Les tulipes fanées du Kirghizistan

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Les tulipes fanées du Kirghizistan

Le 20 août 2015 sur Sputnik.News, l’expert Vladimir Ardaev nous annonçait l’entrée en vigueur effective de la période d’après l’accord de coopération entre les USA et le Kirghizistan (ici présenté par Wikipéda, qui ne s’embarrasse pas trop avec les détails concernant la forme et les actes de l’aide-ingérence des USA, promoteurs, financiers et organisateurs de la “révolution des tulipes” de 2005). La décision de révocation définitive de l’accord a été prise le mois dernier par le gouvernement kirghiz, particulièrement irrité par les continuelles interférences des USA dans les affaires intérieures du pays. Dans l’article cité, Ardaev explique pourquoi les USA perdent ainsi ce très-important point d’appui dont ils disposaient, couvrant l’Asie Centrale à partir de leur base qui était installée dans le pays jusqu’à l’année dernière, prétendument pour soutenir l’engagement US en Afghanistan, mais essentiellement pour disposer effectivement d’un point d’intervention dans toute l’Asie Centrale. D’autre part, la décision kirghiz est en accord avec l’entrée de ce pays dans l’Union Economique Eurasiatique qui constitue l’un des grands instruments de la stratégie russe.

«Adzhar Kurtov, senior research fellow of the Russian Institute for Strategic Studies, explained that “although the Eurasian Economic Union is an economic union of states, economics does not happen without politics, and in this case, without geopolitics as well. Kyrgyzstan long held a position of simultaneously 'sitting on two chairs', receiving aid from the West while at the same time cooperating with its neighbors –now partners in the Eurasian Union. [But] today, the political situation has changed so much that the time has come for the Kyrgyz leadership to choose with whom and how it would build its strategic relations. And we are now witnessing this process of self-determination.”

»Kurtov recalled that in the 1990s, Kyrgyzstan was forced to make a number of one-sided concessions in its agreements with Western partners, from perceived inequities in the contract with Canadian gold mining company Centerra Gold, operating the Issyk-Kul Kumtor gold mine, to the US agreement on aid, which resulted in obvious departures from the norms of international law –particularly with the provision of diplomatic immunity to a wide circle of aid and other personnel. As Ardaev explained, “such agreements were viewed in an unambiguous way by Kyrgyzstan's partners in the post-Soviet space. Russia saw in them obvious violations of Bishkek's sovereignty, with the aim of putting its leadership under a measure of control, and of creating a system of dependency on the West.” Kurtov emphasized that “the liquidation of such a system corresponds not only to the interests of the current Kyrgyz authorities, but with Russia's interests [as well]. This sequence of steps includes the removal of the US air base at Manas, and Bishkek's joining the ranks of the Collective Security Treaty Organization, (CSTO)” a military alliance aimed as a counterbalance to NATO.»

• C’est le 27 juillet 2015 (Sputnik-News) que le président kirghiz Atambayev avait commenté la décision de ne pas renouveler l’accord de coopération avec les USA, dans des termes extrêmement précis et durs pour les USA. Atambayev avait accusé les USA de chercher à créer au Kirghizstan une situation de “chaos contrôlé”, selon l’expression généralement utilisée, dénonçant avec violence la décision récente du département d'Etat de décerner une distinction honorifique à Azimjon Askarov, accusé et condamné pour avoir organisé les affrontements ethniques entre Ouzbeks et Kirgizs en 2010.

«Last week, Kyrgyz authorities officially terminated a 1993 aid cooperation agreement with Washington over the US State Department's decision earlier this month to grant a human rights award to Azimjon Askarov, an ethnic Uzbek convicted of organizing ethnic clashes in southern Uzbekistan between Kyrgyz and Uzbeks in 2010.

