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496710 octobre 2011 – …. Le dixième anniversaire de 9/11 étant désormais très largement dépassé, nous voilà complètement libérés des devoirs de n’en pas parler à cette occasion, de ne pas être contraint d’en parler en nous en tenant aux seuls aspects immédiats et apparents de l’événement, de risquer d'être éventuellement convoqués, après en avoir trop et mal parlé, devant un tribunal de l’inquisition pour “position pas très claire” sur le problème qui détermine le sort du monde. On a déjà vu (le 26 septembre 2011) que nous entendions exploiter l’occasion de la commémoration de cette façon, en commémorant hors-commémoration.
Certes, il y a une certaine coquetterie de notre part à chercher à nous différencier du troupeau larmoyant de la presse-Système, et à nous dégager des affrontements divers et inquisitoriaux sur l’événement, dont l’infécondité ne cesse de s’accroître et d’épuiser les esprits. D’autre part, il y a la volonté, en nous gardant de ce cadre convenu, de nous donner assez d’aire (selon le terme naval) pour examiner l’événement d’une façon différente, après dix années écoulées depuis qu’il s’est produit, et avec le constat d’une évolution extraordinaire du Système durant ce laps de temps, du sommet de la surpuissance à la Chute de l’autodestruction, tout cela étant perçu à partir de ce point originel de 9/11.
Entretemps ou même en d’autres temps puisqu’il s’agit du 4 septembre 2011, un lecteur, Monsieur Vivien Abadie, nous avait envoyé une question à ce propos. Cette question servira d’entame à ce texte cherchant à offrir une interprétation, – en fait deux, comme on va le voir, – de l’événement 9/11 et de ses incontestables effets sur l’Histoire depuis le 11 septembre 2001. Bien entendu, on a compris qu’il n’est nullement dans nos intentions, évidemment, de nous attacher aux interrogations classiques à propos de cette affaire, c’est-à-dire à propos du “comment” de l’événement (complot ou pas, etc.).
Voici la question : «Par ailleurs, il y a quelque chose que je peine à comprendre: depuis quelques jours, les émissions spéciales consacrées aux 10 ans des attentats du 11 septembre se multiplient et, à chaque fois, il est précisé que c'est un jour qui a changé la face du monde. Or, je n'ai pas l'impression que cela ai changé grand chose et je vois cet évènement plutôt comme la suite logique d'autres dysfonctionnements du système américain tels que la crise politique de novembre 2000, les attentats d'Atlanta en juillet 1996 ou l'affaire Lewinsky. On pourrait penser que cela a entraîné une prise de conscience au sein de la population de la fragilité du système pourtant, la défaite du Vietnam et la Grande Dépression des années 1930 ont déjà démontré la vulnérabilité de ce système. Je me demande, dans ce cas, ce qu'ont changé, selon vous, les attentats du 11 septembre 2001.»
Nous envisageons cette question du point de vue le plus large possible, et, éventuellement et espérons-le, du point de vue le plus haut possible. C’est dire que nous écartons toutes les considérations politiques, morales, stratégiques, opérationnelles, de formes spéculative et polémique dans tous ces domaines. Nous intéresse seulement la dimension fondamentale de l’événement.
Cela est d’autant plus impératif à notre sens que notre lecteur a raison. Il est vrai qu’il y a une continuité entre 9/11 et ce qui a précédé, précisément et exclusivement dans tous les domaines énumérés ci-dessus et pour ce qui concerne l’histoire et les agissements de l’américanisme. Ce n’est pas avec 9/11 qu’ont commencé l’histoire de l’Amérique et la litanie des turpitudes, illégalités et monstruosités de l’américanisme. On peut d’ailleurs conclure là-dessus en acceptant l’évidence que, notamment, la thèse selon laquelle 9/11 est, dans l’absolu et objectivement, une riposte à tant d’actes subversifs et illégaux des USA, est absolument fondée, puisque les turpitudes américanistes précédèrent de nombreuses années, de décennies, etc., la “riposte“ 9/11… Bien entendu, cette “conclusion” à ce point ne concerne que les domaines que nous n’abordons pas (politique, moral, stratégique, opérationnel).
