Notes sur l’impossibilité de Jérôme Bosch

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Notes sur l’impossibilité de Jérôme Bosch

9 avril 2020 – Il est bien difficile de conclure alors que nous ne sommes qu’au début de cette phase finale de l’effondrement (GCES, ou Grande Crise de l’Effondrement du Système). Dans ce cas où l’on ne peut conclure, eh bien chroniquons, et dans le sens qui nous est habituel, sans prendre partie dans les plus basses querelles mais en relevant, là où cela hurle, l’hystérisation extraordinaire de l’hystériquement correct porté à son point de fusion bet de combustion... Et vous verrez, sans autre surprise prévoyons-nous, que nos regards se portent bien souvent vers l’outre-Atlantique emporté dans une sarabande infernale, au son de son joueur de flûte, le Système surpuissant et pantelant à la fois, dans l’extase délicieuse de sa prochaine autodestruction, et enfin tout cela dans le cadre d’une modernité emportée par les simulacres qu’elle monte comme l’on faisait avant des pièces de Shakespeare où l’on déclamait :

« Life’s but a walking shadow ; a poor player,
» That struts and frets his hour upon the stage,
» And then is heard no more : it is a tale
» Told by an idiot, full of sound and fury,
» Signifying nothing. »

Nous avons choisi trois extraits de textes qui orienteront, soutiendront et susciteront notre réflexion sur la Grande-Crise telle qu’en son état de très-grande incompréhensibilité, de complète-insignification si l’on en reste au niveau de Sapiens-Sapiens. Par conséquent, ces trois extraits conduisent à des observations diverses où il est bien difficile de distinguer quelque cohérence que ce soit, quelque logique qu’on réclame, qui illustrent les péripéties et les différentes facettes de cette Grande-Crise. On découvrira sans surprise excessive que les agitateurs de ces chroniques, les éléments incontrôlables, les facteurs et les fauteurs de troubles, sont d’abord les êtres humains et leurs mœurs diverses et étranges, croisés avec le fardeau de leur certitude de dominer le monde et de faire de la nature leur chose.

Par contre, on n’aura rien de notre prospective, mais plutôt une improspective sur les suites de ce grand événement puisque, manifestement, nous n’avons rien à proposer qui puisse en faire état. Il nous semble même, pour parler à l’extrême, borderline comme l’on dit, que l’immensité, la grandeur unique de cet événement qu’est la Grande-Crise se trouve essentiellement dans l’insignifiance et la vanité extraordinaires des agitations humaines, des supputations, des accusations, des débats sur l’existence ou non d’un virus, sur le surgissement ou non d’un État-Global/policier, sur les supputations concernant le contrôle général et cosmique de tous les êtres par quelques manipulateurs de génie, sur les machinations des complotismes détaillées et des contre-complotismes irrésistibles, sur la définition des FakeNews au travers du torrent d’informations en communication qui s’abat sur le monde. 

Le grand événement de la Grande-Crise, ce qui fait qu’elle est effectivement Grande, on le trouve effectivement dans cet aspect en apparence secondaire et anecdotique des agitations extraordinaires dissimulés, et des soubresauts souterrains et gigantesques de la psychologie humaine, et dans l’étourdissante jacasserie de la communication planétaire qui accompagne ces phénomènes par conséquent. Le maniement des narrative, la fascination entraînée par le  déterminisme-narrativiste, les raids lancés par les hommes de Trump pour récupérer des cargaisons de masques de première catégorie dans les diligences chinoises, l’impression numérique de $milliards de $milliards d’argent de poche From Here to Eternity,  – il y a toute une dimension-bouffe de l’événement qui, bien souvent sinon plus qu’à son tour, parvient, en révélant l’ampleur de la prétention de l’intervention humaine avec toutes ses illusions, à équilibrer l’aspect tragique.

(Car il y a sans nul doute un “aspect tragique”, mais il faut savoir prendre ses distances avec lui : comme la souveraineté, comme les frontières, comme la nation, comme les principes, le tragique qui est une chose qui nous vient du passé comme la marque de la colère des dieux est aujourd’hui hautement suspect même s’il est partout présent. On le sait et cela suffit, mais cela n’est pas cela qui alimente les réflexions d’une foule de “communicants” emportée par le vertige du verbe-vide et l’ivresse de l’écho répercuté par le vide.)

