Le vol (interrompu) de l’Apache

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Le vol (interrompu) de l’Apache


25 mars 2003 — L’aventure de l’Apache a fait grand bruit. Les Irakiens ont montré à la TV un de ces hélicoptères d’attaque AH-64 de l’U.S. Army abattu (ou posé en catastrophe suite à un accident technique ? L’hypothèse n’est pas absurde). On voit des Irakiens, mi-paysans, mi-miliciens, armés du sempiternel AK-47, interviewés par un présentateur-TV jubilant. L’effet de la séquence a été très grand en Irak, où elle a relevé le moral des habitants et des défenseurs. La TV irakienne parle de deux AH-64 abattus.

Bien, il s’agit pour l’instant d’un Apache abattu (sur celui-là, tout le monde est d’accord). C’est regrettable pour l’U.S. Army mais c’est la guerre et ce n’est pas la mer à boire. Mais non, il semble que si, que c’est la mer à boire. C’est là un événement bien plus considérable que la perte de cet hélicoptère. Le New York Times publie un article sur l’affaire, apportant des précisions significatives sur l’attitude de l’U.S. Army., en même temps que sur l’attitude des équipages d’hélicoptères et de leurs chefs. Le titre de l’article est significatif (« Hail of Gunfire and Rockets Forces Apaches to Pull Back ») : l'escadrille de trente-deux hélicoptères de combat qui attaquait une unité d’une trentaine de chars de la Garde Républicaine déployée dans un village à plus de 100 kilomètres de Bagdad, a rebroussé chemin sous la vigueur des défenses, en même temps, semble-t-il, que le fameux hélicoptère était abattu.

“Vigueur des défenses” ? Ce sont les premiers mots qui nous viennent, naturellement, sous la plume. Est-ce bien le cas ? Le spectacle que nous restitue l’article cité ici nous suggère une opinion bien mélangée. Certes, il parle d’une “grêle de balles et de grenades” (« a hail of small arms fire and rocket-propelled grenades »), l’image est belle mais il s’agit tout de même d’un petit calibre de 7,62mm (le calibre du Kalachnikov), contre lequel l’Apache, qui est lourd et fortement blindé, est protégé, et le RPG7 (lance-grenades) ne nous paraît pas une arme anti-hélicoptère idéale. Enfin, l’état de l’hélicoptère abattu, qui ne porte pas un seul impact de balle comme on l’a vu à la TV, nous fait douter de l’intensité de la grêle. (Cet hélicoptère a pu recevoir une balle dans son moteur, provoquant une panne au bout d’un certain temps ; il s’est alors posé assez brusquement, cassant son train d’atterrissage fixe puisqu’il apparaît posé sur le ventre. Si une telle hypothèse se confirme, on parlerait plus d’un accident que d’une destruction par le feu ennemi)

La description de la réaction du détachement d’AH-64 devant le feu ennemi est particulièrement révélatrice :


« A CNN correspondent accompanying the United States Army V Corps's 11th Attack Helicopter Regiment, said the unit had been on a nighttime combat mission targeting units of the elite Republican Guard.

» The correspondent cited one of the pilots as saying they had run into a ''hornet's nest, a barrage of antiaircraft fire,'' near the city of Kerbala, 70 miles southwest of Baghdad, the closest fighting to the Iraqi capital since the war began last Thursday.

(..)

» Saddam Hussein ''is fighting an asymmetrical warfare,'' said Brig. Gen. Benjamin Freakly, assistant commander of the 101st Division. ''This is not tank-on-tank fighting.''

» The attack took place near the village of Abu Mustafe, north of Al Hillah, and capped a punishing 24 hours for the allied offensive.

» General Freakly said that in an attack like the one on the helicopters, ''you have 10 guys lying on top of a building firing R.P.G.'s and small arms.'' He said, ''You can go in and bomb that building and reduce it to rubble,'' but at the potential cost of many civilian lives.

» The Army now may consider new tactics, like additional close aerial bombardment, to support the Apaches as they hunt for armored divisions. »


Il y a bien des choses surprenantes dans ce rapport de l’opération ... Il faut savoir que le AH-64 a été conçu dans les années 1970 (déployé à partir de 1984) pour la lutte anti-chars dans un environnement extrêmement dangereux de la plus forte défense anti-aérienne (AA) de terrain connue (celle du Pacte de Varsovie, avec ses missiles sol-air mobiles et des canons automatiques, dont les fameux affûts quadruples mobiles avec radars intégrés AZU-23 de quatre canons de 23mm). Le AH-64 a des engins anti-chars (HellFire), des roquettes non guidées et un canon de 30mm très puissant. Le canon de 30mm, par exemple, peut évidemment servir d’armes de suppression des défenses AA lorsque celles-ci sont identifiées et localisées.

Selon ces divers éléments, on peut faire plusieurs remarques :

• Les AH-64 envoyés en missions anti-chars n’ont, semble-t-il, pas pris l’initiative (ou n’ont pas reçu l’autorisation) d’attaquer de façon convaincante des immeubles d’où partaient des coups de feu de petit calibre (quelques dizaines d’obus sur un objectif aussi visible qu’un immeuble auraient eu de fortes chances de faire taire plusieurs des tireurs).

• Non seulement ils se retirent sans accomplir leur mission et en perdant un des hélicoptères, mais cette mésaventure conduit l’état-major à envisager des attaques de préparation et de soutien pour supprimer la défense AA (sans doute des avions d’appui rapproché A-10A, ou des F-16). On avance à grandes enjambées vers l’absurde : l’avantage des hélicoptères de combat est l’intervention rapide, au ras du sol, donc par totale surprise, et l’on envisage un raid préliminaire qui a toutes les chances de mettre le détachement blindé visé en alerte pour accueillir les hélicoptères qui suivent. (On peut aussi imaginer que les avions d’attaque, attaquant les soi-disant défenses, — des soldats ou des irréguliers se déplaçant avec des Kalachnikov ! — pourraient se plaindre des tirs de blindés équipés de mitrailleuses AA et abandonner leur mission, inaugurant la tactique du cercle vicieux.) C’est un peu le même réflexe qui, dans d’autres occasions (guerre du Golfe-I) a déjà fait accompagner, de peur de pertes par la défense AA, des avions furtifs F-117A (non repérables par radar) par des avions de protection électronique qui, eux, sont complètement repérables par radar.

• Cet épisode nous fait constater que les forces américaines apparaissent comme lourdes, sans imagination, complètement incapables d’adaptation aux circonstances nécessairement imprévisibles d’une guerre, extraordinairement conditionnées à une seule mission, avec une crainte panique des pertes, avec l’interdiction de déroger à la planification initiale, etc, — tout cela jusqu’à l’absurde. C’est un schéma qui rencontre exactement celui qui marquait les forces soviétiques dans les années de grande puissance de l’URSS et du Pacte de Varsovie. Il y a dans les remarques des chefs militaires US comme une plainte implicite que les adversaires ne respectent pas les règles de fonctionnement de l’U.S. Army, avec le mot magique qui semble terroriser les Américains de “guerre asymétrique”, c’est-à-dire la balle de 7,62mm contre l’hélicoptère AH-64 (« Saddam Hussein ''is fighting an asymmetrical warfare,'' said Brig. Gen. Benjamin Freakly, assistant commander of the 101st Division. ''This is not tank-on-tank fighting'' »).

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