Donc avec 9/11, rien ne devrait vraiment avoir changé, et pourtant tout a changé. On comprend que c’est ce “pourtant” qui nous importe, et qu’il est manifeste, dans la logique du constat précédent que 9/11 n’apporta rien de nouveau dans les domaines classiques, que nous devrons en chercher l’explication dans des domaines “non-classiques”, hors des explications rationnelles courantes.
Nous présentons ici deux approches extraites de deux travaux que nous effectuons parallèlement à ceux qu’on trouve sur ce site. Elles concernent effectivement des domaines qui sont assez peu consultés, sinon même envisagés, lorsqu’il s’agit d’examiner la question des attentats 9/11. Elles concernent également la question du “pourquoi 9/11 est si important” en abordant des domaines hors de la sphère habituelle des réflexions, alors que les analyses diverses et polémiques ont porté essentiellement sur la question du “comment 9/11 est si important”, en s’en tenant à ces domaines des sphères habituelles de réflexion. Au contraire, nous estimons que le jugement de l’extrême importance de 9/11 ne peut se concevoir qu’en abordant la question “pourquoi”, et nullement la question “comment”.
Nous avons d’abord recherché une approche qui n’aurait concerné que le Système lui-même, ou le système de l’américanisme, en tentant d’interpréter la réaction de ce système à l’événement. Nous baptiserions volontiers cette approche de “psychanalytique”, dans la mesure où elle a manifestement à voir avec la psychologie malade du système de l’américanisme. Nous avons esquissé cette approche dans notre rubrique Perspective du numéro du 10 septembre 2011 de dde.crisis. Nous constations que le Système avait voulu créer, à partir de 9/11, un mythe qui refondît sa légitimité et il n’avait abouti finalement qu’à fabriquer, à substantiver en un sens, le symbole de son destin d’autodestruction. Voici quelques extraits du passage qui nous intéresse. (Parlant du “discours de Rumsfeld de la veille”, nous parlons effectivement de ce formidable discours du 10 septembre 2001, de l’ambigu secrétaire à la défense que fut Donald Rumsfeld.)
« Il est apparu dès le premier jour, dès le 11 septembre 2001, que cet événement serait nécessairement interprété. Tout l’indiqua aussitôt, dans les réactions diverses observées. Les dimensions colossales et monstrueuses qu’on donna aussitôt à l’événement, tant dans les circonstances (la forme de l’attaque contre des constructions si prestigieuses), dans les effets (destructions et pertes), que dans l’exploitation de la chose (développement sous toutes les formes possibles de la présentation de l’attaque par le système de la communication), tout indiquait une tentative de faire de 9/11 un mythe. La suite a bien montré qu’il s’agissait d’un mythe dont on attendait qu’il re-fondît la légitimité du Système.
» En un sens, ce fut une surprise. En effet, on pouvait très bien ne pas imaginer que le Système en fut au point où il avait besoin de re-fonder sa légitimité. Il y a là un mystère, dont le discours de Rumsfeld la veille est peut-être la clef ; ce discours qui montrait, par le biais d’un serviteur du Système dont on se demande encore s’il était ou non conscient de l’enjeu, l’angoisse extrême de l’existence de certaines forces intérieures du Système, qui semblaient attachées à sa propre perte. Peut-être pourrait-on interpréter la rage extraordinaire de Rumsfeld, dès le lendemain, pour obtenir que l’attaque contre l’Afghanistan ne fut qu’une “ouverture” avant l’aventure beaucoup plus ambitieuse de l’Irak, comme une tentative d’imposer à la bureaucratie du Système (du Pentagone) de telles contraintes que cette bureaucratie perdrait les capacités de nuisance qu’il avait dénoncées la veille. Ce serait alors proposer la doctrine du “chaos créateur” à l’envers : que le chaos fut imposé, non à l’Irak, mais à la bureaucratie du Pentagone, pour forcer à une re-création, – cela correspondant effectivement à une tentative de re-légitimisation... Mais la bureaucratie ne céda pas et Rumsfeld s’en alla.
» C’est alors qu’il faut chercher une autre explication, tout en conservant tout de même des références similaires. Dans ce cas, Rumsfeld, même s’il peut-être investi d’une certaine vista, redevient un acteur secondaire évoluant dans le cadre d’une conception où il pensait que le système du Pentagone pouvait encore être dompté avant qu’il ne détruisît l’Amérique. Dans ce cas, il ne s’agit pas du système de la bureaucratie, ni même du système de l’américanisme, mais du Système tout court.
