L'illusion de la contrition

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L'illusion de la contrition

16 septembre 2023 (15H50) – La campagne de redressement civilisationnel que sont en train de mener les États-Unis est complètement foudroyante, grandguignolesque et abracadabrantesque. En a-t-entendu quelques échos ? Il suffit de citer le très civilisé et antirusse Blinken, et tout est dit de ce que vous retrouvez en boucle dans la presseSystème et au sein des hordes de consultants des plateaux-TV.

« L'ordre mondial qui est resté pratiquement inchangé depuis la Seconde Guerre mondiale a été transformé par la montée des dirigeants autocratiques, le pouvoir croissant des syndicats internationaux du crime et la pandémie de COVID-19, a déclaré le secrétaire d'État américain Antony Blinken lors d'un récent discours à l'École Johns Hopkins d'études internationales avancées (SAIS) à Washington, D.C.

» “Chacun de ces événements aurait constitué un défi sérieux pour l'ordre de l'après-guerre froide”, a déclaré M. Blinken. “Ensemble, ils l'ont bouleversé”.

» Les États-Unis répondent à cette nouvelle ère par ce que Blinken appelle la “géométrie variable diplomatique”, une stratégie axée sur la création de diverses coalitions de pays, de gouvernements locaux, d'organisations à but non lucratif, du secteur privé et du monde universitaire qui collaborent pour résoudre un problème spécifique, tel que l'aide aux Ukrainiens déplacés.

» Cette approche a conduit les États-Unis à travailler avec des alliés non traditionnels. »

Cette déclaration a aussitôt été interprétée comme une sorte de semi-capitulation tactique des USA devant la force des évènements, terminé par l’inévitable victoire stratégique de l’exceptionnalisme américaniste. Pour résumer : “l’ordre de la Guerre Froide, que nous dominions de toutes notre taille, est mort. Nous le reconnaissons et sommes prêts à travailler avec qui le veut pour la construction d’un nouvel ordre”.

Note de PhG-Bis : « On notera à ce propos que tous ces gens ont la mémoire courte ou alors une bien piètre culture, – ou les deux à la fois, d’ailleurs. Je pense que c’est la troisième ou la quatrième fois dans ma carrière qu’on (les USA, certes) décrète un ‘Nouvel Ordre Mondial’. Tiens, se rappelle-t-on de celui de Bush-père, selon la formule suggérée par son conseiller Crawford, à la suite de la victoire US dans la première guerre du Golfe ? Elle secoua le monde et nous prépara aux bombardements de Serbie et au 11-septembrer. » 

Belle leçon de réalisme, et même d’humilité, cette intervention de Blinken – pensai-je sur un ton un peu rêveur et assez peu dans son aise, un peu contraint si l’on veut. La déclaration, et surtout son interprétation, avaient certes de quoi surprendre, – mais cette sorte de “surprise” venue des États-Unis avait, je l’avoue, de quoi me rendre également bien dubitatif car utiliser le mot “humilité” pour les USA, avec l’espèce  de contrition qu’il implique, est une curieuse occurrence.

La Bonne Occasion

Les pays qui ont fait cette sorte d’interprétation sont ceux qui sont sortis éblouis du sommet du G20, à Delhi, parant l’Inde de toutes les vertus et faisant d’elle d’ores et déjà un des maîtres du monde. C’est donc essentiellement en Inde que l’on a lancé cette interprétation du discours de Blinken, partout reprise comme une Grande Nouvelle.

Dans ce point de vue règne l’euphorie alimentée par une ambition d’affirmation mondiale (globale ?) de l’Inde. On peut trouver divers commentateurs qui vont dans ce sens, avec plus ou moins de passion. Il y a même mon cher M.K. Bhadrakumar, dont j’ai déjà noté, le 22 août dernier, qu’il évoluait discrètement, en désapprouvant de moins en moins le rapprochement des USA du Premier ministre Modi.

On aura un aperçu de ces réactions avec notamment deux articles repris en français sur ‘Réseau International’, – un de Bhadrakumar notamment, hier, et un autre du professeur Chems Eddine Chitour, d’hier également. Ces deux texte, diversement argumentés mais tous deux dans le même sens, donnent une idée d’un certain enthousiasme qui a touché les esprits les plus modérés, parfois d’une façon expéditive pour les BRICS confrontés peut-être à un sort funeste dans les hypothèses faites à son propos. (Les BRICS, qui brillaient de mille feux il y a quinze jours ! Mazette, l’histoire ne traîne pas.)

