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593214 janvier 2019 – Il y eut aussi, dimanche soir, une intéressante confrontation de deux complices qui s’entendent comme larrons en foire, et cette fois des larrons plutôt inquiets et fébriles ai-je trouvé à ma grande surprise ; et une foire qui avait, – même surprise, – des allures de veillée sinon funèbres dans tous les cas fiévreusement préoccupée bien que je n’oserais dire, par respect pour les augustes acteurs de la chose, comme j’allais écrire : “sinon paniquarde par instants”.
(Ces deux-là, ils sont ma référence de la suffisance et de la certitude ironique et persifleuse du Système, et d’ailleurs pas sans charme. Je vois leur émission régulière du dimanche 19H00-20H00 par bribes, avec zappages permanents, – question d’insupportabilité dans mon chef, quand on sait ce qu’ils sont et ce qu’ils font. Cette fois, j’ai pris l’émission à un tiers de son temps et j’ai suivi jusqu’au bout. Je me suis aperçu que ce que j’avais ressenti par ailleurs [« La morosité... [...] la marque d’un réel découragement... [...] C’est le désordre et la confusion, la panique et la colère, la haine et l’incompréhension... »] s’exprimait là aussi d’une manière singulièrement et paradoxalement claire, avec leur brio habituel et l’aisance coutumière qui font leur succès dans les salons. Le Système panique très gravement face au GJ, c’est dit.)
C’était donc le « En Toute Franchise » de 19H00-20H00 de LCI, – plutôt Daniel Cohn-Bendit (Dany) “avec” Luc Ferry (Luc) que contre Luc Ferry, dirais-je ? Cette fois plus que jamais, l’accord fut parfait entre “Dany” et “Luc”, qui se livrèrent à un étrange “débat” devenu un parfait exemple de monologue à deux (“Dany a raison”, “Comme le dit Luc”) ; et cette fois, éclatant et lumineux, selon un mode opératoire singulier par son extrême schizophrénie, si bellement illustratif de la confusion pressante qui caractérise leur parti.
(A relire ce que j’écris, je range brutalement le jeu de mots auquel je songeais, comme un mauvais sujets, ayant pensé un instant à faire ce titre à cette page du Journal-dde.crisis, songeant à mes héros si braves et si glorieux du temps de ma très-prime jeunesse mais aussi pour indiquer le sens un peu parodique et à ne pas prendre au pied de la lettre du propos, simplement restituant l’étrangeté de l’atmosphère où baignent les esprits, comme en bande dessinée : “les aventures de Luc-Dany”.)
Je suis tombé au moment où l’on poursuivait la vision apocalyptique de ce qui nous attend, qui constitua l’une des notes lugubres du bruit de fond constant de la conversation : la victoire inéluctable dans le futur plus ou moins proche de Le Pen, dans tous les cas des “populistes” et de l’extrême-droite, avec ou pas les LFI de Mélenchon, avec ou pas Mélanchon d’ailleurs ; pour Cohn-Bendit, l’homme de tous les dangers des LFI c’est Rufin, qu’il compare à Pépé Grillo, le fondateur des 5 Etoiles en Italie ; Luc Ferry est le plus lugubrement affirmatif, les choses vont inéluctablement vers un “scénario à l’italienne” avec un rassemblement RN-LFI, c’est la fin “des valeurs démocratiques qui ont été les nôtres pendant 40 ans ”.
Ainsi se déroule sous nos oreilles, dans le chef de deux brillants représentants des élitesSystème, par simple logique antagoniste, une apologie sans réserve ni hésitation du régime dans et sous lequel nous vivons dans sa description symbolique et théorique, avec l’alternative suggérée symboliquement comme étant diabolique et catastrophique. Tout cela est en même temps présenté comme implicitement promis à une fin inéluctable... Quelle catastrophe ! se dit-on si l’on suit implicitement nos discoureurs... Et pourtant, réalise-t-on brusquement, il semble que ce n’est pas si sûr, et même que rien n’est moins sûr quant à la vertu lumineuse du Système ?!
Cette dernière réflexion vient d’un autre fil de la conversation, parallèlement à l’apologie du Système et constitue l’autre note, plutôt scandalisée que lugubre, du “bruit de fond de cette conversation” dont je parlai plus haut. En effet, comme si une mouche avait piqué nos deux compères, voilà qu’ils développent une critique acerbe et même furieuse de la situation présente, celle que nous a amené ce régime qui suit toutes “les valeurs démocratiques”. Brusquement, on croirait entendre deux GJ sur un rond-point perdu de la France périphérique.
C’est Ferry qui commence en observant que l’hyperconsommation à laquelle conditionne ce terrible régime dépasse les pauvres moyens du pauvre Français moyen (autour de €1 350 par mois, précise-t-il) et l’appauvrit inéluctablement. Mais c’est vrai, il ne peut pas s’en sortir ! Et Ferry, lui le vrai moderne, de se lamenter avec élégance sur ces 40 dernières années où l’on a déconstruit les traditions comme la famille et toutes ces chères vieilles choses, qui nous permettaient de résister à ces pressions épouvantables. Il apostrophe les barons du fric en leur affirmant que s’ils payaient mieux leurs employés, ils leur permettraient de mieux vivre et, par parenthèse, leur vendraient plus de leurs produits, – fordisme des années 1910 du temps de la Ford-T réinventé...
“Dany” se découvre un autre cheval de bataille, un vrai pur-sang auquel nul ne songeait : mais enfin, comment peut-on supporter les incroyables inégalités de revenus ? Tel privilégié plus ou moins du type-CAC40 qui touche 40, 50 fois, 100 fois ce que touche le pauvre GJ ! Comment peut-on supporter cela ? Ferry sort un lapin de sa poche : il faut la participation, cette vieille chose qui couta sa peau à de Gaulle, avec son référendum de 1969, une vraie participation qui donne des dividendes aux pauvres travailleurs et pas tout le fric aux plus riches qui ne foutent rien ; “Dany” en rajoute une couche en souvenir du bon vieux temps du “Mouvement du 22 Mars” (est-ce bien la date ? Pas sûr) et de ses études à Nanterre, dortoir des filles, où l’on parlait avec grand sérieux de la cogestion des travailleurs à-la-yougoslave du temps de Tito...
Et ça continue sur le même rythme, et bientôt vous vous demandez : comment arrive-t-on à vivre à la fois dans deux univers, l’un qui porte en triomphe et aux nues le système où nous vivons (le Système) qui organise cette existence échevelée et catastrophique et l’autre qui fait une critique révolutionnaire de la situation que crée ce Système, au point où l’on ne serait pas autrement surpris d’entendre l’un des deux s’écrier : “Et alors, les GJ, qu’est-ce que vous attendez pour prendre d’assaut l’Élysée ?”
Le dernier mot à Ferry, alors que les deux commencent à se lever, conversation terminée : “Ah oui, je tiens à préciser encore une fois que je n’ai jamais demandé qu’on tire à balles réelles sur les Gilets-Jaunes”... Évidemment, puisqu’il s’avère qu’il est lui-même un de ces GJ, – sans doute parlait-on de “balles perdues”.
Et moi je vous dis, sans enthousiasme ni excitation excessives, que nous vivons une fort étrange époque...
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