la parole signée et l’illégalité du processus. (Simon Tisdall lui-même le reconnaît dans le Guardian du 23 février 2014  : «With some justice, Russia views the parliamentary opposition's actions in toppling Yanukovych, freeing his arch rival Yulia Tymoshenko, arresting ministers and in effect sacking the government as a cynical betrayal of the settlement mediated by EU foreign ministers, which envisaged a more gradual, less divisive transition.») Loin d’établir une nouvelle situation structurée dans la géographie stratégique de l’Europe, la crise ukrainienne installe un foyer d’instabilité et de diffusion des tensions, menaçant divers azimuts, mais notamment et surtout certains pays de l’UE, – surtout parce que l’UE, assemblage massif dont la vertu supposée et la fragilité se trouvent dans les “valeurs” qui sont censées le verrouiller, entre dans un contexte où la principale de ces “valeurs” qui est la stabilité civile dans la paix démocratique se trouve brutalement menacée.

Cette instabilité et cette diffusion des tensions menacent aussi la Russie, certes, mais il s’agit là d’une destinée inévitable pour cette puissance qui a nécessairement un rôle actif à jouer dans l’actuel bouillonnement marquant les soubresauts monstrueux du Système. La modération “centriste” de Poutine, paradoxale par rapport aux accusations portées contre lui, ne pourra plus résister longtemps aux pressions diverses exercées dans tous les sens et il faudra qu’il la trempe dans la dureté du métal. La tragédie présente n’épargne personne et aucun pays, parce que cela ne se peut par définition, parce que les soubresauts du Système affectent tout le monde puisque le Système englobe tout le monde...

Sur le site Strategie-culture.org, Nikolai Malishevski signale et dénonce (le 22 février 2014) certaines assimilations d’experts européens qui font de la situation ukrainienne une nouvelle Yougoslavie. Pour l’esprit de la chose, c’est-à-dire pour la psychologie, ce n’est pas faux (pour la vérité de la situation et l’éventuelle répétition événementielle dont on sait le dégoût qu’en a l’Histoire, c’est une autre affaire). Mais on proposerait alors l’idée d’un “ce n’est pas faux” par inversion, c’est-à-dire comme un retour à la situation de 1990, avec sa confusion extrême, ses incertitudes, aussi bien pour l’Europe que pour les architectures en place de la guerre froide, – et alors, l’Ukraine serait comme une contre-Yougoslavie, remettant en question tout l’acquis d’influence et de stabilisation contrainte, notamment et principalement à l’avantage du bloc BAO, notamment et principalement à partir du désordre en Yougoslavie, et inaugurant une période nouvelle de profonde incertitude pour l’Europe, impliquant des événements rapides et surprenants, une sorte de chaîne crisique que certains, nous en sommes assurés, aimeraient pouvoir baptiser “le printemps européen”, – et là, certes, on verra. Dans tous les cas, cette étonnante évolution faite de possibilités inattendues tient à cet homme médiocre et corrompu, au caractère plutôt mou et indécis, une sorte de contre-Milosevic pour ce qui est de ce trait de caractère de la mollesse et de l’indécision. Si ce tour d’horizon est juste, alors la crise ukrainienne, qui ne ferait que commencer, nous serait offerte sur un plateau farci de multiples orientations antiSystème. Ainsi le dirigeant qu’on pourrait juger paradoxalement dirigeant-Système pour ses pratiques et son gouvernement, deviendrait-il antiSystème à l’occasion de sa chute. Il l’ignore et d'ailleurs s'en contrefiche sans doute,mais c’est ainsi...


Mis en ligne le 24 février 2014 à 06H44