Les fous en liberté

Il y a donc, on s’en doute, une sorte de morbidité de la crise, c’est-à-dire une sidération enthousiasmée pour le Grand Événement qui se déroule dans une dynamique somptueuse sous nos yeux. Le sociologue québécois Mathieu Block-Coté, par ailleurs excellent critique de L’empire du politiquement correct et assez mal vu dans les salons parisiens qui font leur cour au Système, nous avertit que, cette fois, la globalisation vit ses derniers instants, fracassée sur les  vérités-de-situation d’un monde entraîné dans une formidable valse à mille temps. Cette perspective est certes enivrante et c’est pour cette raison que, alternant la bonne nouvelle et l’avertissement salutaire, Bock-Coté nous met en garde contre ceux qui se montreraient trop enthousiaste, – sorte de jubilation morbide, en vérité, – pour cette crise, celle du Covid-19 et ce qui ne manquera pas de suivre en cascade, comme s’ils n’attendaient, ceux-là, que cette fracture du monde pour se précipiter dans le précipice ainsi ouvert, et hurlant triomphalement : “Je vous l’avais bien dit !”.

Dans un entretien avec Valeurs Actuelles du 4 avril 2020, Block-Coté s’attarde effectivement à cette question de l’enthousiasme pour la Grande-Crise :

« Il faut toutefois éviter, comme on le voit chez certains, de basculer dans une forme d’enthousiasme idéologique morbide devant la crise, peut-être présent chez ceux qui répètent: je vous l’avais bien dit! C’est le cas de certains écologistes qui versent ainsi dans un étrange panthéisme en nous disant que la terre se venge, comme si la présente pandémie était en quelque sorte une forme de vengeance de la planète contre ceux qui lui font du mal. Il est difficile de ne pas voir ici une forme de régression religieuse primitive. Un peu plus et la crise les enchante. Certains, en ce moment, semblent pris d’un vertige existentiel devant la pandémie, comme s’ils étaient excités par le fantasme d’une mise à bas de l’ordre social et la possibilité d’un grand chambardement. La crise les excite, les tempéraments turbulents se sentent sollicités. C’est l’hypnose du chaos. Vous me permettrez de citer Roger Caillois dans ‘Instincts et société’ : “Il faut appeler vertige toute attraction dont le premier effet surprend et stupéfie l’instinct de conservation. L’être se trouve entraîné vers sa perte et comme convaincu par la vision même de son propre anéantissement de ne pas résister à la persuasion puissante qui le séduit par l’effroi. […] Les abîmes le sollicitent. […] Il se sent ne concevoir et n’exécuter que les gestes qui l’y précipitent, comme si la funeste imagination de la destruction, flattant on ne sait quel goût pervers, éveillant au secret de lui-même une complicité intime et impitoyable”. »

Les Martiens jaunes attaquent

Bock-Coté cite les écologistes (sans doute radicaux) parmi ceux qui sont susceptibles de se laisser ainsi enivrer par les perspectives de la GCES. Nous aurions, quant à nous et par expérience, l’une ou l’autre catégorie à proposer.

• Il nous apparaît évident que l’ivresse de la crise a rudement frappé tout un pan de la psychologie antiSystème, entraînant des développements extraordinaires dans les commentaires qui font de la prospective de crise sans prendre garde à ce que le mot juste est “improspective”. Plus rien ne semble désormais hors d’atteinte en fait d’imagination et de structuration de manœuvres et de montages politiques à l’échelle globale. Bien entendu, la réalité de la pandémie, aussi bien que du virus Codiv-19, est continuellement mise en doute, de différentes façons et dans des sens parfois opposés. La “réalité”, – dont nous avons avancé depuis plusieurs longues années qu’il valait mieux envisager de l’abandonner comme référence pour cause de désintégration, – semble devenue absolument liquide et expansible, taillable et corvéable à merci, y compris pour cette partie de la psychologie antiSystème qui semble fasciné par l’aspect psychologiquement déstructurant de ce qu’elle a combattu à l’origine.

• ... Le résultat est une sorte de dystopie multiple, dans tous les sens, qui s’affiche au sein même de ces psychologies antiSystème, faisant ainsi cohabiter des analyses structurées et correspondant dans une certaine part à ce que nous désignons comme des “vérités-de-situation”, avec des perceptions totalement déstructurées, installant une pseudo-“réalité” à la place de ce qui est désigné comme la “réalité“ et qui est ainsi mis en accusation.

