L’Empire à vau-l’eau

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L’Empire à vau-l’eau

• Toutes les plus grandes puissances sont réunies ou bien déjà en train de guerroyer. • Les commentateurs militaires n’ont rien compris et nos idéologues continuent à nous parler d’une civilisation qu’il faut sauvegarder. • Laquelle, et pour quoi en faire ? • Un Américain vient vous dire que la politique israélienne est en l’adaptation d’un vaste projet d’auto-liquidation pour hâter la venue du Messie. • On dit depuis 1984 que l’Iran aura la bombe nucléaire dans deux ans. • Et devant nos regards effarés, voici les envolées d’un empire en décomposition.

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Il est bien entendu que la grande nouvelle de ces derniers jours, moderniste immédiatement après l’attaque de l’Iran par Israël, – suivie par la scandaleuse contre-attaque de l’Iran qui semble avoir choisi de se défendre, – suivie de la suite, comme de coutume, décrite avec horreur comme une avalanche de surprises indignées : l’Iran persiste à contre-attaquer, à se défendre, etc., niant d’une façon stupéfiante n’être pas l’agresseur dans cette attaque-surprise lancée contre lui par Israël. On aura donc tout vu, y compris le courage insensé des pays de la civilisation occidentale dans l’expansion du domaine du simulacre d’étaler l’hypocrisie comme Goebbels (ou Goering, qui sortait son revolver ?) recommandait d’étaler la culture sur une tartine de pain lorsque l’on n’en a pas.

Laissons cela et ses surprises sans surprises, d’autant que les premiers épisodes furent aussitôt suivies d’un appel désespéré de Netanyahou aux amis américanistes. “Au secours, maman, bobo”, dit-il, à l’image du titre de Larry Johnson qui nous confronte à cette phase pathétique : 

« Les sionistes pleurent, “Au secours, oncle Sam !”

» L'euphorie initiale d'Israël suite à ses frappes de vendredi matin sur des cibles iraniennes s'estompe, tandis que les Israéliens goûtent un zeste de leur propre médecine. Le Dôme de Fer, tant vanté par Israël, est un fiasco total. »

Yossi Melman, ancien officier du Mossad (et ancien collègue de Johnson lorsque lui-même se trouvait à la CIA) est devenu correspondant de guerre et éditorialiste du quotidien ‘Haaretz’. Johnson reprend un de ses plus récents commentaire sur tweeterX

« L'euphorie fut de courte durée. Vendredi matin, je me suis demandé s'il était vraiment nécessaire de déclencher une guerre, surtout contre les Iraniens. Les chiites sont historiquement prêts à souffrir. J'ai évoqué leur volonté de sacrifice, comme ils l'ont démontré lors des huit années d'usure en Irak. Je recommande de limiter les pertes et de nous tourner vers Trump pour mettre fin à cette folie par un accord raisonnable, faute de quoi nous finirons par quémander un cessez-le-feu et l'Iran refusera. »

Ainsi la guerre s’est-elle installée, à peu près dans les mêmes conditions psychologiques que celle de l’Ukraine ; une certitude époustouflante de la supériorité a-po-ca-ly-pti-que des armées israéliennes (IDF), affirmée par un déluge de propagande contre laquelle aucun “Dôme de fer” ne peut rien, suivie par la riposte iranienne, à peu près de même calibre, puis le dégonflement bruyant de l’euphorie, puis le désordre indescriptible des interventions de Trump croisant et contredisant celles de ses divers ministres et directeurs  d’agences...