» Dans ce cas (suite), il faut accepter d’envisager l’hypothèse que le cadre où démarre et se développe ce drame cosmique dont 9/11 a été l’ouverture représente la dernière phase du Système, celle où le Système lance sa dynamique de surpuissance, par tous les moyens, dans le vague espoir d’une “fuite en avant” qui parviendra à une transmutation des choses et lui évitera son sort inéluctable... Son sort inéluctable, c’est cette mécanique fatale qui fait que le Système, disposant de sa dynamique de surpuissance, et une fois qu’il l’a mise en action, découvre automatiquement et nécessairement l’autre dynamique parallèle qui anime sa trajectoire, qui est une dynamique d’autodestruction ; et, bientôt, cette dynamique de surpuissance, suivant cette trajectoire, qui finit par s’accoler à la dynamique d’autodestruction et à l’alimenter. Ainsi, plus le Système affirme sa surpuissance, plus il alimente sa dynamique d’autodestruction.
» Ce fut le cas durant ces dix années depuis 9/11, où l’on vit un déchaînement de puissance (de surpuissance) sans précédent, alimentant sans cesse, de plus en plus vite, de plus en plus fortement, une dynamique manifeste d’autodestruction. Le mystère reste de savoir pourquoi le Système a choisi cette voie qui est celle de l’inéluctable autodestruction? Aurait-il pu faire autrement? N’était-ce pas sa destinée fondamentale, dans sa nature même, que de développer toute la surpuissance dont il est doté, qui est sans équivalent possible, pour atteindre enfin à l’autodestruction absolue? »
On voit dans cet extrait que nous proposons une amorce d’explication, en nous plaçant du point de vue du Système, mais en soulevant d’autre part certaines autres questions sur l’événement lui-même et l’usage qui en fut fait. Nous essayons donc de pousser l’investigation, en poursuivant une explication qui accentue la transmutation de cet événement, essentiellement vers une dimension métaphysique. Nous empruntons cette voie à cause de la perception inouïe et de l’effet psychologique colossal, le second à la mesure de la première certes, qui dépassent dans une mesure extraordinaire et presque surréaliste la réalité “opérationnelle” (humaine, stratégique, morale, etc.) de cet événement. On dirait que l’événement lui-même, d’une part, et les effets et réactions psychologiques qu’il provoqua, d’autre part, n’appartiennent pas au même univers. Ces conditions pressent en effet de chercher des explications justement, complètement hors du domaine “opérationnel”, et même hors du domaine rationnel habituel.
Une remarque nous a encouragé dans cette voie, d’un auteur qui n’est pas habitué à des références ou des hypothèses métaphysiques, qui n’est nullement impressionné par la mystique-Système de 9/11, qu’il repousse absolument. Pourtant, il y a cette remarque de Justin Raimondo, du 9 septembre 2011, que nous commentions le 10 septembre 2011… (Nous soulignons en gras l’expression qui nous importe.)
«However, as I’ve pointed out before – on all too many occasions – the terrific force of the explosions that brought down the World Trade Center opened up a hole in the space-time continuum, so that Bizarro World has “leaked” into our own universe, and is slowly taking it over.»
Nous avons développé une interprétation métaphysique de 9/11 à partir de cette idée de la puissance de l’événement créant un “trou” dans la continuité, – non pas “espace-temps” pour notre compte, mais dans la continuité métahistorique qui implique le sens le plus haut des événements et la métaphysique de la situation, – tout cela comprenant le “continuum espace-temps” mais n’étant en aucun cas réduit à lui, il s’en faut de beaucoup. Nous avons raisonné à partir d’une analogie avec la bataille de Verdun, selon l’interprétation que nous en avons déjà donnée à plusieurs reprises, et selon notre interprétation métahistorique plus large que c’est l’Allemagne qui a été jusqu’à sa disparition en tant que puissance (disparition échelonnée de 1918 à 1945) le véhicule du “déchaînement de la Matière” qui prit naissance à la jointure des XVIIIème et XIXème siècles. (Ces idées sur l’interprétation de la bataille de Verdun sont esquissées dans le livre Les Âmes de Verdun, cités dans l’extrait ci-dessous.)