Tout cela est parfois un peu audacieux, je trouve, comme l’est ce titre de M.K. (qu’on espère teinté d’ironie) :

« Les États-Unis partent à la conquête du Sud avec l’aide de l’Inde »

Sans parler des Chinois bien entendu, – je ne crois pas que les Russes aient vraiment apprécié l’épisode. Timour Fomenko, sur RT.com, attaque avec décision et la plus grande fermeté la proposition US d’intégration commerciale IMEC, qu’il qualifie de « fantasme futile » incapable de concurrencer et encore moins de torpiller le projet BRI de la Chine qui a déjà fait tant de bruit. Il est soutenu sur le fond, malgré sa défense accessoire d’IMEC par Andrew Korybko, pourtant en général très nettement pro-indien lorsqu’il s’agit de jauger les plus proches de la Russie à l’intérieur des BRICS.

Pour mon compte, et pour rompre cette symphonie de casseroles pro-Modi, je vais mentionner, pour un plaisir qui n’est pas sans symbolisme, ce petit incident à Pékin, lors de la visite du Vénézuélien Maduro. Comme cela porte sur la langue et pas sur le commerce, – c’est-à-dire sur la culture et pas sur le fric, – cela enchaînera et nous entraînera vers la dernière citation de ce passage :

« Le président vénézuélien Nicolas Maduro a balayé une question posée en anglais à la fin de sa visite à Pékin, disant au journaliste de parler chinois à la place.

» “Parlez mandarin, il n'y a pas d'interprète anglais”, a coupé Maduro à ce journaliste de Hong Kong qui l’interrogeait. “C'est un nouveau monde”, a-t-il ajouté. L'échange a été filmé et a rapidement fait le tour des médias sociaux.

» “Nous sommes au XXIe siècle, le siècle de la fin de l'hégémonisme et de l'impérialisme, le siècle où un monde différent, multipolaire et multicentrique est né pour la paix et l'unité”, a déclaré M. Maduro lors de la conférence de presse. »

Effectivement, l’enchaînement est bon pour ce qui suit, qui concerne le G20 et l’Inde, et les divers problèmes ainsi soulevés. Tous ces problèmes impliquent comme sujets centraux le commerce, l’usage de l’argent, l’import-export, le fric si vous voulez. Est-ce suffisant ? A-t-on fait le tour du problème de l’organisation d’une nouvelle formule de civilisation ?

Je pourrais répondre car on s’imagine bien que j’ai un avis sur la question et l’on n’hésite pas sur ma réponse. Mais, belle âme et satisfait de rencontrer un avis qui épouse si bien le mien, je cite le lecteur ‘Oceky’, dans RéseauInternational, qui écrit un commentaire au texte du professeur Chems Eddine Chitour d’hier. Il élargit d’une façon pertinente le débat bien au-delà de l’Inde et du G20, et même si l’on est un peu attristé que ce soit à propos de l’Inde notamment que ce commentaire critique montre sa pertinence, – parce que l’Inde mérite mieux, tonnerre !

« L’histoire et la philosophie indienne sont trop complexes pour être étudiées avec un assaisonnement de petite moraline chrétienne.

» Relevons ce curieux parallélisme entre l’Inde et l’Oxydent, à savoir la capacité du totalitarisme à s’imposer et prendre le contrôle de tous les contre-pouvoirs de la démocratie. (même s’il faut mettre le mot démocraties entre guillemets).

» Dans l’évolution d’une quelconque société, on commence par la sécurité, puis vient le commerce. Mais le commerce n’en est pas la finalité ni le sommet. C’est après que vient la vraie société humaine, avec la philosophie, la culture, l’éducation et la science, qui visent en principe à développer la conscience individuelle et collective et à introduire les qualités supérieures comme la perfection, l’harmonie, la solidarité et la fraternité, la justice, la connaissance, etc.

» Je constate (suis-je le seul à avoir cette impression) que la Russie est la seule à insister sur ces valeurs dans le cadre de la multipolarité ou bien prendrais-je mes désirs pour la réalité ?