Il nous paraît peu utile de chercher à en dire plus sur une situation opérationnelle aussi confuse alors que les ouragans de propagande des deux côtés, et l’extrême confusion politique aux USA, constituent des barrières infranchissables pour cette bonne compréhension, sans compter les incroyables éléments que l’on va collationner plus bas à propos des intentions israéliennes. Ainsi donc, voici le conflit israélo-iranien, – que l’on attend depuis 2005, rien que cela !, – c’est-à-dire, dans l’esprit de la chose, au moins depuis le trop-peu fameux discours de GW Bush basé sur une désignation  de l’esprit désigné par l’auteur comme l’ennemi fondamental dans le livre de Dostoïevski, ‘Les Possédés’. Ce discours qui, pour une fois disait quelque chose,  officialisant la dimension mystique et religieuse de la période. Ainsi GW Bush disait-il, citant implicitement et avec toute son explicite idiotie, son auteur préféré qu’il avait dû prendre pour un Texan :

« Parce que nous avons agi dans la grande tradition libératrice de cette nation, des dizaines de millions de personnes ont obtenu leur liberté. Et comme l'espoir suscite l'espoir, des millions d'autres le trouveront. Par nos efforts, nous avons également allumé un feu, un feu dans l'esprit des hommes. Il réchauffe ceux qui ressentent sa puissance ; il brûle ceux qui luttent contre son progrès. Et un jour, ce feu indompté de la liberté atteindra les recoins les plus sombres de notre monde. »

En attendant le 2 septembre 2027

C’est évidemment dans cet état d’esprit qu’il faut aborder un très intéressant entretien sur le réseau Glenn Diesen Français, entre l’universitaire norvégien Glenn Diesen et Alex Krainer, analyste de marché, auteur et ancien gestionnaire de fonds spéculatifs. Krainer évoque essentiellement pour notre compte l’irrationalité de l’attaque surprise contre l’Iran, qui a placé Israël et les États-Unis dans le dilemme prévisible, selon lui, avec ses deux éléments d’une défaite humiliante ou d’une escalade apocalyptique, – et ainsi, s’adressant à Trump :

« Vous avez choisi un combat impossible à gagner par désespoir, via l'avant-poste israélien. L'Iran domine l'escalade. Vous n'avez pas les cartes en main. Vous auriez dû conclure un accord quand vous aviez de meilleures cartes en main. »

Krainer s’attache à analyser la position des USA par rapport à l’affrontement, et s’étonnant particulièrement du choix du moment et des conditions militaires. Cela s’est fait à trois jours des négociations pouvant mener à une résolution pacifique de la terrible menace du nucléaire iranien (depuis1984, l’Iran est chaque année à deux ans de produire une arme nucléaire), et dans des conditions où il était apparu évident depuis au moins deux ans justement (plus si l’on compte les réactions iraniennes après l’assassinat du général Soleimani) que l’Iran dispose de capacités militaires avancées beaucoup plus impressionnantes que ce qui a jusqu’ici été défini et décrit dans les diverses feuilles de route distribuées régulièrement par les autorités démocratiques occidentales. Frétillants, la presseSystème et la communauté des “experts”-LCI occidentaux n’y ont vu que deux feu

Pour Krainer, les USA de Trump, qui s’aventurent dans cet imbroglio catastrophique, se trouvent dans une situation indéfinissable et improbable. Krainer espère, la situation lui paraissant si absurde et défavorable pour les USA, que la réalité qui commence à apparaître d’un soutien des USA à Israël (rendue de plus en plus évidente par la concentration de certains types d’armement, notamment un escadron complet de KC-135 et KC-10 ravitailleurs en vol, type d’avions utilisé pour permettre des offensives aériennes de projection), représente effectivement une poussée ultime pour fixer Israël dans ce piège de la défaite probable face à l’Iran. Cette hypothèse est donc défendue par Krainer, mais plutôt en désespoir de cause, tant il lui sembler absurde d’envisager un engagement américaniste assumé au regard des intentions politiques d’Israël, et considérant l’état actuel des forces armées US autant que la très probable réaction des Russes et des Chinois en cas d’intervention US. Le conflit nucléaire à très grande échelle stratégique flirtera alors avec l’inévitabilité.

