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559129 août 2019 – Je l’avoue ingénument et sans barguigner, je ne lis quasiment jamais les textes officiels, discours, communiqués, etc. Je me dis que d’autres s’en chargent et mettent en évidence les choses importantes qui y ont été dites, et que d’ailleurs le conseiller en com’ de l’orateur ou de l’inspirateur aura pris soin de souligner. A la rigueur, j’ai même l’un ou l’autre mien ami qui lit tel ou tel texte pour sa convenance personnelle et me signale ce qui doit l’être.
Et puis il survient ceci que nous envisageons un texte ou l’autre assez rapidement sur le sujet des relations de la France et de la Russie, et ainsi suis-je conduit à lire des extraits du discours du président français “aux Ambassadeurs”, puis bientôt avec l’idée de jeter un coup d’œil sur le texte officiel. Je sais bien qu’il ne s’agit pas nécessairement de ce que Macron a effectivement dit, puisqu’il y a toujours cette mention, en une fort belle langue, – « Seul le prononcé fait foi » – mais quoi, il s’agit d’un texte officiel. Je dis cela car mes remarques vont porter sur le fond et sur la forme, successivement.
Quant au fond, le président français dit beaucoup de choses importantes et intéressantes, dont certaines sont inédites et fracassantes, – dans tous les cas l’une d’entre elles sans aucun doute. Je donne ici deux citations qui annoncent la Bonne-Nouvelle et dont j’attends encore et en vain le fracas et les exclamations dans les analyses fiévreuses des commentateurs du domaine, dans la presseSystème dans tous les cas, qui est grassement payée, qui se doit de suivre les choses actuelles et dans l’instant… (Je souligne de gras les très courts “éléments de langage” comme ils disent, qui arrêtent absolument mon attention, qui me laissent sans voix.)
« Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l'inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent. Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n'ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs… »
[…]
« Je peux vous le dire avec certitude. Nous savons que les civilisations disparaissent, le[s] pays aussi. L’Europe disparaîtra. L’Europe disparaîtra avec l’effacement de ce moment occidental et le monde sera structuré autour de deux grands pôles : les États-Unis d’Amérique et la Chine. »
Il y a bien des choses que l’on peut discuter du point de vue de la logique interne dans ces deux extraits qui sont situés à une certaine distance l’un de l’autre. Par exemple, comment concilier sans émettre quelques nuances essentielles l’affirmation que c’est la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde, exprimée essentiellement au XXème siècle par l’hégémonie des USA, et que l’hégémonie est désormais organisée autour de deux grands pôles, dont ces mêmes USA ?
(Bien entendu, on comprendra aisément que j’émette des réserves sérieuses, sinon radicales, sur l’importance accordée aux USA dans la nouvelle “organisation” du monde, et même sur celle qui est accordée à la Chine, et enfin sur le fait même d’une “organisation” ainsi et aussi hiérarchisée, – mais c’est une autre histoire…)
Ce qui m’éberlue absolument, c’est simplement l’annonce, par le président d’une des puissances occidentales importantes, que « Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde ». C’est une affirmation extraordinaire, – non pas fausse, non pas fantaisiste, non pas irréaliste, mais tout à fait vraie à mon sens, d’une vérité quasiment explosive, – et l’extraordinaire dans le fait que cette vérité-là soit dite, pour le coup d’une façon claire et affirmée, sans l’amabilité de l’incertitude ou de l’ambiguïté, par un homme chargé des plus grandes et hautes responsabilités, et notamment de celle de faire perdurer le plus longtemps possible la narrative sur la vertu sans fin du Système, sur le suprémacisme libéral et démocratique (notez l’absence de couleur) dont les certitudes assurées de l’Occident sont les gardiennes. Comment est-il possible que cette phrase n’ait pas soulevé un tollé, suscité des analyses sans fin, des polémiques, des tirades vengeresses et des grondements d’approbation ! Mais non, rien de tout cela, comme un silence de fin du monde (de “fin de civilisation”, tiens), et moi qui me retrouve, comme cloué de stupidité, vaguement honteux après tout (“Et toi !”, me dis-je, “avec ton refus de lire toutes leurs fadaises, voyez comme l’on rate de ces pépites”...).