Verdun, dans sa première phase de l’attaque allemande (21 février-début mars 1916), soutenue par un formidable déluge d’artillerie dont la puissance de choc a des similitudes avec 9/11, figure effectivement un événement que nous caractérisons comme une tentative d’imposer une “métaphysique de la force” devant achever de légitimer ce “déchaînement de la Matière”. A cet égard, Verdun fut un échec “pour la Matière” et un triomphe de l’esprit. (Mais le Système, le “déchaînement de la Matière”, la modernité n’en poursuivirent pas moins leur route.) C’est la même interprétation que nous retrouvons pour 9/11, et que nous tentons de restituer dans le texte ci-dessous, extrait de la Quatrième Partie, du Deuxième Livre de La grâce de l’Histoire. (*) (Voir notre rubrique.)
« Là-dessus, et pour terminer opportunément et logiquement cette partie du récit ; pour également la lier chronologiquement à notre crise présente, et rappeler la constance et la force de ce lien ; pour achever enfin de renforcer mon hypothèse selon laquelle l’essentiel de cet immense déchirement métahistorique se joue au niveau de la métaphysique et de la psychologie, je propose cet élément supplémentaire d’une interprétation à mesure de l’ensemble de la démarche de cet événement qui constitue le paroxysme symbolique du caractère rupturiel de cette époque du début du XXIème siècle, et peut-être la rupture fondamentale elle-même. Il s’agit précisément de l’événement de l’attaque du 11 septembre 2001, qu’il importe ainsi de réinterpréter dans une situation d’équivalence avec la bataille de Verdun, selon la démarche analogique envisagée, selon l’interprétation métaphysique nécessaire. Dans ce cas, il s’agirait, dans le chef de l’attaque du 11 septembre 2001 et sans se préoccuper de l’accessoire que constituent les circonstances et manigances terrestres de la chose, de la tentative ultime du Système d’en revenir à une métaphysique de la force (celle de Verdun), après l’échec plus ou moins inconsciemment perçu de la métaphysique-simulacre (autour de l’Holocauste) développée avec la fin de la Guerre froide, et finalement en aucune façon décisive à cet égard ; ultime tentative, échec ultime sans nul doute… On empruntera alors comme un point de départ acceptable l’idée apparue au détour d’un texte d’un chroniqueur américain (Justin Raimondo, le 9 septembre 2011, sur Antiwar.com), en ayant d’ailleurs pleinement conscience que l’idée développée ici n’a nul rapport avec celle que développe l’auteur ; il s’agit d’une de ces occasions où la puissance des mots, où la force de l’image devenant symbole, conduisent la pensée éclairée par l’intuition sur une voie qui n’est pas celle qui était envisagée initialement ; ainsi se manifestent la richesse et la diversité du langage lorsqu’il est chargé d’une substance où l’on peut former une essence qui rend compte effectivement de l’intuition qu’on a signalée. La remarque qu’on cite dit ceci : “[T]he terrific force of the explosions that brought down the World Trade Center opened up a hole in the space-time continuum…”
» Dans la description et le développement de l’hypothèse, il importe de revenir à Verdun comme à un phénomène tout à fait différent du reste de la Grande Guerre. Nous avons largement fait référence à Verdun, dans les Première et Troisième Parties du Premier Livre, et encore plus dans la Première Partie de ce Deuxième Livre ; justement, par rapport à cette dernière référence, la plus proche dans la récit, il s’agit de donner une interprétation sous un angle différent du même événement que nous avons largement détaillé. Plus haut, Verdun était observé comme une partie de la Grande Guerre, pour en faire une analogie, qui impliquerait la Grande Guerre par conséquent, avec le “capitalisme de désastre” qui caractérise notre temps de ce début du XXIème siècle. Mais le point de vue différent que nous choisissons désormais nous permet, au contraire, de distinguer tout ce qui, à côté de leurs similitudes diverses, différencie décisivement Verdun de la Grande Guerre, dans le détail même de l’“opérationnalité” de la chose comme dans son appréciation métaphysique, – ce à quoi nous voulons en venir.
