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6034A Munich avait lieu l’annuelle conférence anciennement et poétiquement connue (du temps de la Guerre froide) sous le nom de la Wehrkunde. D’habitude, il s’agit d’un festival de certitudes cliquetantes et de roulages d’épaules des principaux partenaires des USA, le nid de l’atlantisme regroupé en rang et au pli du pantalon autour des envoyés des USA approbateurs, en faveur de la puissance de l’OTAN et du bloc-BAO en général, du suprémacisme occidental. L’argument pèse son poids, il va du char de combat et des bombes intelligentes aux valeurs de la civilisation et à l’indépassable démocratie occidentale.
Cette fois-ci, ce fut un peu différent. Divers orateurs geignirent considérablement en constatant que les nationalismes des divers membres du bloc-BAO, pimentés d’un zeste de protectionnisme et d’une pincée d’égoïsme isolationniste, compromettaient gravement la cohésion de l’ensemble. La commentatrice de l’excellente gazette-sur-site RT.com, Helen Buyinski, a parfaitement raison de remarquer que les geignards qui ont développé ce thème confondent cause et conséquence, comme à l’habitude. Elle prend le cas des pays européens par rapport à l’UE, mais le cas vaut universellement pour les pays du bloc-BAO, dans tous les comportements de leurs activités, et particulièrement dans celui de l’affirmation d’une suprématie qui n’est plus qu’une vieille coquille vide du passé
« Les pays Européens présents à la Conférence de Munich sur la sécurité qui accusent le “nationalisme” du déclin de l'Occident confondent la cause et l'effet. Ce sont leur caricatures vide et contraignante du “libéralisme” qui fait fuir les pays européens[du rassemblement institutionnel qu’est l’UE] vers le nationalisme. »
Et Buyinski enchaînent à propos du “Westlessness”, néologisme anglo-saxon, ou anglicisme si l’on veut, quasiment intraduisible sinon par une expression vaguement significative mais avec une certaine ambition dialectique, selon l’idée du “moins d’occidentalité”, – et qui ferait mieux, pour résumer le propos, d’aller voir du côté de Spengler et de son Déclin de l’Occident... C’est effectivement ce que font les organisateurs de la conférence, qui ont effectivement suscité cet anglicisme en le présentant comme thème de la conférence en sollicitant la référence spenglerienne, sans doute inspirés par les déclarations audacieusement iconoclastes du président français Macron :
« Un anglicisme, créé et mis en avant dans le rapport introductif de la Conférence de sécurité de Munich-2020, est présenté non seulement comme le thème de cette conférence, mais également comme la synthèse de la situation actuelle de l’Occident : il s’agit du concept de “westlessness”. Ce terme, analysé en profondeur et avec des références dès le début du rapport présentant la conférence, peut se définir par “un sentiment généralisé de malaise et d’agitation face à l'incertitude croissante quant à l’objectif d’un Occident durable”, soit une version modernisée des thèses de l'essai ‘Le déclin de l’Occiden’ du philosophe conservateur allemand Oswald Spengler (1880-1936).
» Le rapport précise ensuite : “Des changements de pouvoir de grande envergure dans le monde et des changements technologiques rapides contribuent à un sentiment d’anxiété et d’agitation. Le monde devient moins occidental. Mais plus important encore, l’Occident lui-même peut aussi devenir moins occidental. C’est ce que nous appelons ‘Westlessness’. »
Là-dessus, les philosophes se sont affrontés, – à savoir le secrétaire d’État Mike Pompeo et le président Macron. Leurs deux discours semblaient être comme une joute verbale du tac au tac, autour de cette idée antagoniste du “Je suis en déclin, moi non plus”.
« “Je suis heureux d'annoncer que la mort de l'alliance transatlantique a été prématurément annoncée. L’Occident est en train de gagner, nous gagnons collectivement et nous le faisons ensemble”, a déclaré Mike Pompeo, samedi à la Conférence sur la Sécurité de Munich... [...], dans une allusion à peine voilée aux célèbres remarques du président français Emmanuel Macron sur la “mort cérébrale” de l’OTAN.
» Les nations “libres” ”ont tout simplement plus de succès que tout autre modèle qui a été essayé dans l'histoire des civilisations”, a-t-il déclaré, en faisant remarquer que les migrants fuient vers l’Europe, et non vers Cuba, et que les gens vont étudier “à Cambridge et non à Caracas” tandis que les entreprises sont ouvertes dans la Silicon Valley et non à Saint-Pétersbourg. »
Macron est intervenu après Pompeo. Manifestement, il a voulu lui répondre, comme Pompeo avait prétendu répondre à Macron, bref on s’échange quelques petites piques selon les règles du marquis de Queensbury. Entêté, le Français n’a voulu céder en rien à son interlocuteur américaniste, lequel n’était en plus, ou en moins, point de son rang... Le Français l’a fait indirectement, en s’adressant à ses partenaires européens, parce que pour lui la situation des USA n’est pas la même que celle de l’Europe, – belle trouvaille, – parce que l’Europe est dans le même espace continental que la Russie, et pas les USA, – observation judicieuse.
« L’Europe “devient un continent qui ne croit plus en son avenir”, a-t-il affirmé, avant de proposer une vision beaucoup moins optimiste du monde occidental.