Je ne m’étends pas plus, la nouvelle a suffisamment de force pour voler de ses propres ailes, et se venger sous peu de cette indifférence coupable ; d’autre part, je vous ai promis que mes remarques porteraient sur le fond (c’est fait) et sur la forme (c’est à faire) du texte. En effet, cet autre aspect m’éberlue encore plus, doublement, géométriquement... La forme du texte est, comment dire, comme enfantine, ou bien une mauvaise traduction, avec une absence de style confinant à la caricature, des incorrections, des incompréhensions, des n’importe quoi ; tenez, j’ai la même impression que lorsqu’on fait faire une traduction automatique à un texte anglais (même avec DeepL, qui est excellent, infiniment supérieur à l’affreux Google) : vous comprenez la traduction, le sens du texte ainsi traité, mais vous savez que vous allez devoir le relire avec attention, pour faire des corrections de forme, et même parfois de fond, comme lorsque vous corrigez des rédactions “françaises” d’élèves des équivalents cuvée-2019 des classes de seconde ou des première de mon temps, à cette époque où l’on savait encore écrire.
Je vous glisse ici l’un et l’autre passages, avec soulignés en gras, cette fois certains des passages dont la forme m’assourdit, m’interdit, me mets groggy comme disaient les boxeurs, toujours de mon temps... Il y a même certains cas où j’ai remplacé ou rajouté un mot [entre braquet, en caractère normal, – ni italique, ni gras] pour rendre le texte cohérent et logique, ou simplement compréhensible.
... Par exemple, lisez pour commencer le paragraphe complet sur la fin de l’hégémonie occidentale, puis d’autres tout au long du texte, sur des sujets qui m’intéressent.
« Nous le vivons tous ensemble ce monde et vous le connaissez mieux que moi, mais l'ordre international est bousculé de manière inédite mais surtout avec, si je puis dire, un grand bouleversement qui se fait sans doute pour la première fois dans notre histoire à peu près dans tous les domaines, avec une magnitude profondément historique. C'est d'abord une transformation, une recomposition géopolitique et stratégique. Nous sommes sans doute en train de vivre la fin de l'hégémonie occidentale sur le monde. Nous nous étions habitués à un ordre international qui depuis le 18ème siècle reposait sur une hégémonie occidentale, vraisemblablement française au 18ème siècle, par l'inspiration des Lumières ; sans doute britannique au 19ème grâce à la révolution industrielle et raisonnablement américaine au 20ème grâce aux 2 grands conflits et à la domination économique et politique de cette puissance. Les choses changent. Et elles sont profondément bousculées par les erreurs des Occidentaux dans certaines crises, par les choix aussi américains depuis plusieurs années et qui n'ont pas commencé avec cette administration mais qui conduisent à revisiter certaines implications dans des conflits au Proche et Moyen-Orient et ailleurs, et à repenser une stratégie profonde, diplomatique et militaire, et parfois des éléments de solidarité dont nous pensions qu'ils étaient des intangibles pour l'éternité même si nous avions constitué ensemble dans des moments géopolitiques qui pourtant aujourd'hui ont changé. Et puis c’est aussi l'émergence de nouvelles puissances dont nous avons sans doute longtemps sous-estimé l'impact. »
[...]
