L’erreur très-“déplorable” de l’USAF

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L’erreur très-“déplorable” de l’USAF

Bienvenu est donc le commentaire de la journaliste et analyste politique Hafsa Kara-Mustapha parlant à Spoutnik-français le 18 septembre : « La seule chose qui surprend dans cette histoire, c'est que les gens continuent à s'étonner des actions pourtant si prévisibles des Etats-Unis ». Parlant de ce qu’elle devrait plutôt identifier comme “l’imprévisible prévisible” de l’action des USA, elle parle de l’“erreur” de l’USAF du 17 septembre dans son attaque sur Deir ez-Zor, en Syrie, où s’affrontaient Daesh et l’armée syrienne régulière. L’“erreur” est que les deux F-16 et les deux A-10 ont attaqué les Syriens de Assad plutôt que leurs “ennemis” de Daesh, faisant près de cent morts et plus de 120 blessés chez les soldats syriens et permettant à Daesh, averti du changement de fortune par un instinct très sûr, de reprendre son offensive... « Ce n'est pas une "erreur" et ne peut pas l'être, poursuit Kara-Mustapha. Les avions américains n'avaient aucune raison de survoler Deir ez-Zor pendant le cessez-le-feu convenu et officiellement annoncé [...] tout en sachant que l'État islamique reculait. »

Le Pentagone a officiellement affirmé qu’il s’agissait d’une “erreur” et les Russes, furieux, ont convoqué le Conseil de Sécurité où ils agitent la nécessité de publier in extenso l’accord Lavrov-Kerry sur lesquels s’appuie, de plus en plus mal, le “cessez-le-feu” actuel qui est exploité par les différents groupes rebelles anti-Assad pour se regrouper et se ravitailler en munitions. Les USA refusent absolument cette publication qui mettrait en évidence leur incapacité d’appliquer la partie de l’accord qui les concerne (et éventuellement les divergences internes et l’incapacité de l’autorité suprême US de se faire respecter par ses subordonnés). C’est ce que résume Alexander Mercouris (TheDunan.com, le 18 septembre), en terminant sur une appréciation plus large de l’attaque avec l’évocation de l’hypothèse évidente qu’il s’agit d’une initiative des forces qui, à Washington, sont opposées à l’accord (ditto, le Pentagone, comme on a pu déjà le voir par des déclarations publiques de chefs militaires US).

« It is universally accepted by all objective observers of the Syrian conflict that the Jihadi fighters in eastern Aleppo belong either to Jabhat Al-Nusra or to groups closely affiliated with it.  the Lavrov – Kerry agreement, which requires that Syrian opposition fighters separate themselves from Jabhat Al-Nusra, whom the agreement brands terrorists, is therefore tantamount to US agreement that the Jabhat al-Nusra fighters occupying eastern Aleppo withdraw from the city.  It is very likely the Lavrov – Kerry agreement or one of its annexes or protocols spells this out. Since that is tantamount to an agreement that eastern Aleppo be surrendered to the Syrian government, it is not surprising the US is reacting fiercely to demands the text of the agreement be made public.

» This is probably what is behind the air strike in Deir Eizzor.  It looks like a threat to the Russians by the US – or at any rate by the hardliners in Washington – that any move by Moscow to blame the US for the failure of the agreement or to publish its terms will result in an immediate escalation of US military action on behalf of the Jihadis in eastern Syria.  That this means aligning the US with ISIS – as Russian Foreign Ministry spokesman Maria Zakharova is rightly pointing out  – is a price that some people in Washington seem prepared to pay. As of the time of writing the US is desperately rowing back.  It seems the US underestimated the strength of the Russian reaction to the Deir Ezzor attack, and did not anticipate that the Russians would complain about it to the UN Security Council, which is what the Russians have done. 

» Since the attack the Russians are saying that the ceasefire now hangs by a thread.  Even before the attack there were reports of Syrian troops returning – apparently with Russian agreement – to their previous positions on Aleppo’s Castello road. The US of course knows that with the Jihadi offensive on south west Aleppo defeated, and with the Jihadis in eastern Aleppo surrounded, the result of the collapse of the ceasefire would be the eventual defeat of the Jihadi force in eastern Aleppo.  It was this knowledge which caused the US to agree to the Lavrov – Kerry agreement in the first place.

» The US action in Deir Ezzor however shows how unreconciled to this reality powerful sections of the US bureaucracy – including especially Ashton Carter’s Pentagon – are.  It seems that there are some people in Washington who are prepared to go to almost any lengths to undermine the Lavrov – Kerry agreement in order to avoid surrendering eastern Aleppo and so as to prevent what many in Washington obviously see as the ultimate humiliation of a joint military campaign with the Russians against ISIS and Jabhat Al-Nusra. 