Le  deuxième terme de l’alternative qu’envisage Krainer, qui est une intervention israélienne non provoquée par les USA, mais bien une forme de guerre absolument surréelle, – une forme de guerre de géopolitique messianique, ou de métaphysique religieuse. On n’oubliera pas de préciser que, déjà en 2001-2002, cette forme d’un désordre non pas producteur d’un nouvel ordre, mais destructeur d’une situation où chacun attend son Messie surgissant du désdordre était dans les esprits des neocon, juifs à plus de 80%.

Alex Krainer : « C’est difficile à expliquer mais il y a environ un an j'en ai discuté avec un ami à moi qui est un musulman pratiquant et qui étudie l'eschatologie juive musulmane et chrétienne. Il m'a expliqué quelque chose qui m'a vraiment surpris vous savez ça semblait presque surréaliste mais avec le temps il semble que ce soit tout à fait réel pour une partie de la société israélienne en particulier le groupe religieux : certaines de leurs actions sont motivées par l'exigence messianique de la rédemption d'Israël. Ils sont donc d’accord pour expliquer que les Juifs, déjà pendant la captivité babylonienne, avaient reçu la promesse qu'il y aurait un Messie qui viendrait pour les Juifs... mais avant que le Messie ne puisse venir en Israël, la collectivité juive devait être rachetée de ses péchés et du mal qui l’habitait, et donc ils devaient être punis d'accord [...]

» Vous savez je suis sûr qu'il y a des fanatiques qui pensent réellement cela. Il s'avère en fait qu'il y a un rabbin très influent il s'appelle quelque chose comme Schnerson, qui est très proche de Netanyahu, qui apparemment l’informe de temps en temps. »

Glenn Diesen : « Alors, où en sommes-nous donc ? Progressons-nous vers cette rédemption d'Israël ? » 

Alex Krainer : « Schnerson a en fait déclaré que Benjamin Netanyahou serait le dernier dirigeant d'Israël avant le retour du Messie. Il est très influent dans les cercles religieux en Israël et il a dit que Netanyahou serait le dernier dirigeant avant le retour du Messie et que la date à laquelle la rédemption devait être accomplie est une date précise quelque chose comme le 2 septembre 2027 je ne suis pas sûr que ce soit le 2 septembre mais c'est une date précise en 2027

» ...d'ici là la rédemption d'Israël doit être accomplie ce qui signifie qu'ils doivent recevoir une punition très sévère de la part du reste du monde et il semble qu'il existe un segment très influent de Juifs religieux en Israël qui croient réellement à cela et qui font pression et poussent le gouvernement ainsi que l'armée israélienne pour s'assurer que ces choses se produisent

» Donc pour une partie d'entre eux c'est réel, cela signifie que toute la réflexion rationnelle que vous ou moi ou les Russes ou l'administration Trump ou les militaires peuvent avoir en est complètement absente... » 

Le tombeau de l’empire

Bien, il est vrai que nous rappelons régulièrement des prévisions faites il y a 15 ans d’abord, à partir de prévisions d’un néo-sécessionniste du Vermont auprès de Chris Hedges. On s’en rappelle, alors nous le rappelons à partir d’un texte plus récent :

« Le premier fait est une déclaration d’un politicien turc de l’opposition, le chef du Parti Démocratique Namik Kemal Zeybek, sur la possibilité d’une guerre contre l’Iran à laquelle participeraient les USA. Zeybek rappelle le comportement de l’Iran dans la guerre contre l’Irak, déclenchée par l’Irak en 1980 et qui dura jusqu’en 1988. (Dans PressTV.com, le 3 mars 2012.)

«“La République islamique d'Iran, même aux premiers jours de la Révolution islamique, alors qu'elle ne disposait pas d'une armée organisée, a réussi à défendre son territoire contre une armée irakienne parfaitement équipée et bien entraînée, soutenue par les États-Unis et l'Occident”, a déclaré Zeybek. “Toute attaque contre l'Iran entraînera la fin des États-Unis. Elle entraînera leur désintégration, car leurs États ne sont pas aussi unis qu'il n'y paraît. Certains États du sud sont irrités par ces politiques [guerrières] et souhaitent se séparer des États-Unis, et un jour, cela se produira”, a-t-il conclu.