« L'esprit français c'est un esprit de résistance et une vocation à l'universel. Un esprit de résistance, cela veut dire, ne pas céder à la fatalité ni à l'adaptation des choses et aux habitudes. Cela veut dire de considérer que quand les choses sont injustes, on peut parce qu'on se donne les moyens de le faire et donc qu'on se donne les moyens d'être plus forts, qu'on fait les réformes pour le faire, qu'on se redonne du muscle économique, productif. »
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« Le projet de civilisation européenne ne peut pas être porténi pas parla Hongrie catholique, ni par la Russie orthodoxe. Et nous l'avons laissé à ces deux dirigeants par exemple, et je le dis avec beaucoup de respect, allez écouter des discours en Hongrie ou en Russie, ce sont des projets qui ont leurs différences mais ils portent une vitalité culturelle et civilisationnelle, pour ma part, que je considère comme erronée mais qui est inspirante. Et donc, il nous faut trouver à travers ce projet européen qui est je crois très profondément aussi un projet français une force d'inspiration pour notre peuple. C'est l'esprit de la Renaissance, c'est l'esprit des Lumières... »
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« Nul autour de la table du G7 ne veut que l’Iran ne puisse jamais se doter de l'arme nucléaire et tous tiennent à la stabilité et la paix dans la région. Ce qui veut dire que tout le monde aussi s'abstiendra d'avoir des comportements qui puissent menacer cette paix et cette stabilité. Et de l’autre côté nous avons tenté d'agir pour faire venir davantage l'Iran à la négociation et éviter une désescalade [une escalade] liée à l'absence de discussions entre les deux principales parties. Nous avons obtenu des premiers résultats ; ils sont fragiles, il faut avoir beaucoup d'humilité, mais qui, dans la discussion bilatérale avec l'Iran permettent de voir un chemin possible avec des compensations économiques et financières, avec aussi des demandes additionnelles, et qui ont au moins permis à court terme une désescalade et les conditions possibles de rencontres utiles. Nous l'avons fait en lien avec le soutien de nos partenaires européens, et en jouant pleinement ce rôle de puissance d'équilibre. Et pour pouvoir jouer utilement ce rôle dans les grands conflits ou comme nous l'avons fait autour de la table du G7, il nous faut pouvoir pleinement décliner si je puis dire cette forme d'indépendance indispensable de notre diplomatie et d'autonomie stratégique, ce qui suppose de repenser en profondeur la relation avec quelques puissances. Alors je sais que, comme diraient certains théoriciens étrangers, nous avons nous aussi un État profond. Et donc parfois le Président de la République dit des choses, se déplace et dit quelque chose, puis la tendance collective pourrait être de dire : ‘Il a dit ça enfin nous on connaît la vérité on va continuer comme on l'a toujours fait’. Je ne saurais [trop] vous recommander de ne pas suivre cette voie.D'abord parce qu’elle est collectivement inefficace puisqu'elle décrédibilise la parole du Président de la République et par voie de conséquence elle décrédibilise la parole de celles et ceux qui les représentent. Mais surtout elle nous enlève de la capacité à faire. Et donc dans cette capacité à repenser les grandes relations il y a notre relation avec la Russie. »
[...]
« Je crois qu'il nous faut construire une nouvelle architecture de confiance et de sécurité en Europe, parce que le continent européen ne sera jamais stable, ne sera jamais en sécurité, si nous ne pacifions pas et ne clarifions pas nos relations avec la Russie. Ce n'est pas l'intérêt de certains de nos alliés, soyons clairs avec ce sujet. Certains d'ailleurs nous pousseront toujours à avoir plus de sanctions, parce que c'est leur intérêt. Quand bien même ce sont nos amis. Mais ce n'est pas le nôtre[notre intérêt]très profondément. Et je crois que pour arriver à l'objectif que je viens d'évoquer, qui est celui de rebâtir un vrai projet européen dans ce monde qui risque la bipolarisation, réussir à faire front commun entre l'Union européenne et la Russie penser au fond ces cercles concentriques qui sont en train de structurer l'Europe jusqu'à une relation nouvelle avec la Russie, est indispensable. Et donc il nous faut pour cela et c'est ce que j'ai dit au Président Poutine la semaine dernière à Brégançon, avancer pas à pas. Vous aurez chaque jour des preuves de ne pas aller dans ce sens. Il y en aura chaque jour parce que les acteurs de part et d'autre essaieront chaque jour de menacer ce projet, y compris côté russe, parce qu'il y a beaucoup d'acteurs dans les services, dans les forces économiques, qui essaieront des attaques, des provocations et essaieront de fragiliser cette voie.
