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238711 Octobre 2017 – Je me suis souvent imaginé, depuis que je connais l’anecdote, le visage impassible de l’évêque d’Autun, Charles-Maurice, en 1790 à la Fête de la Fédération avec célébration de l’Être Suprême, « gravissant à demi-boitant les marches de l’autel, revêtu de ses ornements d’évêque, mitre en tête et crosse à la main, [croisant] La Fayette et lui [glissant] : “Par pitié, ne me faites pas rire”. » Et je me l’imagine plus encore s’il était des nôtres aujourd’hui, et s’il contemplait la basse-cour postmoderne, particulièrement dans ses agitations frénétiquement sociétales, comme par exemple s’il contemplait le jeune Justin Trudeau qui est le sujet de ces quelques remarques...
Emmanuel de Waresquiel, dont je fais ici une citation de son Talleyrand, le prince immobile (*), – quel titre, quelle expression sublime que “prince immobile” ! – consacre quelques lignes à décrire le ridicule considérable et la dérision intense que son héros, déguisé en cet évêque d’Autun qu’il était réellement, avait éprouvé lors de cette fête. Il conclut que Talleyrand avait pris conscience de l’abstraction politique engendrée par la modernité de la révolution : « En prenant conscience de cette dimension, – l’abstraction politique née de la révolution, – il se montre incroyablement moderne. »
Je comprends bien le sens de la remarque, ou dans tous les cas je crois la comprendre à la lumière d’autres lectures de cet auteur (Waresquiel), et alors j’aurais plutôt mis “antimoderne” que “moderne” : “Il [Talleyrand] se montre incroyablement antimoderne” ; cela, compte tenu du fait que l’antimoderne doit se comprendre, selon la formule d’André Compagnon pour définir Péguy, conformément à son « ...le seul qui puisse dire “nous modernes” tout en dénonçant le moderne. » Je veux dire par là que Talleyrand est assez “incroyablement moderne” pour être “incroyablement antimoderne” ; c’est-à-dire, pour comprendre le cœur même, le fondamental du moderne et le juger comme il faut, incroyablement ridicule, incroyablement dérisoire, c’est-à-dire pour en finir, incroyablement nihiliste dans le sens assez terne que l’on donne au nihilisme supposé (quoique...) des rhizomes affectionnés par Gilles Deleuze. (On le comprend : rien de commun avec le “nihilisme héroïque“ que certains interprètes de sa pensée, dont je suis pour l’héroïsme et beaucoup moins pour le nihilisme, prêtent à Nietzsche.)
Toute cette longue introduction est faite pour adresser une requête au personnage de Talleyrand, pour qu’il nous conduise jusqu’au Premier ministre canadien, le juvénile et hip-hop Justin Trudeau, et le jauger avec compassion, et le juger avec compréhension, c’est-à-dire le réduire à ce “misérable petit tas de [poussières secrètes]” d’un seul regard compatissant ; je veux parler du regard pourtant impénétrable sur le fond réel de la perception intuitive du “prince immobile”, porté sur cet exemplaire personnage stéréotypé en sorte de zombie-postmoderne, Justin, complètement fabriqué aux mesures des exigences de ces temps du Dernier Temps ...
Il s’agit donc, à la fin, de s’attacher à une très récente déclaration de Justin, après l’attentat de samedi 31 septembre 2017 au Canada, un réfugié somalien conduisant une camionnette et carambolant un commissariat de police pour exécuter, – quoi, au fait ? On dirait au premier abord “une attaque terroriste”, et l’on jugerait faussement à un point proche de l’inversion complète. Il s’agissait en vérité d’une tentative qu’on est invité à juger admirable sinon sublime de “mettre fin au suprémacisme blanc”
« On Saturday, a 30-year-old Somali national asylum seeker rammed into a police officer with his car and then got out and stabbed him repeatedly with a knife. Four pedestrians were also injured in the attack. [...]
» Afghan-Canadian Muslim Minister Maryam Monsef took to Facebook after the attack to run cover for the attacker and throw out a bunch of meaningless platitudes insisting this attack makes Canada stronger: [...]
» Though the attacker was a Somali Muslim and the victim was a white police officer, she included multiple calls to “end white supremacy.” Justin Trudeau shared the post to his own Facebook on Sunday and said he agrees entirely. “Well said, Minister,” Trudeau said. “Canadians’ resolve has been tested this weekend, but I know, as always, we will come through united. Our diversity is our strength.” »
D’où l’infâme Infowars.com nous traduit cela par son titre : « Le premier ministre Trudeau partage un appel à mettre fin au “suprémacisme des Blancs” après une attaque terroriste d’un réfugié somali. » Cela est illustré par une photo de l’héroïque Justin en train de s’adresser au peuple canadien pour lui demander qu’il mette fin à l’insupportable “suprémacisme blanc” qui vient encore une fois de frapper avec cette attaque de la camionnette pseudo-somalienne.
Je me laisse alors glisser rêveusement dans une longue interrogation, délicieuse et cotonneuse, comme bercé par des réminiscences étranges, comme si j’avais vécu dans la compagnie de certains hommes illustres dont l’impassibilité devant la dégradation des mœurs et l’appauvrissement de l’esprit, et cela bien longtemps avant notre sordide épisode de ce début de siècle, m’aurait singulièrement ravi. Ainsi osai-je poser cette question qui me brûlait modérément les lèvres : “Mais pourquoi, Monsieur le Prince immobile, pourquoi Justin reste-t-il donc blanc ? Il doit s’y trouver bien mal, la pauvrette, la pauvre âme.” Ayant mesuré la bouffonnerie postmoderne de « l’abstraction politique née de la révolution » qui est cette chose qu’en vérité on a “dans la peau”, le prince immobile répondit entre ses dents, – je le jure, je l’ai entendu : « Par pitié, ne me faites pas rire. » Il avait donc, d’un trait venu de sa sarcastique immobilité, inventé la tragédie-bouffe.
Note
(*) Talleyrand, le prince immobile, Emmanuel de Waresquiel, éditions Texto, Paris 2013.