» “Il y a en effet un affaiblissement de l'Occident. Il y a 15 ans, nous pensions que nos valeurs étaient des valeurs universelles, qu’elles domineraient toujours le monde, et nous étions dominants en termes de technologie militaire, etc.”
» Mais dans le monde d'aujourd'hui, “les valeurs ont changé” et de nouvelles puissances sont apparues, a dit M. Macron, en particulier la Chine et la Russie.
» “J'entends la défiance de tous nos partenaires [vis-à-vis de la Russie], je ne suis pas fou. Mais il est vrai qu’être défiant et faible à la fois... ce n’est pas une politique, c'est un système complètement inefficace”, a insisté Macron. Il a observé qu'il y a toujours “un deuxième choix”, ici reprendre le dialogue avec Moscou, – “aujourd'hui nous parlons de moins en moins, les conflits se multiplient et nous ne sommes pas capables de les résoudre”. »
C’est toujours le même rythme, la même stratégie du “en même temps” chez Macron, et aussi bien dans sa réflexion stratégique. Ainsi parle-t-il notamment des sanctions antirusses, pour déplorer qu’elles participent au gel d’une situation qui interdit le dialogue tout en coûtant aussi cher, sinon plus cher à l’Eutrope-sanctionneuse, qu’à la Russie-sanctionnée. Et pourtant dit-il subrepticement, mais on retiendra surtout ce coup d’arrêt, et pourtant « je ne propose pas de les lever, je fais juste le constat ».
« Nous avons accumulé les conflits gelés, les systèmes de défiance, des sanctions qui n’ont absolument rien changé en Russie, je ne propose pas du tout de les lever, je fais juste le constat...[...] Nos sanctions et les contre-sanctions nous coûtent aussi cher, à nous Européens, si ce n’est plus, qu’aux Russes. »
Président “en-même-temps”, Macron clame haut et fort que les sanctions sont une sottise mais surtout, surtout, – “n’allez pas croire que je propose de cesser cette sottise, je la constate simplement”. Il y a là-dedans, quel que soit le rapport de force que les experts du Quai d’Orsay mesurent avec leur calculette, comme une faiblesse grave de la volonté, une infécondité du caractère.
Curieusement, alors que l’évidence ne manque pas de nous dire que la France a gagné, avec le départ de l’UE du Royaume-Uni, une position stratégique dominante en Europe notamment comme unique puissance nucléaire, il y a comme une étrange pusillanimité, – “je suis le plus fort en Europe, mais n’allez pas croire que je veux me servir de cette position, je la constate simplement”. Non seulement, il n’en fait que le constat sans vouloir en faire un instrument de pression pour ses conceptions, – s’il en a, et dans le bon sens, – mais en plus il se précipite pour expliquer aux Allemands qu’il va faire tout son possible pour leur faire croire qu’il leur donne une sorte de participation dans le constat de cette puissance nucléaire, comme si les Allemands pouvaient s’en croire également les récipiendaires, oubliant cette règle d’or que le nucléaire ne se partage pas, – un seul bouton, un seul doigt.
Macron pousse le “enmêmetempisme”, nouvelle doctrine postmoderne, jusqu’à faire déployer une poignée de soldats français sur les frontières russes des pays baltes, pour convaincre ces importants partenaires stratégiques, à la politique si complètement équilibrée, qu’il faut aussi soutenir la France dans son intérêt quasi-exclusif pour le seul vrai danger, sur sa frontière Sud. (Et sur son Ouest, dito les États-Unis.)... “En même temps”, il faut expliquer aux Russes que ce déploiement des forces françaises sur leur frontière occidentale, dans le cadre de l’OTAN lourdement tenu par les américanistes et les amis-polonais, est tout ce qu’il y a de plus amical ; une sorte de main tendue à la Russie, en signe d’amitié si l’on veut.
“En même temps”, effectivement et même évidemment, Macron est plus que jamais partisan d’une architecture européenne de sécurité avec la Russie, la recherche d’un développement de « règles du jeu dans un espace partagé ». Pour autant, c’est-à-dire “en même temps”, Macron n’est pas un naïf, et on ne la lui fait pas ; il sait tout de la duplicité de la Russie, et il y a même des députés de LaREM à Paris, qui constitue une redoutable escadrilles à cet égard, pour évoquer la Russie à propos du revers stratégique terrible du dévoilement des ébats intimes de Griveaux, – car il y a du Russe dans l’affaire, comme chacun sait, Piotr Pavlenski, qui est en plus un anti-Poutine, c’est tout dire
« “Je pense [dit le président] que la Russie continuera à essayer de déstabiliser, soit[via] des acteurs privés, soit directement des services, soit des ‘proxies’”, estimant que Moscou continuerait d'être ‘un acteur extrêmement agressif” dans ce domaine. “Mais il faut se méfier, il n’y a pas que la Russie, il y a beaucoup d'autres pays”, a-t-il déclaré. »
En même temps (suite), « il y a beaucoup d’autres pays »... Lesquels ? demanderont sans doute les Russes, intéressés au moins par politesse.
Mis en ligne le 15 février 2020 à 18H15