» The prospects for the Lavrov – Kerry agreement depend on the realists in Washington facing down the hardliners. Despite the apologies and regrets currently pouring out of Washington, after the attack on Deir Ezzor the prospects for them succeeding don’t look good. »

Il y a suffisamment d’allusions dans le texte de Mercouris pour retrouver effectivement cette hypothèse qui se trouve, sinon dans tous les écrits, dans tous les cas dans tous les esprits un peu informés : il y a, en Syrie, plusieurs “orientations” US et donc plusieurs politiques, et, dans le chef de certains pouvoirs tous proches du Pentagone, une intention effective sinon assumée de ne pas obéir aux ordres du “commandant-en-chef” qui se trouve à la Maison-Blanche. DEBKAFiles, qui suit depuis plusieurs semaines avec attention cet aspect des choses, a publié le 17 septembre (peu avant que l’attaque contre Deir ez-Zor soit connue) une longue analyse qui en reprend tous les aspects, et qui commence par ce court paragraphe décisif : « Le Pentagone et l’US Army n’exécutent pas les ordres de leur Commandant-en-Chef Barack Obama pour l’application de la coopération militaire en Syrie conclu par secrétaire d’État John Kerry et le ministre russe des affaires étrangères Sergei Lavrov, le 12 septembre à Genève. »

DEBKAFiles précise même que “des sources” à Washington affirment que le secrétaire à la défense Carter s’appuie, pour justifier son refus, sur l’argument qu’une loi votée par le Congrès interdit toute coopération militaire avec la Russie depuis le rattachement de la Crimée de mars 2014 et la crise ukrainienne. (« But Washington sources report that Defense Secretary Carter maintains that he can’t act against a law enacted by Congress. He was referring to the law that prohibits all military-to-military relations with Russia as a result of Moscow’s annexation of the Crimea region of Ukraine. According to DEBKAfile’s military sources, they are simply dragging their feet in ground operations... ») Ce point est essentiel parce qu’il signifie ainsi que le refus du Pentagone d’exécuter “les ordres de son Commandant-en-Chef” serait officialisé à l’intérieur de l’administration et notamment à la connaissance d’Obama et de Kerry. Il s’agit donc d’une sorte de “mutinerie à ciel ouvert” et largement documentée, qui ne fait même pas l’effort de la dissimulation. Si DEBKAFiles dit vrai, – et il l’a souvent fait sur cette question ces derniers temps, – l’attaque de Deir ez-Zor pose un problème beaucoup plus grave encore que les éléments déjà exposés, étant admise l'hypothèse extrêmement constructive qu’il ne peut s’agir d’une “erreur”-coïncidence au milieu de ce désordre extraordinaire régnant dans la hiérarchie du commandement US, et par rapport à l’autorité centrale du Commandant-en-Chef : soit Obama a approuvé l’“erreur”, cédant au diktat du Pentagone, soit il a été placé devant le fait accompli en n’ignorant rien des protagonistes de l’affaire.

Quoi qu’il en soit, en présentant l’affaire de cette façon DEBKAFiles confirme un fait particulièrement important : la position quasi-officielle du secrétaire à la défense Ashton Carter. Il est bien sûr arrivé que sur des questions d’équipements, voire de stratégie ou de déploiement de forces, des secrétaires à la défense soient du parti de leurs chefs militaires contre le reste du pouvoir civil en matière de sécurité nationale, essentiellement le département d’État et la Maison-Blanche ; cette position durait jusqu’au moment où l’autorité suprême (le Président) tranchait, interrompant le débat par sa décision dans un sens ou l’autre ; jamais auparavant, au grand jamais, un secrétaire à la défense n’avait pris le parti des militaires d’une façon si délicate, sur un sujet aussi grave et directement opérationnel, et surtout en défiance complète des ordres de son chef constitutionnel suprême, même selon l’argument du vote du Congrès dont il ne peut être lui-même juge suprême par rapport à une opération ordonnée par son Commandant-en-Chef. Bien entendu, il n’est pas interdit de penser que des parlementaires de poids et d'influence, et bellicistes jusqu'à la folie, tels que John McCain et Lindsey Graham, encouragent discrètement Carter dans cette attitude ; cela se concevrait d'autant plus aisément que la personnalité falote dudit Carter, – paradoxe de la situarion : Carter est le contraire d'un caractère, – l'encouragerait à céder à des sollicitations si conformes à la dynamique du Système...

Le pouvoir exécutif à Washington reproduit de plus en plus le schéma d'un immense trou noir où se déverseraient les débris peu ragoûtants d’une politique de sécurité nationale devenue complètement follet et complètement laissée à elle-même. Dans tous les domaines, les USA ressemblent de plus en plus à un Titanic évidemment exceptionnel, qui, refaisant l’histoire, aurait perdu son gouvernail et ferait des ronds dans l’eau avant son rendez-vous avec l’iceberg bien connu.

 

Mis en ligne le 18 septembre 2016 à 18H45