»Commenting on the government's decision during a marathon press conference before reporters at the Kyrgyz resort town of Cholpon-Ata on Monday, Atambayev stated that he did not appreciate what he considered to be an action “aimed at fomenting ethnic hatred” in his country. “I would not like to see such a disaster repeated, and am unhappy with [<%I>the US's] attempts to create a situation of controlled chaos in our country,” Atambayev noted. [...] The president likened the State Department's decision to grant the award to the activist to “an ember, which has landed on the grass. Perhaps it will go out, or it could ignite and cause a fire. In this way, an idea is being implanted in the minds of the Uzbek community that life is bad for them in Kyrgyzstan, that they are being treated unfairly, and separatist sentiment is being stirred up.”»

• Cette décision a été précédée de divers autres “incidents”, exclusivement du fait des USA, qui ont largement renforcé la logique et le bien-fondé de la décision du président Atambayev de rompre avec les USA, comme si les USA tenaient à clore le dossier en donnant les dernières preuves de leur culpabilité. Ainsi y a-t-il eu successivement le déplacement au Kirghizstan d’un très-mystérieux avion gros-porteur Antonov, du type qu’utilisent bien entendu les Russes mais aussi les Ukrainiens, et que les USA ont déjà utilisé pour des transports discrets, de type-diplomatique, vers leur ambassade à Kiev. L’avion portait 150 tonnes de “courrier diplomatique” destinés à l’ambassade des USA au Kirghizstan et donc protégés par l’immunité diplomatique (voir le 15 avril 2015), et indiquant un extrême enthousiasme épistolaire du citoyen américain pour le Kirghizstan. Le 8 mai 2015, l’ambassadeur US a félicité le Kirghizstan pour sa participation à la Deuxième Guerre mondiale sans mentionner ni l’URSS ni la Russie, oubliant que le Kirghizstan était une république soviétique et n’a donc participé au conflit mondial que par le biais de l’Armée Rouge. Enfin, le 25 juin 2015, un DVD a été diffusé sur YouTube, montrant l’ambassadeur US au Kirghizstan rencontrant un activiste kirghiz et s’entretenant chaleureusement avec lui.

• Certes, la décision du Kirghizstan est une victoire pour la Russie (et pour la Chine), une défaite pour l’activisme USA, et l’enterrement de première classe d’une “révolution de couleur” de plus. Mais ce qui nous intéresse particulièrement dans ce cas, ce sont les circonstances qu’on a détaillées, parce qu’elles nous font encore et toujours plus nous interroger sur la façon dont fonctionne le pouvoir US. Il est manifeste que les derniers incidents mentionnés ainsi que l’activisme US en général qui se poursuit malgré le climat en pleine dégradation entre les deux pays, ne constituent pas la tactique la plus habile pour tenter de minimiser les dégâts causés aux relations entre les deux pays, voire tenter d’empêcher une rupture complète. Plus encore, le “travail” de subversion des USA se place dans un pays qui est d’autant plus stratégique qu’il est immédiatement voisin de la Chine, et notamment de la région très sensible de Xinjiang, plus précisément dans celle-ci la Région autonome ouïghoure du Xinjiang (ou “Turkestan oriental”). On sait qu’on y trouve une population de confession musulmane qui constitue une des grandes préoccupations intérieures de la Chine par rapport aux remous provoqués par l’extrémisme islamiste.

Depuis le traité de coopération du Kirghizstan avec les USA en 1993, et sans discontinuer, l’activité subversive du centre US au Kirghizstan a également été dirigée vers la Région autonome ouïghoure du Xinjiang. Le point le plus intéressant pour ce cas est que, comme le reste de l’activité subversive, cette activité spécifique US n’a absolument pas été ralentie ces dernières années, ni même ces derniers mois, à l’image du soutien d’organisations “non gouvernementales” à d’autres foyers d’agitation en Chine, notamment lors des évènements de Hong Kong à l’automne 2014. Cela conduit effectivement à des observations sur l’état de fonctionnement du “centre” américaniste, et notamment à sa coordination interne.

