L’énigme US pour 2010, c’est Tea Party

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Le caractère le plus extraordinaire du mouvement Tea Party, c’est qu’après un an d’existence et une place de plus en plus importante dans la vie politique US, jusqu’à constituer dans l’esprit du public US le 2ème parti potentiellement, avant le parti républicain, il reste une énigme quant à ce qu’il est réellement. Dans The Dissident Voice du 29 décembre 2009, Bill Berkowitz, un spécialiste de l’étude des mouvements conservateurs, avoue encore son incertitude quant à la catégorisation de Tea Party, tout en reconnaissant l'importance considérable du mouvement.

«Despite the fact that it doesn’t have a clear identity, and serious questions about the movement’s character remain to be answered, the Tea Party movement has been one of the most intriguing political developments of the past year.

»Is it a grassroots movement, or has it been organised and funded by Washington-based conservative groups? Could it be both? Is it mainly concerned with economic issues (government spending, taxes, deficits) or are the Christian Right’s traditional social issues (abortion, same-sex marriage) of interest to tea partiers? Are there several – possibly competing – ideological tendencies within the movement?

»While tea partiers made a lot of noise this past summer, doing their best to put the kybosh on health care reform, is there a future for the movement? A recent Rasmussen Poll suggests that there very well might be. In theoretical three-way congressional races between a Democrat, Republican and Tea Party candidate, the Tea Party candidate outpolled the Republican. Democrats attracted 36 percent of the vote; the Tea Party candidate received 23 percent, and the Republican finished third at 18 percent, with 22 percent undecided. […]

»Interestingly enough, in an effort to build the movement, some Tea Party organisers have taken to “studying the grassroots training methods of the late Saul Alinsky, the community organizer known for campus protests in the 1960s and who inspired the structure of Obama’s presidential campaign,” the San Francisco Chronicle recently reported. […]

Berkowitz poursuit en faisant une longue analyse, à l’aide d’experts de la chose, pour savoir si Tea Party est raciste, s’il est anti-Obama parce qu’Obama est Africain-Américan, etc. Ses observations sont inquiètes mais nullement péremptoires. Tout cela se retrouve donc dans la conclusion d’un homme qui est spécialiste de cette sorte de mouvement, et un homme de gauche prompt à dénoncer le racisme: «If Tea Party activists can ferret out racists and white nationalists from their ranks – and not become a mouthpiece for Christian Right ideologues – it could become a legitimate force on the U.S. political landscape. Meanwhile, a host of groups, operating under assorted Tea Party banners, are working to influence the 2010 mid-term elections.»

D’un autre côté, et pour ajouter encore à la confusion, on ajoutera ce jugement de Nat Hentoff, vieil homme de 84 ans, auteur, critique, journaliste, activiste, célèbre dans les milieux dissidents et marginaux US pour sa liberté d’esprit, ses engagements paradoxaux, libertarien, anti-avortement, favorable aux Noirs activistes (il fut ami de Malcolm X), spécialiste constitutionnaliste à la manière d’un Ron Paul, spécialiste de jazz comme une expression fondamentale des Africains-Américains, adversaire acharné de la loi de sécurité sociale d’Obama, etc.; se définissant lui-même comme «Jewish atheist, civil libertarian, pro-lifer»… Hentoff est interviewé le 24 décembre 2009 par John W. Whitehead, sur LewRockwell.com. Hentoff commence par ce jugement abrupt sur Barack Obama, avant de s’en expliquer: «I try to avoid hyperbole, but I think Obama is possibly the most dangerous and destructive president we have ever had…»

Mais ce qui nous intéresse, c’est la question qui lui est posée sur Tea Party

John W. Whitehead: «A lot of people we represent and I talk to feel that their government does not hear them, that their representatives do not listen to them anymore. As a result, you have these Tea Party protests which the Left has criticized. What do you think of the Tea Party protests?»