» En tous cas, on ne parle partout à l’international que de commerce. Il serait temps de parler aussi de culture, d’éducation, d’éthique et de spiritualité si on ne veut pas de nouveau se retrouver dans une impasse car que peut devenir un individu ou un groupe sans un sens profond à la vie ? Et bien, justement, à l’individualisme, à la guerre, au totalitarisme et au transhumanisme. »

La Grande Illusion

Il est vrai que toutes ces agitations autour de l’accession à la puissance, de passer au rôle de superpuissance, – “jouer dans la cour des grands”, dit-on si stupidement, – c’est encore concéder la victoire (temporaire certes) au système de l’américanisme et de l’occidentalisme, à la modernité, à la catastrophe qui nous conduit à l’abîme. Ainsi pourrait-on ressentir ces réjouissances autour de l’Élévation de l’Inde au G20, et cela avec l’aide des USA et de son président Biden que même l’excellent M.K., emporté par sa verve je suppose, pare de vertus politiques et stratégiques en caractérisant ainsi son “opération” du G20 :

« Il doit certainement y avoir une leçon à tirer de tout cela pour la troïka du G20, les BRICS et les pays du Sud. Biden a commencé à jouer le jeu pour gagner les élections de 2024. »

Il me pardonnera, M.K., mais c’est vraiment aller vite en besogne. Sait-on de quoi l’on parle lorsque l’on parle des USA dans ces termes avantageux, semblant admirer leur finesse politique et leur réalisme, aussi bien extérieure qu’intérieure ? Sait-on de quel débris il est question, de quelle félonie, de quelle hypocrisie ès mensonges en décomposition il est question lorsqu’il est question de Joe Biden ? Bhadrakumar le sait, lui qui a parfois des jugements terribles sur les USA et son actuel président-bouffe. Dans le cas qui nous occupe, je crois que l’instinct du diplomate a repris le dessus, que Bhadrakumar se prend à espérer qu’après tout on pourrait organiser une entente, une harmonie générale où son pays aurait une belle place, un parmi les premiers solistes si j’ose dire puisqu’il est question de multipolarité.

La situation des USA, structurelle, psychologique, constitutionnelle, est catastrophique. Malgré qu’il (Biden) entame paraît-il sa campagne de réélection, la question qui se pose est de savoir s’il pourrait encore y avoir des élections présidentielles aux USA. ‘TheMoonofAlabama’ (MoA, ici traduction du ‘Sakerfrancophone’) aborde cette question tout à fait d’actualité, de plus en plus d’actualité, en constatant que de plus en plus de gens, aux USA et en UK (les cousins-jumeaux), lui demandent de partir, – du New York ‘Times’ à ‘The Economist’, excusez du peu et passez muscade... Mais il tiendra, MoA en est sûr et moi avec lui, car Biden est une sorte de gâteux de l’apocalypse, catégorie des plus endurants, un jusqu’auboutistes de la catastrophe avec le fiston Hunter en train de sniffer un coup...

« Je doute que Joe Biden, ou les personnes qui l’entourent, suivent ce conseil. Ils sont trop imbus d’eux-mêmes pour faire volontairement de la place aux autres. Il faudrait une nouvelle intervention, probablement de l’ancien président Obama, pour convaincre Joe Biden de renoncer.

» Ou bien quelqu’un pourrait créer une “urgence médicale“. Cela ne devrait pas être trop difficile étant donné l’état général et l’âge de Biden.

» Quoi qu’il en soit. Si les Démocrates veulent conserver la présidence, il faut qu’ils fassent quelque chose. »

On sait que Biden est arrivé là où il se trouve par tricherie, fraude, corruption et mensonges qui sont les marques de sa carrière. Repousser ces évidences vous disqualifie pour juger de la situation des USA et de leur influence dans les perspectives des relations internationales ; les USA, aujourd’hui, c’est comme du sable, ça coule entre les doigts. Je ne peux comprendre qu’on, puisse penser pouvoir juger sur le fond d’une situation ou d’une évolution internationale impliquant les USA sans tenir compte, constamment, de ce fait absolument écrasant.

Comment peut-on tenir les USA pour un pays normal, avec lesquels on peut traiter, alors qu’ils se trouvent dans une telle situation, avec une histoire si édifiante ? Dans les déclarations de Blinken, sans doute le plus mauvais et le plus bureaucratiquement inculte des Secrétaires d’Etat, il ne faut retenir qu’une chose qui est la feuille de route de ce monstre aveugle et déchaîné comme la Matière elle-même : son ‘Nouvel Ordre Mondial’ consiste d’abord dans l’organisation d’une coalition avec des “alliés inhabituels” (dont l’Inde) pour attaquer et éliminer les deux « pouvoirs autocratiques » que sont la Russie et la Chine. Le reste n’est que fumée dans un tunnel, qu’un peu de vent emporte.

Ils reviendront bien vite de l’illusion de la contrition des USA. Pour le dire crûment, et pour ceux qui n’ont pas encore compris, – ils comprendront combien est grande l’analogie qu’on peut établir avec la phrase d’Obama sur Biden, en remplaçant “Joe” par l’Amérique :

« Il ne faut jamais sous-estimer la capacité de l’Amérique à foutre la merde »