» Il faut remarquer l’originalité (par rapport à la réflexion-Système de la Pensée Unique) de l’avis de Zeybeck : à l’alternative victoire ou défaite des USA dans une guerre contre l’Iran, il offre un troisième terme : la fin des USA par incapacité de la structure US de supporter la tension d’une guerre, et l’éclatement par conséquent. Le jugement est substantivé par le constat de la vulnérabilité structurelle des USA, ce qui rejoint évidemment notre analyse de longue date sur la faiblesse fondamentale des USA. Il faut observer que, stricto sensu, l’analyse du Turc rejoint celle du “néo-sécessionniste” du Vermont Thomas Naylor (voir les 26 avril 2010 et 27 avril 2010) :

«“Il existe trois ou quatre scénarios possibles pour faire tomber l'empire”, a déclaré Naylor. “L'un d'eux est une guerre avec l'Iran”. »

Alors, aujourd’hui, quinze ans plus tard ? Tant de choses sont intervenues, tant de crise se sont aggravées sans jamais donner l’impression de pouvoir se résoudre un jour, tant et tant de choses... Quinze ans plus tard et les États-Unis face à l’Iran ? Est-ce bien sérieux ? Peut-on parler de cette issue sans mentionner le rôle écrasant de la Russie et la rôle tentaculaire de la Chine ? 

« Netanyahou a aujourd'hui plus de contrôle sur le Congrès américain que Donald Trump alors que faire ? Je pense qu'il faut soit recourir à une forme de tromperie très habile pour disons s'opposer à cela en réalité et éviter de se retrouver empêtré dans cette guerre. N'oublions pas que la Perse a traditionnellement été le cimetière des empires et tous ceux qui ont essayé d'abattre cette vieille civilisation ont fini par perdre leur empire.

» Voilà donc le revers de la médaille je ne vois pas vraiment davantage. S'il ne se livre pas à une sorte de ruse sophistiquée Trump devra suivre le mouvement et alors s'il décide de défendre Israël il assumera pleinement cette guerre ainsi que les conséquences de cette guerre qui seront dévastatrices pour les Etats-Unis.

» Finalement, Trump pourrai être amené à lancer des missiles nucléaires sur l'Iran ce qui aurait probablement des conséquences similaires à Hiroshima et Nagasaki probablement multiplié par 100. Cela signifie que l’Iran serait dévasté mais que ce ne serait pas la fin.

» Ce serait la fin de l'empire occidental et des États-Unis dans ce cas.et je pense qu'en fin de compte le prix politique que l'administration Trump devra payer sera essentiellement la destruction de sa présidence. Trump n'aura pas d'autre choix que de devenir en quelque sorte le pantin de ces intérêts financiers occidentaux qui complotent pour défendre leur hégémonie sur le Moyen-Orient. »

Après diverses variations sur les thèmes évoqués, qui montrent combien Krainer est aussi sensible que les autres sur l’extraordinaire complexité de la situation, sur les difficultés quasiment insurmontables d’y distinguer une cohérence, une ligne directrice, – quoiqu’un peu plus optimiste sur l’économie lorsqu’il retrouve ses réflexes d’investisseur, – il termine par ce constat qui est notre propre conviction, qui est exprimée alors que les incidents se poursuivent à Los Angeles, – et ailleurs dans les USA, certes, – sans interruption depuis le début du mois...

 «  On se rend compte que l’opposition à l’Empire est bien plus large que Trump seul. Même si Trump disparaissait, cette opposition ne disparaîtrait pas. Nous le verrons bientôt mais je pense que l’un des champs de bataille les plus importants [de cette guerre de fin de civilisation], ce sont les Etats-Unis eux-mêmes... »

 

Mis en ligne le 16 juin 2025 à 18H15