Ce qui est remarquable en effet, c’est la déconnexion existant à l’intérieur de cette entité nommé “gouvernement américaniste” entre cette activité subversive constante, ce qu’on pourrait même appeler un “flux subversif” sans discontinuer depuis la fin de la Guerre froide et visant la Chine dans ce cas, et les évaluations économiques et financières officielles US des répercussions sur la situation mondiale d’une situation de crise du pouvoir chinois, évidemment répercutée sur l’économie elle-même en phase très délicate comme le montrent les évènements dont notamment ceux d’aujourd’hui à partir de l’effondrement de la bourse de Shanghai. Le département du Trésor US, avec le soutien actif du président Obama, a observé une attitude d’extrême réserve positive vis-à-vis de la Chine ces dernières semaines, confirmé par un soutien tacite de la dévaluation du yuan, cela à cause de la perception que tout remous important en Chine aurait immédiatement de graves répercussions sur l’économie et le système financier mondiaux. C’est dire si, dans ce cas, la grande “stratégie“ US (puisque certains continuent à parler de “stratégie” à propos des USA) doit être de tout faire pour aider à conforter le pouvoir chinois dans son rôle éventuel de tenter de réguler l’agitation financière. Le Pentagone lui-même estime qu’il faut tenter de travailler en faveur d’une certaine stabilité de la direction chinoise, l’US Navy craignant que les militaires chinois, surtout la marine, deviennent de plus en plus agressifs sans refuser l’affrontement, selon l’idée qu’une bonne fièvre guerrière réveille le nationalisme et fournit une recette efficace d’un ciment national. (Ces attitudes renvoient à la politique constante exercée durant la Guerre froide où chacune des superpuissances travaillait objectivement au maintien de la stabilité commune en soutenant les pouvoirs des autres, contre toutes les analyses moralistes possibles. On doit se rappeler comme exemples de la chose l’absence totale de réaction occidentale, y compris diplomatique, à l’invasion de Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie en 1968, ou le soutien sans faille que Brejnev et l’URSS apportèrent à Nixon tout au long de la crise du Watergate.)

Ces évaluations ont lieu alors que les soubresauts de la situation économique et financière chinoise font prendre conscience de la force de ce fait nouveau que la puissance chinoise constitue désormais le pilier principal de l’équilibre économique et financier du monde. Par conséquent, la ligne de la “stratégie” US est d’autant plus impérative à suivre, si l’on considère le degré d’engagement des USA dans les structures de la globalisation et les dégâts qui lui seraient causés à mesure de l’extension de la crise dont la Chine est le moteur. A côté de cette évidence, on voit que la mécanique subversive, le “flux subversif” entretenu par les services ad hoc du département d’État, continuent à être développés notamment dans ce cas crucial du Kirghizstan, à la fois pour les relations avec le Kirghizstan et pour les effets indirects en Chine même. Ce “flux subversif“ semble n’avoir aucun rapport avec la vérité de situation et suivre une logique interne qu’on pourrait estimer hors de tout contrôle stratégique et politique. L’accusation de producteur de “chaos contrôlé”, lancée contre les USA par le président Atambayev est techniquement justifiée ; les adeptes de la thèse et amateurs de ces expressions toutes faites qui semblent proches de la formule magique de l’incantation avec le pouvoir de sacraliser l’action du Système enchaînent en général avec l’expression de “chaos créateur”. Stricto sensu, cette enchaînement est acceptable, il est même recommandable puisqu’il permet de pousser jusqu’à son extrême si l’on prend en compte les effets à l’intérieur de la soi-disant “stratégie américaniste : le “chaos contrôlé” devient un “chaos créateur de chaos” à l’intérieur même du processus du producteur de chaos. La boucle est bouclée avec élégance. Le Kirghizstan qui avait été conquis par les tulipes est offert en bouquet de mariage à l’Union eurasiatique et l’économie chinoise entraîne dans sillage la crise du système financier jusqu’à Wall Street : une sorte de “stratégie”-Système du win-win...


Mis en ligne le 24 août 2015 à 18H15