» Nous devons être intraitables lorsque notre souveraineté ou celle de nos partenaires est menacée. Mais il nous faut stratégiquement explorer les voies d'un tel rapprochement et y poser nos conditions profondes. Il s'agit de sortir des conflits gelés sur le continent européen, il s'agit de repenser ensemble la maîtrise des armements conventionnels, nucléaires, biologiques et chimiques, parce que regardez la situation dans laquelle nous sommes plongés. Nous sommes dans une Europe où nous avons laissé le sujet des armements à la main de traités qui étaient préalables à la fin de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie. Est-ce que c’est ça une Europe qui pense son destin, qui construit ?Pour ma part je ne crois pas donc il faut avoir ce dialogue avec la Russie. La fin du traité FNI nous oblige à avoir ce dialogue parce que les missiles reviendraient sur notre territoire... »
Ne croyez pas une seconde que j’ai fait toute cette revue (limitée) pour me moquer, par sadique plaisir, par goût de la dénonciation, par manie de pseudo-puriste et ainsi de suite ; non plus que je l’ai faite par hostilité contre Macron, que je serais tenté dans ce cas de laisser complètement de côté, pour le féliciter d’avoir osé ce qu’il a osé sur le fond... J’ai fait cette revue parce que, simplement, je suis malheureux. La langue française étant ce qu’elle est essentiellement parce qu’elle se développa et régna au long des siècles, il est profondément attristant, accablant, désolant de voir où ces quatre ou cinq dernières décennies de décadence, non d’effondrement, dans l’éducation, dans la culture, dans la politique, dans l’intelligence, etc., ont défiguré et réduit son génie et sa beauté, ceux qui nous sont (étaient ?) donnés en héritage, en legs précieux pour maintenir le lien unique et sublime d’une telle tradition. Je ne parviens pas à grincer de rire de tout cela, ni même à m’exclamer, ni à demander vengeance, rien de pareil ! Non, j’en suis à me demander si je ne me suis pas trompé de texte, sinon de site, si l’on n’a pas mis un brouillon au lieu du texte complet, etc., presque déjà à rédiger une rétractation honteuse demandant qu’on veuille bien pardonner ma méprise...
(Et peu importe ce que Macron a dit, qui évite et redresse peut-être nombre d’horreurs de la forme de son discours. Il reste, c’est absolument nécessaire, qu’un tel texte doit d’abord être écrit dans une langue de circonstance, avec le style qui importe et s’impose, comme il sied à l’une des plus vieilles et des plus glorieuses diplomaties du monde ; après, certes, l’orateur en fait ce qu’il veut, mais le texte doit rester, selon sa forme initiale aussi bien que dans sa forme dite.)
Voyez-vous, je crois qu’il y a beaucoup de choses dans le discours de Macron (par ailleurs interminable, pardonnez-moi si je l’ai lu en diagonale brisée et parfois pressée), et beaucoup de choses diablement intéressantes. Je crois que la forme, – avec le piètre esprit de nombre des commentateurs, – est la cause de ceci qu’on n’ait pas su en retirer la substantifique moelle dans le commentaire qui en fut fait immédiatement, notamment la remarque développée au début de cette page, concernant la fin de l’hégémonie occidentale. Malgré l’ambition autant que la justesse des diverses initiatives considérées, parce que ces initiatives ne se comprennent pas vraiment dans toute leur dimension à cause de la forme, parce que les esprits qui sont pour la plupart de cette tragique époque du vide et du rien se conforment à cette incompréhension sinon la suscitent et l’aggravent, je crains que la politique proposée ait beaucoup de peine à se constituer conformément à ce qu’on en attend.
J’espère que les traducteurs russes auront bien fait leur travail qui est bien plus d’adaptation que de traduction, et que Poutine aura bien compris ce dont il s’agit.
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