» Par la forme, par l’enjeu, par l’esprit qui y présida, par la tactique elle-même qui fut contraire aux grandes tueries statiques des tranchées alignées face à face, par l’effet extraordinaire qu’elle produisit dans la psychologie collective en s’imposant comme une “guerre différente” dans la Grande Guerre, par la dimension eschatologique de l’attaque initiale et par la dimension spirituelle de la défense contre cette attaque, Verdun devient effectivement quelque chose de complètement à part. Dans notre observation métaphysique de l’événement, il y a l’événement spécifique du terrifiant et formidable déluge d’artillerie concentré dans un espace de temps comprimé et redoutablement renforcé de quelques heures à quelques jours, ce déluge de fer et de feu sans aucun précédent dans ce qui avait été fait en matière d’utilisation de la technologie mise directement au service de la violence et de la mort, qui marqua la préparation et le soutien de l’attaque initiale des Allemands du 21 février 1916, dont il était prévu un aboutissement décisif par une victoire finale et, dans cette logique, la prise de Verdun au début de mars 1916, avec la possibilité d’un immense enveloppement stratégique des forces alliées sur la Somme et de Paris, jusqu’à la victoire éclair devenue ultimement possible. Cet “événement spécifique” à l’intérieur de la bataille de Verdun elle-même prise comme une “guerre différente” dans la Grande Guerre correspond à l’attaque du 11 septembre 2001, par la “volonté” de choc qui y préside, mais une “volonté” qui semble échapper au domaine de la seule raison humaine, sinon la raison subvertie par la Matière, voire qui échappe à la conscience elle-même comme si elle lui était extérieure, pour effectivement faire une intrusion dans une tentative métaphysique du déchaînement de la Matière. Nous notions en 2008, dans Les Âmes de Verdun, après avoir rappelé l’incertitude des chefs allemands à propos du déclenchement de l’attaque, de ses modalités, de ses buts en vérité : “On dirait que les chefs allemands, divisés et incertains, finiraient par céder à la tentation étrangement confortable de s’en remettre à la machine, à la ferraille, à la mécanique qui crache le feu et la mort, à sa puissance niveleuse, à sa capacité apocalyptique, à son infécondité chaotique, pour créer une situation nouvelle et totalement différente, – un “monde nouveau”, n’est-ce pas? – qui réglera notre affaire et inventera les conditions du combat, ses buts et ses objectifs, qui réglera le sort de la bataille et, peut-être, pourquoi pas? – l’issue de la guerre.”
» Cela, – Verdun, comme 9/11 un siècle plus tard, – devient alors un choc d’une puissance inouïe qui doit rompre, mais aussi un choc qui ne se contenterait pas de tenter d’influer sur le déroulement normal de l’Histoire, qui aurait l’ambition de constituer une intrusion majeure en elle-même, dans cette Histoire, et dans le destin de notre aventure, pour une subversion majeure à son profit par un changement d’orientation significatif et impératif ; “a hole in the space-time continuum…”, comme si la force ajoutée au choc entendait installer par la pression formidable qu’elle imposait aux conditions courantes, y compris ce que Raimondo nomme “le continuum espace-temps”, des conditions nouvelles pour imposer sa métaphysique, – la métaphysique de force… (Mais, bien entendu, nous sommes dans un cadre beaucoup plus large que le seul “continuum espace-temps” car cette “espace-temps” est celui d’un Moment métahistorique fondamental, celui où le “déchaînement de la Matière” se dépouille de son masque et applique toute la folle surpuissance de son ambition, sa volonté de rompre, son dessein de disloquer et de désintégrer, pour installer sa propre loi, sa propre conception du monde, – la Matière déchaînée voulant imposer la matière à la fois comme origine, réalité présente et seul avenir possible du monde.)
