Les Russes et l’Europe : à quoi bon un “partenariat stratégique”?

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Les Russes et l’Europe : à quoi bon un “partenariat stratégique”?


29 novembre 2005 — Fin 2007, l’accord de “partenariat stratégique” entre la Russie et l’UE vient à terme. Les négociations pour son éventuelle extension vont commencer. Le climat pourrait bien être détestable. Des échos nous montrent une exaspération grandissante du côté russe.

L’écho principal pour ce propos vient d’un séminaire moscovite le 22 novembre. Dans cette réunion un peu fermée (semi-confidentielle), où quelques participants européens furent invités d’une façon assez imprévue vue la teneur des sujets discutés — à moins qu’il se soit agi d’une forme indirecte d’information, sinon d’avertissement? — deux rapports sur les relations russo-européennes furent discutés. Le premier était de peu d’intérêt, exposant une position pro-occidentale classique des milieux capitalistes russes et d’autres milieux liés aux processus économiques et financiers capitalistes. Le second, d’un centre de réflexion proche du pouvoir, était beaucoup plus intéressant, — d’abord parce qu’il exposait, justement, une appréciation proche du sentiment général existant dans la direction russe aujourd’hui.

Des sources russes ayant eu accès aux debriefing à propos de cette réunion mettent en évidence « la violence du ton et des propos contenus dans ce rapport. Il s’agit d’un réquisitoire sans guère de précaution de forme, où les institutions européennes sont violemment mises en cause ». Le rapport apparaît représenter, selon ces mêmes sources, une tendance grandissante dans les cercles proches du pouvoir à Moscou.

De quoi s’agit-il ? D’une exaspération qui s’appuie sur plusieurs constats concernant l’Europe, tels qu’ils nous ont été rapportés par notre source.

• L’Europe est perçue comme faible, comme politiquement sous la coupe des Américains. Le doute est grandissant, voire irrésistible que l’Europe puisse jouer un rôle politique important et autonome.

• Par contre, l’Europe apparaît dans ses rapports avec la Russie dans le cadre du “partenariat stratégique” comme exigeante, arrogante, « donneuse de leçons sur les matières humanitaires et morales, comme si elle se jugeait investie d’une vertu particulière. Ce contraste entre la faiblesse politique et la prétention moralisante exacerbe les jugements et contribue à influer rapidement influer, dans un sens négatif bien sûr, sur les rapports de la Russie avec l’Europe ». Cette appréciation d’humeur est complétée par une revendication beaucoup plus précise de la part des milieux dirigeants russes : « Moscou a l’impression d’être traité comme un vulgaire État mafieux de sa péripétie, et cela finit par agacer… »

• Ce qui est remarquable, c’est que les Russes qui sont cités durant cette réunion tiennent la Commission européenne comme particulièrement responsable de cette attitude. Cela met d’autant plus en cause la perception d’une possible évolution politique européenne vers la maturité, dans la mesure où la Commission devrait être l’organisme chargé d’assurer la mise en œuvre d’une politique européenne.

• D’une façon générale, ces milieux russes semblent évoluer vers l’idée qu’un renouvellement du “partenariat stratégique” avec un tel partenaire présente assez peu d’intérêt. (Cela laisse augurer de la difficulté des négociations pour un renouvellement de cet accord.) Ce partenaire étant jugé comme faible, sous la coupe des Américains, on voit de plus en plus mal ce que peuvent rapporter des relations privilégiées avec lui. Des alternatives sont envisagées, essentiellement vers l’Est. Ce qui est très caractéristique, c’est que ces alternatives ne concernent pas les pays des anciennes républiques de l’URSS regroupées dans la CEI mais plutôt la Chine ou l’Inde.

Ce que ces sources russes nous ont communiqué de ces récents contacts rencontre par ailleurs, selon nos appréciations, une perception très vive des capacités, ou plutôt de l’absence de capacités diplomatiques et stratégiques de la Commission depuis l’arrivée de l’équipe Barroso. La chose est perceptible au niveau interne. La désorganisation et le désintérêt de ces domaines sont mis en évidence par une série de séminaires internes sur les questions de haute stratégie qui avait été lancée par le cabinet Barroso et qui se solde jusqu’à maintenant par des échecs pitoyables. Le dernier de ces séminaires devait compter une demi-douzaine de Commissaires et le Président lui-même. Seuls les chefs de cabinet étaient présents (les Commissaires n’avaient même pas avertis de leur absence), qui se contentèrent de prendre des notes ; quant à Barroso, il fit une rapide incursion dans la salle de conférence avant de s’effacer aussitôt. C’est une parfaite image de la réflexion et de l’action stratégique de cette Commission.

Ce naufrage de la crédibilité stratégique de la Commission (des institutions européennes) n’affecte pas, dans le chef des Russes, les relations bilatérales avec des pays européens dont la France est le meilleur exemple. On a là encore un signe convaincant de l’effacement accéléré des institutions européennes au profit des États-membres. Cette évolution est essentiellement due à l’absence complète de vision stratégique et de volonté politique, caractérisé par un repli sur des positions définies par le conformisme le plus affligeant (pour ceux qui ont le temps d’être affligé par cette sorte de situation), à la fois de type gestionnaire, économiste, et bien entendu l’inévitable et aveugle penchant transatlantique. Le “non” français n’a pas créé une crise; il n’a fait que mettre en lumière l’échec complet des institutions européennes à assurer un rôle politique sérieux. La médiocrité des causes de cette déroute fait penser qu’il n’y a même pas là une occasion ratée. Un ensemble institutionnel et bureaucratique de la consistance d’un ectoplasme ne peut prétendre être une réelle occasion de quoi que ce soit, et l’on ne peut rater ce qui n’existe pas.