Les 28-pages en tête de page

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Les 28-pages en tête de page

La question des 28-pages (voir le site 28-pages.org) du rapport du gouvernement US sur l’attaque 9/11, pages toujours classifiées “top secret”, est en train de s’imposer comme une polémique intéressante aux USA. Une récente émission de la CBS, 60 Minutes, a attiré l’attention sur cette question au moment où le président Obama se prépare à une visite en Arabie, le 21 avril. Depuis, une forte pression politique s’est affirmée en faveur de la déclassification, notamment pour pousser à la décision d’un vote de la Chambre sur la proposition de la recommandation de déclassification proposée depuis deux ans, un texte soutenu actuellement par 41 “co-sponsors”, des députés de la Chambre. Les positions sont assez variées et souvent contradictoires, montrant la confusion qui gagne cette affaire, mais d’une façon générale on peut dire que les partisans de la déclassification ont d’ores et déjà remporté une victoire importante en faisant en sorte que cette question se soit inscrite parmi les plus pressantes au niveau de l’activité politique à Washington. Plusieurs points sont à mettre en évidence ces derniers jours, dont le même site 28-pages.org donne une analyse succincte mais complète, le 14 avril.

• Un premier point à mettre en évidence est une déclaration d’un officiel de la Maison-Blanche, à la requête de l’ex-sénateur Graham qui est une des personnalité les plus engagées en faveur de la déclassification. Ainsi a-t-il été dit qu’il se trouve, – quel heureux hasard d’agenda, – que l’administration (le président) étudie actuellement l’opportunité de déclassifier ces 28-pages et que la décision positive ou négative pourrait être prise dans “un ou deux mois”. (« Brett Holmgren, senior policy advisor to the assistant to the president for Homeland Security, called former Senator Bob Graham on Tuesday [14 April] to say a declassification review of the 28 pages will be completed “soon.” Pressed by Graham for a more precise estimate, Holmgren was said to reply “one or two months.” »)

Il n’est en rien évident que cette position de l’administration Obama marque une volonté du président de déclassifier les documents, et même on pourrait soupçonner que c’est le contraire : certains y voient en effet une manœuvre de retardement devant les pressions pour faire voter la Chambre, et justement comme un moyen pour Obama d’empêcher, ou dans tous les cas de retarder ce vote. Le calcul de l’administration est que l’annonce d’une possible déclassification repousserait la possibilité du vote, au moins pour cette législature, la décision d’Obama pouvant traîner jusqu’aux événements de l’été (conventions explosives de nomination des candidats à la présidentielles en juillet, vacances du Congrès en août, début de la campagne présidentielle dans sa phase finale en septembre).

Quoi qu’il soit, et qu’il s’agisse du hasard ou de la nécessité, la décision de la Maison-Blanche fait que tout se passe comme si la sensibilité, sinon la vulnérabilité du président aux pressions politiques sur cette affaire étaient confirmées. Ainsi ces circonstances ont-elles fait resurgir au premier plan, et désormais au plus haut niveau, une question qu’on croyait enterrée, qui est la question générale de la véritable position officielle sur l’attaque du 11 septembre.

• L’Arabie saoudite réagit de plus en plus vivement, mais dans des sens très divers sinon contraires, à la possible perspective d’une déclassification. D’un côté, diverses rumeurs, confidences, etc., ainsi que l’action de très nombreux lobbies mis au service de l’Arabie à coups de millions de dollars, et qui sont désormais très puissants à Washington, développent la thèse selon laquelle cette affaire est une tempête dans un verre d’eau. Un lobbyiste pro-saoudien a déclaré que « le royaume n’avait absolument rien à craindre du contenu de ces 28-pages, parce qu’il n’y a rien là-dedans qu’on ne sache déjà, et rien qui n’implique sérieusement l’Arabie ». Ces explications ont été soutenues par une intervention de l’ambassade de l’Arabie, telle que la rapporte le site 28-pages.org, avec certaines observations contradictoires.