» Ainsi établit-on un lien qu’on a déjà signalé, à la lumière de l’intuition, entre la Grande Guerre, et Verdun à la fois complètement une partie de la Grande Guerre et Verdun complètement en dehors d’elle, et ce début du XXIème siècle ouvert par l’attaque du 11 septembre 2001. En 1916, à Verdun, le fait extrêmement précis de la tentative de “percer” définitivement les conditions du monde pour y installer, tout aussi définitivement, les nouvelles conditions du “déchaînement de la Matière” sous les auspices grandioses de la métaphysique de force, cette tentative échoua. Il ne pouvait en être autrement sur le plan fondamental du Principe puisque l’idée d’une métaphysique de force entièrement déterminée par le Mal qu’est la Matière en l’occurrence est doublement absurde : il est absurde que la Matière soit constitutive d’une métaphysique, et il est absurde que le Mal, qui est la Matière elle-même, soit l’essence même de la métaphysique. Ce fut par conséquent l’échec de Verdun, qui n’empêcha en rien, pourtant, la poursuite de l’avancée du “déchaînement de la Matière” sous la forme de la modernité. Mais cette avancée restait inassouvie tant que cette soif de métaphysique n’était pas étanchée ; elle ne le fut en aucune façon, comme on l’a vu, y compris par les dérisoires tentatives de métaphysique-simulacre. Selon cette interprétation, le 11 septembre 2001 est une nouvelle tentative, et une tentative dont il est exigé qu’elle soit décisive parce que les conditions du monde et du Système lui-même font que c’est la dernière possible, d’un Système parvenu au sommet de sa surpuissance, de parvenir à son complet accomplissement par sa quête réussie de sa propre métaphysique. On observe alors comme une découverte essentielle, et cela nourrira plus loin nos réflexions, que le Système, lorsqu’il se trouve au sommet de sa surpuissance, a besoin d’être adoubé par quelque chose de supérieur à lui, qu’il prétendrait tout de même s’annexer dans une exigence contradictoire et absurde, et il n’hésite pas à jouer son va-tout pour cela… Ce faisant, il déclenche la dynamique d’autodestruction qui l’habite, qui côtoie dans une malédiction fondamentale, l’exercice extrême de sa dynamique de surpuissance. L’on découvre en effet que le Système, fait de la seule Matière, ne peut s’accomplir sans une onction métaphysique qu’il ne peut pourtant atteindre, par définition absolue et exclusive ; cette onction, cet adoubement, nous dirions que c’est pour lui une question de vie ou de mort : s’il ne l’a pas il périt. Ainsi déchaîne-t-il toute sa puissance (Verdun, 9/11) pour l’avoir lorsque tous les autres moyens ont échoué, pour échouer à nouveau, et ainsi se comprend-il d’une manière irréfutable que l’exercice extrême de la surpuissance du Système entraîne nécessairement sa dynamique d’autodestruction lorsque la tentative est finale et sans retour, comme l’est 9/11… C’est cette situation qu’ouvre l’attaque du 11 septembre 2001 ; il y a peut-être eu le percement furieux d’un “trou” dans ce qu’il reste d’ordre du monde, dans le “le continuum espace-temps”, mais c’est pour laisser s’y glisser bien autre chose que l’accomplissement du triomphe du Système, ou du “déchaînement de la Matière” ; ce qui jaillit par ce “trou”, au contraire, ce sont les conditions générales de la crise ultime et d’effondrement du Système.
» Tout cela forme le développement de ce que je nomme la “deuxième civilisation occidentale”, jusqu’à son terme, je l’espère et je le crois, jusqu’à ce “trou” forcé dans la structure-cuirasse du Système, soi-disant pour lui assurer son influx salvateur de métaphysique de la force, en vérité pour percer audacieusement, et bientôt tragiquement, je veux dire jusqu’à sa mort, le cœur de la surpuissance du Système basculant vers l’autodestruction. Pour mieux marquer la gravité de ces temps historiques, et le caractère “rupturiel” de la chose, il s’impose à l’esprit la confirmation, – puisque j’ai déjà employé sans vergogne l’expression, – que cette expression de “contre-civilisation” décrirait décisivement le phénomène, en lui donnant son orientation fondamentale. La lumière présente, sur le champ de notre affrontement ultime, ne laisse aucun doute là-dessus. »
L’introduction de cet extrait de La grâce de l’Histoire est pour nous une première occasion d’annoncer une reprise des mises en ligne de la suite de ce même travail de La grâce de l’Histoire. Très prochainement, un texte de présentation précisera les conditions de ce “retour”, ainsi que les circonstances qui ont suscité l’interruption que l’on a pu constater.
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