Leur bataille est la mienne, et la vôtre...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Leur bataille est la mienne, et la vôtre...

20 janvier 2018 – Deux hommes, dans une similitude chronologique qui a valeur de symbole, sont entrés dans une phase délicate de leur existence à cause de la maladie. On savait depuis un certain temps que Justin Raimondo était malade, par l’une ou l’autre interruption dans ses colonnes, une indication ou l’autre de lui ; on sait maintenant qu’il est entré dans une phase cruciale de sa bataille contre le cancer. (Voir son dernier article, raccourci par rapport à ses habitudes : « My apologies for the abbreviated column, but this is being written on the fly as I get ready to travel to San Francisco to receive my fifth infusion of the anti-cancer drugs Keytruda and Alimta. I have to say I’m feeling a lot better since the treatments started, but I still have a ways to go: I’ll keep you posted. »)

L’accident arrivé à Robert Parry est plus inattendu. Il s’agit d’une attaque cardiaque qui semble avoir affecté ses capacités visuelles, et donc ses capacités de lecture et par conséquent d’écriture. Depuis le 28 décembre 2017, l’article où il annonçait son accident, Parry n’a plus rien écrit (un article de lui a été publié, mais c’est une reprise de 2010). Parry écrivait ce 28 décembre :

« For readers who have come to see Consortiumnews as a daily news source, I would like to extend my personal apology for our spotty production in recent days. On Christmas Eve, I suffered a stroke that has affected my eyesight (especially my reading and thus my writing) although apparently not much else. The doctors have also been working to figure out exactly what happened since I have never had high blood pressure, I never smoked, and my recent physical found nothing out of the ordinary. Perhaps my personal slogan that “every day’s a work day” had something to do with this. » (Aux dernières nouvelles [hier], on sait que Parry est à l’hôpital : « With some ongoing related health issues Robert is currently hospitalized working on recovery. »)

Je crois peu utile en raison de son évidence et un peu déplacé par rapport au conformisme de cette démarche, d’observer que je suis, que nous sommes bien entendu de tout cœur avec eux, ces deux-là que nous ne connaissons pas, et que nous espérons fermement qu’ils pourront retrouver la capacité de poursuivre ce que leur passion les pousse à faire ; ces deux-là qui nous présentent leurs excuses pour ne pas pouvoir poursuivre dans sa complétude, temporairement espèrent-ils, un travail qu’ils nous offrent, hors de toutes les règles marchandes du Système...

Dans ces circonstances et cette chronologie, ces deux-là, vous dis-je, sont comme un symbole unique pour moi, pour nous et pour vous. Ils sont parmi les pionniers de l’origine et de l’originel, ils sont à ma connaissance et à mon estime deux parmi les très rares Founding Fathers de la presse-antiSystème, du journalisme de commentaire sur l’internet, du samizdat électronique et postmoderne, – et nécessairement, quoiqu’ils en veuillent, ainsi anti-postmodernes. Ils sont de la première génération de la Résistance dans sa phase finale.

Ils ont relevé le gant face à la presseSystème une fois qu’elle eût capitulé devant le Système, déroute qui s’étendit pour être bien complète et bien curetée entre la Guerre du Golfe et l’apothéose de sa reddition sans condition de la Guerre du Kosovo. Avec ConsortiumNews et Antiwar.com , tous deux établis en 1995, ils ont créé le modèle du site politique (non pas des blogs, qui sont des carnets ou des Journaux intimes-publics, ressortant d’une seule individualité) ; c’est-à-dire, le véritable “journal quotidien-permanent” de l’ère de l’antiSystème, avec la liberté de choix des informations que l’on commente pour mieux les comprendre et les faire comprendre, avec la puissance et la sophistication de la communication pour en faire une arme d’un type de guerre complètement inédit. (Plus que la “guerre de l’information”, plus même que la “guerre de la communication”, je dirais quelque chose comme “la guerre antiSystème de la communication”, – la Résistance totale.)

Pour la personne ainsi engagée, c’est une bataille contre le temps et avec la complicité du Temps, toujours dans ces circonstances du type-Janus comme l’est le système de la communication dans la postmodernité. On est tout entier dedans, et la chose, votre site, vous dévore, vous mange les tripes et vous oppresse le cœur pour permettre à l’Esprit de parler. Examinant sa vie, l’absence de faiblesse cardiaque, sa complète bonne santé jusqu’alors dans ce domaine, Parry avance l’hypothèse qui devient évidence pour expliquer l’accident cardiaque : « Peut-être ma devise personnelle a-t-elle quelque chose à voir avec cet accident : “chaque jour est un jour de travail”. » C’est effectivement, j’en témoigne, la seule voie qui vous est donnée pour faire convenablement, avec noblesse et honneur, ce “métier” qui est nécessairement un sacerdoce et une Mission...

Car vous comprenez, le “‘journal quotidien-permanent’ de l’ère de l’antiSystème” n’est concevable que comme “une arme d’un type de guerre complètement inédit”. La chose est née contre le Système dans les années 1990, pour s’y opposer, comme le samizdat naquit en URSS au début des années 1960 sous forme d’un système de résistance contre le régime qui était aussi un système, c’est-à-dire un des sous-Système sans que nous n’en sachions encore rien.

Quand vous êtes engagé dans cette sorte d’activité et que vous comprenez que c’est un sacerdoce, vous comprenez aussi que c’est une sorte de drogue, presque une prison, celle que vos ménagent la liberté de choix et le libre-arbitre, les si ironiquement-nommés. Combien de fois ne l’ai-je écrit, combien de fois cela a-t-il été écrit dans dedefensa.org : le Système est partout, règle tout, domine tout, et ainsi il enfante et arme la Résistance contre lui et notre activité dont je parle, pour mériter sa noblesse et sa dignité, ne peut être qu’une bataille jusqu’au bout contre lui.

Ah oui, j’allais oublier : deux hommes que je mets si proches jusqu’à en faire des frères que je ne connais pas, qui sont d’opinions assez diamétralement opposées au point qu’on les jugerait irréconciliables. Venu de la presseSystème (AP), Parry le démocrate de gauche est nettement de gauche ; venu de l’activisme, y compris l’activisme-gay à ses origines non-subventionnées par le Corporate Power, Raimondo le libertarien isolationniste est très nettement de droite. Cela n’a strictement aucune importance lorsque l’on parle du Système. Sans y penser ni le vouloir, ni même le réaliser malgré la pratique, ni quoi que ce soit de cette sorte enfin, ils font comme l’on respire la synthèse, la fusion et l’“union sacrée” de l’antiSystème. Ils font ce que les piètres politiciens à prétention antiSystème ne parviennent pas, et n’arriveront jamais à faire d’eux-mêmes, sans doute jusqu’à ce que les événements les mettent en état d’obligation de le faire ou de disparaître en tant que tels.

Ah oui, j’allais oublier : deux hommes qui sont Américains, et malgré tout marqués par l’américanisme, ce qui fait qu’en certains domaines qui ne sont pas sans importance je différerais notablement de l’un ou de l’autre. Cela n’a strictement aucune importance puisque l’on parle du Système. Ce qui importe pour cet instant et pour ces quelques lignes, c’est de les saluer dans la bataille qu’ils poursuivent dans le secret de leurs personnes attaquées par la maladie, parce que cette bataille ne fait que prolonger celles que nous menons nécessairement. C’est une proximité qui fait une collectivité fondamentale, tout en conservant dans leur dignité les différences qui font notre nécessaire identité.

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