Nat Hentoff: «I spent a lot of time studying our Founders and people like Samuel Adams and the original Tea Party. What Adams and the Sons of Liberty did in Boston was spread the word about the abuses of the British. They had Committees of Correspondence that got the word out to the colonies. We need Committees of Correspondence now, and we are getting them. That is what is happening with the Tea Parties. I wrote a column called “The Second American Revolution” about the fact that people are acting for themselves as it happened with the Sons of Liberty which spread throughout the colonies. That was a very important awakening in this country. A lot of people in the adult population have a very limited idea as to why they are Americans, why we have a First Amendment or a Bill of Rights.»

Notre commentaire

@PAYANT Donc, Tea Party est insaisissable, inclassable, mais Tea Party est d’une importance politique potentielle considérable. Finalement l’interprétation, assez intuitive naturellement, de Nat Hentoff, est la plus enrichissante. L’analogie avec la tea party originelle de 1773 est fortement argumentée, avec une définition précise de cet événement du XVIIIème siècle. L’interprétation devient qu’il s’agit d’un mouvement à la fois spontanée et organisée de la base populaire, se constituant en “comités” (“en réseaux”, dirait-on aujourd’hui), un “appel aux armes” contre un système qui n’est plus accepté. Du coup, les motifs politiques, ce qui définit un “mouvement politique” ou un parti au sens habituel des termes, passent au second plan. Ce qui importe, c’est la forme de la dynamique et non les buts éventuels – s’il y en a – de cette dynamique. Cette vision est beaucoup plus ouverte parce qu’elle accepte le caractère insaisissable politiquement du “mouvement”, qui est une réponse naturelle et appropriée au caractère également insaisissable, à cause du virtualisme, de la communication manipulée, etc., de l’oppression d’un système dont la dynamique est elle-même devenue nihiliste et, par conséquent, elle-même sans but politique défini sinon de perpétuer cette oppression comme condition de sa propre survie.

De ce point de vue également, on peut rapprocher Tea Party des réactions de “localisme” qu’on a identifiées avec l’échec de la conférence de Copenhague; ou plutôt le contraire: considérer ces réactions de localisme, qui sont une véritable démission populaire de l’ordre politique soi-disant démocratique imposée par le système, comme renvoyant à la même dynamique que Tea Party. A cette lumière, les enquêtes minutieuses et un tantinet obsessionnelles à propos du racisme du Tea Party sont assez secondaires; surtout, elles tombent dans le piège d’une manipulation du système, qui emploie notamment et abondamment l'accusation de “racisme”, ou l’accusation de “populisme”, pour étouffer toute réaction venue de la base contre lui.

A cette lumière, il ne fait aucun doute que Tea Party est l’énigme de la situation américaniste de 2010, comme Obama fut l’énigme de la situation américaniste de 2009. Pour Obama, nous avons compris notre douleur. (Mais nous sommes obligés de passer par de telles expérimentations, dans une situation contrôlée par le système.) Pour Tea Party, tout reste ouvert, et même diablement ouvert. L’important, l’essentiel est de se débarrasser des références que nous impose le système (“racisme”, “populisme”, etc.), qui ont jusqu’ici conduit à désamorcer les oppositions populaires les plus prometteuses. Cette phraséologie du système, véhiculée par l’esprit libéral comme archétype de l’esprit soumis à la matière (voir la thèse de La grâce de l’Histoire), s’appuie sur la technique archi-connue, dite TINA (“There Is No Alternative”), en créant sans cesse, grâce aux troupes de nos intellectuels assermentés et soumis au système, des processus de démonisation qui conduisent à ne laisser d'autre alternative morale que le discours du système; qui conduisent à discréditer par le terrorisme de la communication toute tentative d’organisation populaire pour suppléer à la démission du pouvoir politique. Il serait temps d’avoir une vue un peu plus raisonnée des accusations de “racisme” contre les mouvements populaires. Ces accusations viennent d'un système qui alimente et soutient des politiques telles que celles de la liquidation des Palestiniens, du traitement qu’on sait des Irakiens et des Afghans, et de tant d’autres pourvu qu’il y ait des “faces basanées” à dénoncer et à massacrer, fondés sur des critères suprématistes immédiatement transcrits, non en opinions supposées pour alimenter des procès d’intention, mais en liquidations des personnes et en déstructurations par destruction de choc des cultures, des habitants et des environnements.


Mis en ligne le 30 décembre 2009 à 08H08