« On Sunday evening, the Embassy of Saudi Arabia issued a statement calling the 60 Minutes report “a compilation of myths and erroneous charges that have been thoroughly addressed not just by the Saudi government but also by the 9-11 Commission and the U.S. courts.” It went on to declare that “the 9/11 Commission confirmed that there is no evidence that the government of Saudi Arabia supported or funded al-Qaeda.” That Saudi assertion had already been contradicted in the 6o Minutes report by 9/11 Commission members, including former Senator Bob Kerrey, who said, “We didn’t have the time, we didn’t have the resources. We certainly didn’t pursue the entire line of inquiry in regard to Saudi Arabia.”

» The Saudi embassy described the joint congressional intelligence inquiry that produced the 28 pages as an “infamous” undertaking “which aimed at perpetuating these myths instead of investigating them seriously.” »

• Il y a certainement des contradictions intéressantes dans la position de l’Arabie. En effet, si le rapport, les 28-pages, les affirmations de ceux qui ont lu ces pages, etc., sont présentés soit comme sans importance, soit comme infondées, c’est-à-dire si l’Arabie affirme officiellement n’avoir rien à se reprocher, et rien à craindre des 28-pages, pourquoi réagit-elle avec tant de vigueur à la possibilité de leur déclassification ? Pourquoi en vient-elle même, ce qui n’est pas rien pour des pays si complètement alliés, jusqu’à menacer les USA de rien moins que des représailles économiques en cas de publication ? C’est en effet ce que détaille le New York Times, le 16 avril, notamment à partir de déclarations du ministre saoudien des affaires étrangères lui-même.

« Saudi Arabia has told the Obama administration and members of Congress that it will sell off hundreds of billions of dollars’ worth of American assets held by the kingdom if Congress passes a bill that would allow the Saudi government to be held responsible in American courts for any role in the Sept. 11, 2001, attacks. [...] 

» Adel al-Jubeir, the Saudi foreign minister, delivered the kingdom’s message personally last month during a trip to Washington, telling lawmakers that Saudi Arabia would be forced to sell up to $750 billion in treasury securities and other assets in the United States before they could be in danger of being frozen by American courts. Several outside economists are skeptical that the Saudis will follow through, saying that such a sell-off would be difficult to execute and would end up crippling the kingdom’s economy. But the threat is another sign of the escalating tensions between Saudi Arabia and the United States. »

• Il n’est nullement impossible qu’à l’image des USA où les autorités aussi bien que les centres de pouvoir sont engagés dans des positions différentes sinon antagonistes en fonction de leurs intérêts, la direction saoudienne elle-même soit divisée selon les clans des kyrielles de princes installées au pouvoir et autour du pouvoir. Cela expliquerait certaines variations dans les réactions saoudiennes, à l’image de la diversité des attitudes qu’on rencontre à Washington. Ces diverses observations semblent montrer qu’en plus de s’installer au cœur du système de la communication, les 28-pages deviennent également une arme politicienne pour les différents clans.

Si c’est le cas, il s’agit d’une “première” remarquable dans le fonctionnement du pouvoir américaniste, et dans ce cas du pouvoir américano-saoudien. Jusqu’ici, une entente tacite régnait sur la question de l’attaque 9/11 qui devait rester l’objet de consensus de tous les pouvoirs autour de la narrative établie par le rapport de la la Commission-9/11, dite “cousue de fil blanc”, qui établit qu’aucune responsabilité, soit interne à Washington, soit dans des pays officiellement “alliés” (l’Arabie), n’a été mise à jour, et que l’acte est une pure action d’un réseau terroriste. Cette attitude consensuelle a duré jusqu’en 2013-2014 jusqu’à ce qu’apparaisse de manière sérieuse la polémique des 28-pages, attitude consensuelle notamment selon une narrative-Système qui dénonçait absolument toutes les tentatives de dévier de “la ligne du Parti” comme autant de manifestations hystériques du plus pur complotisme obsessionnel. La rupture de cette attitude, aujourd’hui évidente, sur la question quasi-sacrée de l’attaque du 11 septembre 2001 illustre d’une façon plus générale du point de vue politique l’état pathétique du pouvoir à Washington D.C., mais aussi dans les prolongements extérieurs considérés comme les plus sûrs et les plus nécessaires du point de vue du Système.

