L’Europe à petits pas de géant dans la tempête

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Au milieu de l’annonce d’un plan colossal de survie du secteur bancaire, accompagné de propositions pour des actions au niveau européen essentiellement, mondial dans la perspective, le Premier ministre britannique Gordon Brown glisse ce matin: «This is not a time for conventional thinking or outdated dogma but for the fresh and innovative intervention that gets to the heart of the problem.» Quel est le “outdated dogma”? Quel est le “dogme” dont parle Brown, sinon celui qui mène depuis près d’un quart de siècle l’économie mondiale, au pas de course, jusqu’à la catastrophe de l’automne 2008? Et d’où vient ce “dogme”?

Brown parle de plus en plus comme Sarkozy et Merkel. Ecartant les anciennes success stories devenues agaçantes et outdated, dont le rôle de la City dans la crise globale, Brown n’a pas manqué de rappeler que cette crise-là, la “mère de toutes les crises”, vient des Etats-Unis, de pratiques économiques et financières irresponsables et faussaires dans ce pays, hors du contrôle des autorités publiques. Il a clairement précisé que le plan britannique n’a rien à voir avec le plan Paulson, qu’il s’agit de véritables nationalisations à des degré divers, avec “preference shares” impliquant une prééminence de l’actionnaire public dans les conseils d’administration des banques ainsi plus ou moins semi-nationalisées, c’est-à-dire une intervention massive de l’Etat, et d’un Etat dirigiste, – autant pour le “outdated dogma”, Folleville! («But remember, this is not the American plan. The American plan is to buy up the state assets by state funds. The £50 billion is to buy shares and therefore we will have a stake in the banks and we will get the upside in the appropriate cases from what we have done.»)

Dans les institutions européennes, dont la Commission, des indications montrent qu’il existe une très sérieuse dynamique qui s’amorce et se développe, mutatis mutandis, pour mettre en cause ce qui jusqu’ici constituait la catéchisme absolu de ces institutions. «De toutes les façons, observe une source européenne, c’est à mon avis une question de survie, et je parle ici notamment de la Commission elle-même. Jusqu’ici, elle n’a rien fait, elle n’a joué aucun rôle dans la crise. C’est une situation catastrophique pour son statut, pour son autorité. Il apparaît évident qu’elle va être conduite à fortement nuancer son attitude pour rejoindre le courant général de mise en cause du dogme général du néolibéralisme, ne serait-ce que pour espérer figurer comme un acteur important dans la crise.» Ces modifications dans ce sens de la remise en cause des options conformistes devraient affecter d’autres domaines plus politiques, par exemple les relations avec la Russie qui ne devraient plus dépendre du dogme américaniste et néolibéral d’hostilité chronique à l’encontre de ce pays.

La crise fait le ménage, et fort rudement; la victime, c’est le conformisme de la pensée, c’est-à-dire le diktat néolibéral. Un jour pas si lointain, nous aurons Gordon Brown en chevalier de la stratégie fondamentale de l’interventionnisme étatique, devenu un véritable “gaulliste économique”. Dans les circonstances actuelles, les spécial relationships pèsent et pèseront de moins en moins lourds dans le vertige des écroulements colossaux qui menacent. Qu’il soit ou non couronné de succès selon les circonstances, l’activisme européen au niveau des puissances publiques des divers Etats, – avec plans divers, décisions de nationalisation, réunions nationales, contacts et réunions au niveau européen, – institue de facto une situation de banalisation de l’interventionnisme, qui devient une sorte de façon d’être de l’activité politique et économico-financière, qui est en train de porter des coups terribles au dogme néolibéral. Par contraste, le pouvoir US est absent, entre un Congrès en vacances, un Bush qui fait des plaisanteries et songe avec nostalgie à l’attaque contre l’Iran qu’il aurait tant aimée conduire, deux candidats qui s’étripent comme il est de coutume. (A noter tout de même que, lors du débat Obama-McCain d’hier, Obama a pour la première fois parlé d’une menace de dépression, le fameux “D-word” qui porte en lui un potentiel de bouleversement pour les USA.)

Ces circonstances terribles vont contribuer à éloigner de plus en plus les deux partenaires transatlantiques. Les effets vont peu à peu (façon de parler par ces temps turbo-rapides) imprégner le domaine politique. L’essentiel est la rupture du mur du conformisme de la pensée. La formidable pression de la crise est impitoyable, elle constitue le meilleur médicament possible pour le mal dont souffre l’Europe, même si cela passe par beaucoup de maux.


Mis en ligne le 8 octobre 2008 à 14H28