(D’où la nécessité, pour notre compte, de procéder selon l’approche que nous avons tentée de définir pour le concept de “vérité-de-situation”. La force de cette enquête se retrouve dans la puissance et la cohérence de l’affirmation dont elle accouche.)

• Nos lecteurs ont déjà pu constater que l’exemple et le symbole le plus étonnant pour notre compte de cette perversion partielle mais extrêmement profonde de la psychologie antiSystème est le site ZeroHedge.com qui a constitué une référence constante comme source d’informations antiSystème. Ce site le reste en partie, tandis qu’il dégénère en une déstructuration monstrueuse pour une autre partie de lui-même, spécifiquement dans son appréciation du rôle et de la situation de la Chine dans la crise-Covid19. Ainsi en est-il, selon notre point de vue, dans le compte-rendu que fait ce site,  le 7 avril,  du “déconfinement” de la ville de Wuhan, centre originel de l’apparition du virus. Ce “déconfinement” est vécu dans un très long article farci de références scientifiques et stratégiques, comme une véritable bataille, une sorte de “seconde offensive” chinoise pour un but qui semble être la destruction du monde. On donne ci-dessous des extraits les plus “stylés” de cet article, qui donnent l’impression d’une description de quelque chose comme le lancement de l’offensive allemande de blitzkrieg de mai 1940 contre la France. (Les ponctuations d’ordre graphique, – caractères en gras, souligné, – sont originellement dans le texte.)

« De tels doutes  [sur la possibilité d’une deuxième vague d’infection], combinés aux rapports de nouveaux cas asymptomatiques, font craindre une seconde vague d’infection qui pourrait contredire l’affirmation des autorités chinoises que la Chine à réussi à dompter le virus.
» Pourtant, malgré la possibilité bien réelle que Wuhan soit une bombe à retardement, prête à déclencher une deuxième vague d'infection à coronavirus dans le monde, – et cette fois avec des mutations, rendant nulle et non avenue toute immunité potentielle contre la première vague, – la Chine s'efforce de montrer au monde entier à quel point elle a réussi à résoudre sa propre crise, et les autorités chinoises ont levé la quarantaine de masse de la province de Hubei, à l'exception de Wuhan, sa capitale, le 25 mars.
» Quant à Wuhan, après 76 jours de quarantaine, le verrouillage de la ville, – ainsi que les contrôles sur les voyages à l'étranger, – ont été levés, juste après minuit en Chine, les autorités encourageant la reprise des activités commerciales de ce centre industriel essentiel[...]
» Mais le plus terrifiant est que, selon un radiodiffuseur d'État, l'opérateur ferroviaire national chinois a estimé que plus de 55 000 personnes quitteraient Wuhan en train rien que mercredi. [...]
» En d'autres termes, les chevaux jaillissent de leur box... et cette fois, des milliers d’entre eux pourraient être porteurs du coronavirus mortel. Ce qui est le plus effrayant est que tout se passe comme si la Chine voulait propager une nouvelle vague d’infection dans le monde entier[...]
» Ce qui conduit à une dernière question : si la deuxième vague d'infection que la Chine est sur le point de déclencher dans le monde se traduit par des millions de morts, à quel moment l’action de la Chine sera-t-elle considérée comme un acte de guerre ? »

Le masque est tombé

A ce point et bien que nous ayons écarté avec vigueur (voir plus haut) toute prétention à une conclusion bien entendu, une remarque vaut citation parce qu’elle ponctue le sens général du propos et l’exprime d’une autre façon, à la façon de l’auteur qui est Alastair Crooke. C’est sa conclusion à lui, d’un texte qu’il vient de publier  le 7 avril, en s’adressant aux Masters of the Universe, à ceux que Tom Luongo désigne sous le nom de Davos Crowd, à ces riches esprits qui riment avec un riche portefeuille pour nous faire depuis trente ans et tant et plus, la leçon sur la Méthode du bonheur, de l’abondance et de la richesse dans la Vertu.

“Messieurs, dit Crooke, plus personne ne vous croit, plus personne ne prête attention à vous” (sauf, bien entendu, les décrypteurs nihilistes des innombrables complots qui sont sur notre chemin, comme un alignement de stations-service sur une autoroute à Très-Grande-Vitesse). Ce sont des paroles de sagesse et d’expérience qui concernent le comportement humain en général, qui ne suffiront certes pas à défaire l’ennemi mais qui rassurent l’esprit qui entend garder sa maîtrise de lui au cœur de ce tourbillon crisique.

