Le D-Day de l’éternel présent

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Le D-Day de l’éternel présent

7 juin 2018... • On a posé une question indiscrète à la porte-parole du département d’État sur les relations entre les USA et l’Allemagne à cause de la “guerre commerciale”. • La porte-parole se récrie : “Mais non, nous sommes les meilleures amis du monde !”. • A preuve ? Les cérémonies de commémorations du D-Day du 6 juin 1944 où USA et l’Allemagne se tiennent par la main comme deux amoureux si touchants et si Sieg Heil. • Comme on sait, le jour commémore en effet leur grande amitié. • Par ailleurs, tout le monde se fout bien que telles conneries soient dites, alors j’en profite...

D’une façon générale, le département d’État n’a pas vraiment de chances avec ses porte-paroles, depuis quelques années, au moins depuis Victoria Nuland qui quitta cette fonction en février 2013 pour aller préparer, – fort bien d’ailleurs, je m’en rappelle, avec une élégance de bulldozer, – le “coup de Kiev” de février 2014.

En général, – nous n’y pouvons rien et moi je n’y suis, ma parole, pour encore moins que rien, – ce sont essentiellement des dames (sauf le passage-éclair d’un vice-amiral dont on s’est demandé ce qu’il venait faire là, – peut-être parce qu’on manquait de porte-avions). D’ailleurs et sans nécessité de rechercher un rapport de cause à effet, je dois préciser qu’elles trouvent très vite un reclassement à un poste supérieur après une prestation météorique, la fonction produisant un déchet considérable de déclarations plutôt intempestives. Actuellement, c’est Heather Nauert qui officie et c’est, selon les journalistes accrédités, y compris de la presseSystème (il n’y a que ça), de loin la plus arrogante. Mon avis est que c’est ce qu’il faut, une arrogance plus dure que du béton sur lequel il se casse leurs dentiers et leurs implants dentaires.

Voilà tout de même qu’avant-hier Nauert a un mot malheureux du plus haut intérêt, qui en dit diablement long sur l’état de l’esprit, la perception des psychologies, la représentation du monde que se font toutes ces créatures (de tous les genres) évoluant dans le milieu du système de la communication lorsqu’il fonctionne pour le Système. Ce qu’a dit Nauert, certainement n’importe qui de l’équipe de la com’ du département d’État et de la Maison-Blanche aurait pu le dire... Mais enfin, c’est elle qui s’y est collée, à propos des relations d’amitié entre les les États-Unis et l’Allemagne dont tel journaliste semblait dire qu’elles étaient menacées par ce que de vils esprits osent désigner comme une “guerre commerciale” des USA entre l’UE/l’Allemagne :

« “Nous entretenons une relation d’amitié très forte avec le gouvernement allemand”, a déclaré M. Nauert lors de son point de presse mardi. “En nous référant aux livres d'histoire, nous voyons que nous célébrons aujourd'hui le 71ème anniversaire du discours du plan Marshall, et que demain marque l'anniversaire de l'invasion du jour J [6 juin 1944 en Normandie]. Nous avons évidemment une très longue histoire commune avec le gouvernement de l'Allemagne, et nous avons une relation forte avec le gouvernement de l'Allemagne.” »

Cette intervention, soulignée ici par RT, a été l’objet de sarcasmes, aussi bien de CNN et MSNBC que d’intervenants twitteuses dont deux exemples sont citées ici, – parce qu’il ne sera pas dit que je ne soigne pas mes sources ; j’en cite deux qui se répondent, et je laisse l’english parce que c’est la langue universelle de la vérité :

• Kyle Feldesh, de CNN : « State Department spokeswoman Heather Nauert today cited ‘the D-Day invasion’ when talking about the long history between the American and German governments. » (CNN.com.)

• Michael Hiltzik, de MSNBC : « Yes, because D-day was all about liberating Germany from the iron grip of the French, right, Ms. Nauert ? »

L’anecdote a certes de quoi faire sourire mais je ne pense pas, moi, qu’il faille s’arrêter à sa seule superficialité d’anecdote, d’autant que des fautes de cette sorte, qui sont de véritables sinon superbes et parfaitement ciselées inversions de la mémoire historique, sont de plus en plus souvent commises ; au point que je me demande pourquoi je nomme cela ‘des fautes”... On peut dire qu’elles deviennent même le fond même de la référence historique depuis 2014 et la crise ukrainienne jusqu’à ne plus être des fautes (qu’est-ce que je disais ?) mais de nouvelles “vérités” historiques induites par les pressions du désormais-fameux déterminisme-narrativiste.

C’est le cas lorsque des affirmations pseudo-historiques, – au départ des côtés ukrainien, polonais et des pays baltes, les vrais redresseurs de tort du domaine, – ont nié (négationnisme, les amis) le rôle de l’armée soviétique dans la guerre contre l’Allemagne, jusqu’à des points précis comme la libération du camp d’Auschwitzpar l’Armée Rouge ; ou bien ils ont nié-nié (négationnisme, les gars) le rôle pro-nazi d’extermination joué par des groupes d’extrême-droite très importants de l’Ukraine durant la guerre, etc. 

