L'OTAN et la Force

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L'OTAN et la Force


28 octobre 2002 — Parlons de la dernière “divine surprise” en date de l'OTAN. (L'OTAN ne cesse de rechercher et de collectionner ces “divines surprises” qui doivent la sauver en lui donnant un sens.) C'est la proposition américaine d'une NATO Respond Force, faite en septembre, à une réunion de l'OTAN à Varsovie, par l'Américain Rumsfeld. Tout le monde officiel concerné par cette affaire affirme notamment que ce n'est pas pour concurrencer la force qui est en cours de constitution au sein de l'Union européenne. Deux experts européens travaillant au National Defense College, aux USA, argumentent dans l'International Herald Tribune du 24 octobre, dans le sens qu'il s'agit d'une chance unique pour les Européens : « Europeans should say 'yes' to Rumsfeld », selon Hans Binnendijk et Richard Kugler.

Binnendijk-Kugler donnent des précisions intéressantes sur la proposition Rumsfeld. Ils lui trouvent beaucoup d'avantages, et même plus encore. Successivement :

• Elle ne demandera quasiment presque aucun effort militaire particulier de la part des Européens. (Et même pas de commande de matériel particulier, lequel aurait été américain bien entendu.) (« The entire effort should cost about 2 percent of Europe's overall defense spending. No major ''buy American'' program is needed. »)

• Elle sera complémentaire de la force de l'UE ; elle permettrait même à cette force de bénéficier de l'expertise de l'OTAN. (Voir plus loin.)

• Elle ramènera les Américains au sein de l'OTAN, ou tout comme. (« Those in the United States who prefer unilateral action would be deprived of their principal argument — that the allies have nothing of military value to contribute. »)

• Elle donnera une voix beaucoup plus forte aux Européens dans l'OTAN. (« In addition, Europe's voice will regain clout in trans-Atlantic diplomatic deliberations. »)

• Elle sauvera l'OTAN. (« Without military effectiveness, NATO cannot long survive as a functioning alliance. [...] Creating a NATO Response Force with a capability for U.S.-European joint expeditionary operations can narrow the existing gap  »)

Une telle description conduit à se demander ce que cette force ne fera pas, quel avantage elle ne procurera pas. L'excès même de la démonstration de Binnendijk-Kluger pourrait faire penser que l'on démontre surtout, indirectement ou involontairement c'est selon, l'urgence où est l'OTAN de trouver une nouvelle vigueur, et l'espoir, au moins pour les quelques semaines qui viennent, qu'elle la trouvera dans cette force.

• L'un des aspects les plus notables de la proposition US est la petite dimension de la force, qui est pourtant considérée comme devant jouer un rôle militaire important, outre les divers rôles politiques qu'on lui trouve. Cette force est définie ainsi : « The U.S. proposal calls for a small, self-sustaining, highly lethal spearhead force of about 21,000 land, sea and air troops to be ready to deploy on about a week's notice and to be capable of sustaining operations for about a month. The United States envisions having the force fully operational by 2006. »

• Cette question de la dimension de la force est encore plus mise en évidence lorsque les deux auteurs abordent la question de la “concurrence” que certains craignent, entre cette nouvelle force de l'OTAN et celle de l'Union européenne. Voici donc ce que Binnendijk-Kluger en disent :


« As they consider Rumsfeld's proposal, the allies have expressed three concerns. All can be satisfied. First, they believe that the NATO Response Force should complement and not compete with the EU's Rapid Reaction Force. The two forces have different but complementary missions. The NATO force is one-fifth the size of the European force. It is intended for high intensity conflict, while the European force is designed primarily for less demanding military tasks. The NATO force would be drawn from troops already earmarked for NATO. These forces are in the end national forces that over time rotate through various missions. As their capabilities are improved for the NATO mission, so they are eventually improved for the European force as well. »


D'un point de vue opérationnel, on sera conduit à conclure qu'il s'agit également d'une sorte de “Force-miracle”. Elle est destinée aux conflits de haute intensité alors que la force européenne est destinée aux conflits de basse intensité, pourtant la force OTAN n'est que le cinquième de la force européenne. C'est remarquable : plus la bataille sera rude et l'adversaire décidé, moins on a besoin d'hommes. Quelle est la recette ? La réponse tiendrait en ceci : « With this proposal, Rumsfeld has in essence offered to share with the allies the fruits of the process of military transformation currently under way in the United States. The goal of the U.S. transformation is to use information and other new technologies to win battles rapidly and decisively with fewer casualties. Early evidence of the power of new military operational concepts being developed in the United States was on display in Afghanistan. » Cette force serait donc une part de la « military transformation currently under way in the United States » ; c'est une précision surprenante, ce « currently under way », alors que le grand problème de Rumsfeld aujourd'hui est qu'il n'arrive pas à faire démarrer cette “transformation”, que cette situation est la cause des très fortes tensions qu'on enregistre actuellement entre lui et la hiérarchie militaire.

Comment concilier la garantie d'absence d'investissement pour cette force, si cette force est présentée comme le produit de la “transformation” paraît-il en cours au Pentagone, alors qu'on affirme que cette “transformation” implique des programmes complètement nouveaux de technologies avancées ? La référence à l'Afghanistan est significative : cette guerre a été faite avec des armes et des systèmes que les Européens n'ont pas et qui coûtent très cher. Comment une Respond Force présentée comme étant en si grande partie européenne serait-elle quelque chose qui permettrait aux Européens de faire un autre Afghanistan s'ils n'investissent quasi-rien pour cela ? Ce sont les Américains qui le feraient à leur place, puisque, évidemment, ils seront présents dans cette force ? Alors, les Américains seraient là pour faire de cette force, à la place des Européens, une force destinée à les convaincre eux-mêmes que les Européens leur sont indispensables ? Hypothèse intéressante.

Là-dessus, une précision tout aussi étonnante, mais dans l'autre sens : cette force, de si petite dimension, composée d'hommes et d'unités déjà identifiées et constituées, qui ne demande aucune investissement particulier, serait « fully operational by 2006 ». Voilà que la Force-miracle devient une force-escargot pour atteindre son statut opérationnel. Le contraste est étonnant avec toutes les autres conditions qu'on a décrites et rapportées, y compris les qualités de rapidité qu'on attend de cette force. Un mauvais esprit pourrait penser : voilà cette Force qui résoudra tout et ne demande aucun effort particulier, qui tiendra les Européens occupés au moins jusqu'en 2006. C'est toujours autant qu'ils ne passeront pas avec des mauvaises fréquentations (par exemple, la force européenne de l'UE).

On ignore si cette initiative a été lancée avec des arrière-pensées. Il faut constater que tout se passe comme si elle l'avait effectivement été, notamment par les caractéristiques supposées de la force qui donnent prise à tous les soupçons du monde, y compris le principal, qui est d'avoir été lancée pour bloquer les programme de l'UE correspondant (et antérieur). Ce programme UE n'est pas au mieux de sa forme et la force européenne est encore virtuelle. Quelle importance ? Ce n'est pas la première fois, dans ce monde étrange, qu'on verrait une attaque bien réelle, bureaucratique ou autre, contre une force encore virtuelle ; d'ailleurs, cette attaque qu'on décrit comme bien réelle (constituer cette Force OTAN) n'est-elle pas elle aussi virtuelle et aura-t-elle lieu vraiment ?

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