« Mais ce qui semble devoir peser sur la psychologie collective est d'un autre ordre. L’empathie durant la pandémie ? Aucunement. (Rappelez-vous les commentaires selon lesquels la dévastation de Hubei par le Covid-19 serait bon pour l'Amérique). La solidarité ? Nullement (en aucune façon de la part de l'UE). Le leadership ? Certainement pas, sinon selon les lignes d’une corruption semi-légale, et abondamment. Trump a pris en charge le Trésor américain qui, à son tour, contrôle désormais entièrement les presses à imprimer en dollars de la Fed. Trump est le Roi-Dollar. Il peut imprimer ce qu'il veut. Il peut le donner à qui il veut (via les “Special Purpose Vehicles” [SPV] du Trésor), les sous-traiter au Blackrock Fund. Le budget américain est désormais un cloaque sans fond que nul ne peut plus drainer.
» Comme l'a fait remarquer un banquier : “Voudriez-vous être un candidat démocrate se présentant contre [un Trump]alignant 2 000 milliards de dollars pour les infrastructures dans une économie agonisante ? Bon vent avec ça !” Regardons les choses en face : où se trouvent notre valeur morale, notre sentiment d’appartenance à une humanité commune ?
» Le masque est tombé. Est-ce là le point d'inflexion de l'ordre mondial, alors que le système occidental hyper-financiarisé est incapable de se réformer et refuse même de songer à se réformer, – alors qu’il est impuissant à se maintenir tel qu’il fut ? Le système, – si occupé à contempler son nombril, – remarque-t-il seulement que plus personne au monde n’y croit plus, pas même une seconde ? »

Imperspective  de la prospective

Il faudrait un Jérôme Bosch pour aujourd’hui nous donner une représentation picturale symbolique du monde dans son vertigineux état crisique. La suggestion est absurde, parce que ce n’est pas une temps esthétique propice à un Jérôme Bosch qui avait pour l’inspirer une société spirituellement structurée. Il faut alors se contenter de la laideur militante et du vide artistique de l’Art Contemporain (dit-A.C.) pour décrire le monde par contradiction et par participation, – à la fois illustration et composant de l’imposante laideur du monde ainsi décrit, –  comme absolument déstructuré selon les enseignements des philosophies triomphantes des déconstructeurs.

Le plus remarquable dans ce tableau exempt de toute inspiration artistique, c’est l’extraordinaire labyrinthe marécageux qu’est devenue la réalité, au point qu’il est plus facile, en plus d’être plus fécond bien entendu, de formuler comme l’on lance une hypothèse iconoclaste une vérité par intuition (une “vérité-de-situation”) pour rendre compte de l’essence du monde. Pour autant, il est impossible de ne pas appréhender combien cette dynamique de l’imposture (de l’impossibilité) de la réalité est justifiée. Il doit être considéré selon nous qu’il s’agit finalement d’une mise à jour, d’une lumière jetée enfin sur un monde jusqu’alors dissimulé par un nombre considérable d’entreprises et de machinations comme autant de simulacres depuis l’apparition de la modernité. Nous ne faisons que découvrir la profonde vérité du chaos du monde, jusqu’alors grimé par les artifices (les simulacres) des technologies avec la complicité des psychologies dominantes.

Ce Moment historique comme on le situerait, est en vérité complètement métahistorique. C’est-à-dire qu’il échappe aux observations et aux supputations de la raison maîtrisée et portant belle des commentateurs appointés du Système, ainsi qu’à l’imagination délirante et nihiliste des commentateurs courants (et pullulants, du fait de la puissance et de la présence de la communication) qui se décrivent comme autonomes et libertaires, qui ne répugnent pas de se décrire comme libérés de toute responsabilité et de toute nécessité de cohérence par le fait de leur position décrite comme “indépendante” de toute pression et de tout pouvoir.

Toute prévision, toute prospective, toute recherche à propos du “jour d’après” et du “temps d’après”, que ce soit le “déconfinement” ou la Grande-Dépression postmoderne, sont vouées au ridicule et à la vanité sans lendemain, alors qu’il se révèle comme une évidence que les événements sont conçus, conduits et réalisés par des forces et des dynamiques qui nous dépassent et auxquelles nous ne comprenons rien, et que nous déformons d’autant plus que nous tentons de les comprendre.

Cela mérite réflexion.

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