• Pour l’instant, la question des 28-pages n’a pas encore fait son entrée officielle dans la campagne présidentielle (sauf avec la promesse faite par Trump de faire la lumière sur 9/11 s’il était élu, mais dans un cadre et selon une chronologie qui n’étaient pas connectées à l’actuelle polémique sur la déclassification). Dans les circonstances nouvelles qui s’installent, il n’est évidemment plus impossible, et même au contraire, que les candidats s’emparent du dossier, et principalement les deux candidats antiSystème. Pour Trump, cela pourrait apparaître très vite, selon son attitude évidemment coutumière de dénoncer tout ce qui a trait au Système, et à ses engagements de type-“impériaux”. Trump a déjà dénoncé les liens avec l’Arabie et cette affaire peut être un excellent argument pour une telle orientation.

Du côté de Sanders, l’approche est plus complexe, mais également très originale. Le lobby israélien AIPAC est engagé dans cette querelle des 28-pages, parce que l’AIPAC est favorable à l’Arabie d’une part, conformément à la politique actuelle anti-iranienne, anti-syrienne du gouvernement israélien ; d’autre part parce que tout ce qui concerne les zones d’ombre de 9/11 peut très bien conduire à des occurrences embarrassantes pour les services de renseignement israélien, dont il est largement acquis qu’ils ont sans doute joué un rôle non négligeable dans cette affaire. C’est là où l’on peut retrouver la position de Sanders, qui est singulièrement remarquable et originale pour le premier candidat juif en position sérieuse dans la course à la présidence  des USA.

Effectivement, Sanders est celui qui, parmi les candidats, a les plus mauvaises relations avec l’AIPAC (il n’a pas participé au rituel des discours des candidats devant l’assemblée de l’AIPAC), qui a critiqué le plus durement la politique israélienne dans certains domaines, jusqu’à devenir un facteur de divisions chez les Juifs américains. C’est d’une certaine façon une surprise dans la mesure où Sanders paraissait au départ avoir une position très alignée sur la politique classique pro-israélienne des USA, et une surprise qui conduit à d’étranges commentaires. (Voir ci-dessous, cette réaction d’un parlementaire démocrate juif, pro-Hillary bien entendu : “Peut-être [Sanders] se sent-il obligé de se tenir en retrait sur cette politique [pro-israélienne] parce qu’il est juif ? Cela est très préoccupant”.) Quelle qu’en soit la cause qui doit être laissée à toutes les appréciations et à tous les phantasmes de la bienpensance-Système, cette attitude pourrait effectivement conduire Sanders à jouer un rôle intéressant en fonction de l’affaire des 28-pages, selon l’usage qu’il pourrait faire de cette polémique dans la dynamique de sa campagne. Le rôle très particulier et particulièrement intéressant et inhabituel du juif Bernie Sanders vis-à-vis des Juifs américains pour ce qui est de la politique israélienne est notamment mis en évidence par un article du New York Times du 15 avril...

« It was the sort of question — Does Israel have a right to defend itself as it sees fit? — that had often caused candidates, especially those with designs on winning a primary in New York, to produce paeans to the strength of the Israeli-American relationship and a stream of pro-Israel orthodoxy.

» But Senator Bernie Sanders dug in. “There comes a time when if we pursue justice and peace, we are going to have to say that Netanyahu is not right all of the time,” Mr. Sanders said, referring to the Israeli prime minister, amid cheers from the crowd at Thursday’s Democratic debate in Brooklyn. He added: “All that I am saying is we cannot continue to be one-sided. There are two sides to the issue.” Jewish Democrats, like the rest of the party, have been struggling for years over the appropriate level of criticism when it comes to Israel’s policies in the occupied West Bank and Gaza. But that debate burst onto a big national stage this week thanks to Mr. Sanders, the most successful Jewish presidential candidate in history.