Ainsi, dans ce contexte général où l’on rend grâce aux vérités historiques en rétablissant la fermeté et la droiture des choses, le débarquement de Normandie tend à rencontrer de plus en plus une évolution d’interprétations de communication qui transforme d’une façon également déterministe la vérité historique de l’événement en le parant d’une vertu immédiate et contemporaine que ce crétin (je parle de l’événement) n’avait manifestement pas au départ :

• La première étape est l’américanisation complète de l’événement, notamment grâce à des moyens de communication et d’entertainment classique. (Voir Il faut sauver le soldat Ryan, excellent film de 1996 de propagande de Spielberg, dont Goebbels aurait apprécié la facture jusqu’à l’extase. La différence avec Le jour le plus long, film pourtant US, mais de 1964, lui, est très remarquable : alors que pour Spielberg, il y a que des soldats US face aux Allemands sans doute  plus quelques Zoulous égarés du cru et de-çi de-là [de la tribu des Français], pour Zannuck il y a aussi des Anglais, des Canadiens, les soldats français du commando Kieffer, des résistants français, des soldats allemands, etc.). L’impression ainsi créée est que le débarquement de Normandie est le fait des seuls USA alors que les USA ont engagé moins de la moitié des effectifs de l’invasion. Ainsi la vérité historique est-elle rétablie après négation (négationnisme, les copains) des comptes-rendus faussaires  de cette époque révolue.

• Du coup, c’est la commémoration qui prend le pas sur l’événement soi-disant historique puisque c’est elle qui restitue cette impression de l’omniprésence US contre la “réalité” (késako ?) du 6 juin 1944 où les troupes US étaient minoritaires. C’est certainement la raison principale pour laquelle de Gaulle, qui n’avait pas été averti à l’avance de la date et du jour du débarquement, ne jugea pas utile ni digne d’assister en tant que président de la République, ni en tant que citoyen d’ailleurs, aux cérémonies de commémoration du vingtième anniversaire du 6 juin 1964. Les “alliés” encaissèrent le coup de pied au cul sans trop grincher, pour ne pas trop énerver le Général qui avait la dent dure.

• La mainmise de la communication qui privilégie le seul instant présent sur la vérité historique implique, vue l’écrasante prépondérance de communication des USA et de la complicité de la plupart des pays européens, une présence victorieuse massive et sinon exclusive des USA dans l’événement et par conséquent la disparition progressive de l’identification de l’ennemi qui ne sert plus que de faire-valoir. L’ennemi devient celui qui a permis qu’on puisse parler c’une complète victoire US, donc de la légitimité de l’occupation de l’Europe par les USA, et de sa mise sous tutelle culturelle, civilisatrice et prépondérante. Par ce biais, l’Allemagne actuelle, qui est sous complète domination stratégique US après avoir donné tous les gages (de l’organisation Gehlen passé à la CIA à la complaisance aveugle pour l’espionnage interne de la NSA), est devenue un ornement nécessaire, un allié gangrené élégamment de complète communication et d’écoutes permanentes. Elle assistera donc si vous voulez comme un gross ornement nécessaire, une potiche de qualité, aux cérémonies du 6 juin comme si elle avait participé à la victoire. En ce sens, Dame Nauert n’a pas tort.

D’ailleurs, elle (Nauert) s’en fout, comme à peu près tout le monde. Ce qui compte, c’est la communication, c’est-à-dire le “présent éternel“, le Big Nowqui n’a pas de passé et strictement aucun avenir puisque ce présent éternel se construit son propre futur à soi, et futur dont la seule vertu doit être de s’adapter à la situation politique présente, laquelle commande d’utiliser l’Allemagne selon les intérêts US et donc de l’exonérer de toutes ses fautes passées (sauf, bien entendu, sa rente perpétuelle accordée à Israël par les réseaux dits du Holocaust business).

La sottise de Nauert n’est pas en cause, ni son incompétence ; simplement, intelligence et compétence de type-zombie, la crétinerie complète de l’esprit posée comme vertu d’interface de première importance pour absorber les données-consignes de la direction, ne s’adressent pas aux matières historiques, à la culture, à la vérité et à toutes ces sortes de chose du passé, sans réel intérêt. Il s’agit de satisfaire la narrative du jour, pour satisfaire la direction de la com’ et le cabinet du président, ou du secrétaire d’État, ou l’ambassade d’Allemagne, ou la représentation allemande à l’OTAN, etc., c’est-à-dire qu’il s’agit de couronner avec tous les honneurs la Connerie à ma fois triomphante, absolue et tout à fait contente d’elle.

Qu’est-ce donc, je vous le demande moi, qu’on puisse avoir à reprocher à la déclaration de la porte-parole du département d’État ? Circulez, y’a plus rien à voir puisque tout est vu, et toute honte bue jusqu’à la lie...

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