» Mr. Sanders’s comments, in the de facto capital of Jewish American politics, buoyed the liberal and increasingly vocal Democrats who believe that a frank discussion within the party has been muzzled by an older, more conservative Jewish leadership that is suspicious of criticism of Israel. Jeremy Ben-Ami, the president of J Street, a progressive pro-Israel lobbying group whose more critical view of the Israeli government has gained influence on Capitol Hill, said Mr. Sanders’s comments were “very different from the stale talking points that have dominated those types of discussions before” and contributed to a “meaningful redefinition of what it means to be pro-Israel.”

» But the comments, as measured as they were striking, worried more traditionally pro-Israel Jewish Democrats and Jewish organizations trying desperately to maintain bipartisan support for the Israeli government but watching it slowly being chipped away. “I thought that Bernie Sanders’s comments were disgraceful and reprehensible, and I thought he was just over the top,” said Eliot Engel, a Jewish congressman from the Bronx who supports Hillary Clinton. He said that Mr. Sanders’s comments were irresponsible, giving radical left-wing elements in the party more license to attack Israel. “Maybe he feels like he has to bend over backwards because he’s Jewish?” Mr. Engel said, adding, “It bothers me a great deal.” »

• ... Tout cela, qui conduit à penser que la polémique des 28-pages qui entrerait (qui pourrait entrer) à un moment ou l’autre en conjonction avec la campagne présidentielle peut aider à conduire à une mise en cause importante de la politique-Système, essentiellement au Moyen-Orient et en fonction de la filière Arabie-Israël du point de vue des intérêts autant que des conceptions de l’establishment. Bien évidemment, il ne faut pas se placer principalement du point de vue des révélations possibles, notamment venant des 28-pages, – même si ce point de vue existe, et qu’il peut évidemment réserver des surprises avec des effets inattendus, – ce serait alors une cerise sur le gâteau fort bienvenue. Mais il s’agit là d’un aspect complètement incontrôlable et dont on ne peut tenir compte a priori du point de vue évènementiel. (Par contre, certes, il pèse sur les psychologies d’un poids certain, justement par sa charge de possibles de révélations et par le domaine de la plus haute tension possible qu’il aborde, qui est celui de l’attaque 9/11.)

L’élément important pour l’instant, parce que nettement identifiable et clairement sur la voie de se constituer, c’est l’entrée dans la course présidentielle d’un facteur polémique (les 28-pages) qui va nécessairement orienter l’attention vers la question de la politique-Système, des liens des USA et de certains pays dans ce cadre (l’Arabie en premier, mais aussi Israël). Il s’agit là d’un champ de bataille potentiel particulièrement intéressant, totalement nouveau dans une élection présidentielle, et à l’occasion d’un événement lui-même assez inédit puisqu’il “ressuscite” d’une façon ou l’autre le débat qui n’eut jamais vraiment lieu autour de l’attaque du 11 septembre, de ses fondements, de sa signification, de son importance essentielle comme effet et comme cause à la fois de toute la politique-Système des USA depuis la fin de la Guerre froide. L’on voit bien comment il importe de lier des événements qui sont au départ séparés, – ici, la polémique des 28-pages et l’élection présidentielle, – et que la dynamique en cours tend au contraire à rassembler. L’année 2016 représente aux USA une perspective révolutionnaire, selon une dynamique elle-même décidément révolutionnaire, dans cette mesure où elle attaque sans que nous ayons rien vu venir de tout cela toutes les positions de conventions, toutes les bornes mises en place par le Système pour sécuriser la poursuite de cette politique-Système.    

 

Mis en ligne le 16 avril 2016 à 16H51

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