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380723 juin 2024 (18H30) – J’avoue souffrir, comme nombre de mes compagnons européens, même de culture géopolitique sinon spirituelle, voire poétique, y compris d’idéologies différentes sinon hostiles, d’une certaine méconnaissance et/ou d’un désintérêt naturels pour les grandes régions géopolitiques de l’Asie dans sa partie nordiste. Comme la géopolitique mondiale n’est en rien ma spécialisation ni mon travail, contrairement à ce que certains pourraient croire, cette méconnaissance ou cette indifférence ne sont nullement combattues par la recherche d’une rigueur de l’apprentissage et d’un travail de “suivi”.
Tenez, par exemple la Corée du Nord, dont on parle beaucoup en ce moment et dont je vais parler justement... Jusqu’ici, j’avais peu de considération et beaucoup d’indifférence pour ce pays qui paraissait au regard de passage un peu étrange, sinon bouffon ou bien d’un autre temps, d’un autre univers. Je souffrais du même travers que nous avons pour la facilité du stéréotype américanisé et conforme aux consignes de la modernité, de cette faiblesse de connaissance qui n’est pas toujours compensée par la sagesse de ce savoir qui sait également vous avertir des limites de vos connaissances. Bref, il s’agissait d’ignorance et nullement d’inconnaissance et je n’y connaissais rien. Eh bien, ce qui s’est passé ces derniers jours (la visite de Poutine) m’a servi de leçon.
J’ai trouvé le texte d’Andrew Korybko d’il y a quelques jours, (« Russia’s Mutual Defense Pact With North Korea Is A Geopolitical Game-Changer »), – concis et précis à la fois pour me faire prendre conscience de l’importance de l’événement jusqu’à en faire un ‘game-changer’. Il explique comment on parvient aisément à cette conclusion, qui souligne l’habileté de la manœuvre de Poutine, en établissant des liens solides avec un pays qui trouve, de son côté et avec cette démarche russe, une échappatoire bienvenue à une sorte d’“isolement amical” où il se trouvait du fait du voisinage écrasant mais inévitable de la Chine.
Ainsi Korybko peut-il écrire en conclusion de son texte (qui n’oublie qu’une chose dans les avantages pour la Russie, savoir que la Russie peut trouver en Corée du Nord un réservoir d’émigration de personnels très qualifiés pour lutter contre son déficit démographique alors que son économie explose littéralement et souffre en conséquence de la faiblesse numérique de sa force de travail) :
« En résumé, le pacte de défense mutuelle entre la Russie et la Corée du Nord change la donne sur le plan géopolitique, car il risque de piéger la Chine et les États-Unis dans une spirale d’escalade, ce qui profitera au Kremlin en créant les conditions d’un allègement de la pression américaine sur l’Europe. »
Il est vrai que Poutine force à la constitution d’un triangle Moscou-Pékin-Pyongyang auquel la prudente Chine ne tenait sans doute pas vraiment, face au triangle Séoul-Tokyo-Washington que les USA sont en train de mettre en musique avec leurs habituels battements de grosse caisse. Mais là où Poutine montre qu’il est, lui, un maître de la musique, un artiste de la symphonie, c’est qu’il va aussitôt soigner la petite égratignure faite à sa grande sœur, l’hyperpuissance chinoise, en allant mettre les choses en bonne place du côté du Sud de la Chine.
En effet, les Chinois pouvaient connaître, au fond de leur éternelle sagesse qui leur recommande une prudence illimitée, une certaine anxiété après le voyage chaleureux du zombie-Biden (ne l’appellerions-nous, entre nous, zomBiden ou Zombiden ?), en septembre 2023 à Hanoï. On sait que les relations entre Pékin et Hanoï n’ont pas été souvent du meilleur aloi, y compris durant la guerre civilisatrice des américanistes, jusqu’à un bref conflit entre les deux pays-frères-ennemis, après la tuerie américaniste...
Et alors, que va faire Poutine au Vietnam, lui qui vient de ce pays (ex-URSS) qui fut au contraire le meilleur soutien de Hanoï durant la tuerie ? Il va mettre tout le monde d’accord, tout en bloquant tout rapprochement suspect des Vietnamiens avec les américanistes. Ainsi parle Andrew Korybko :
« Les spéculations de certains sur le rôle futur du Vietnam dans la campagne régionale américaine visant à contenir la Chine ont été anéanties à la suite de la visite du président Poutine dans ce pays d’Asie du Sud-Est. Le dirigeant russe et son homologue To Lam ont rejeté la politique de création de “blocs militaro-politiques sélectifs” en faisant allusion à AUKUS+/“The Squad”, qui fait référence au réseau émergeant des États-Unis, semblable à celui de l'OTAN, qui comprend l'Australie, le Japon et les Philippines et (officieusement) Taiwan. La Corée du Sud devrait également les rejoindre prochainement.
» Le président To Lam s’est également engagé à résoudre pacifiquement les différends régionaux sans recourir à la force ni à la menace, l’insinuation étant que le Vietnam ne sera pas le premier à raviver les tensions avec la Chine sur la mer de l’Est et la mer de Chine méridionale. De même, lui et le président Poutine ont réaffirmé que “nous ne conclurons aucune union ou traité avec des pays tiers qui porteraient atteinte à l'indépendance, à la souveraineté ou aux liens territoriaux les uns avec les autres”, laissant ainsi entendre que le partenariat “sans limites” de la Russie avec la Chine a néanmoins quelques limites. [...]
» ... L’importance de ces déclarations militaro-stratégiques est qu’elles maintiennent l’influence américaine en Asie du Sud-Est sous contrôle ; elles montrent qu’il n’y a plus aucune raison de spéculer sur le fait que le Vietnam demandera un jour l’aide des USA pour équilibrer la Chine puisque l’on comptera désormais entièrement sur la Russie pour le faire. »
Admirez la symétrie parfaite de la manœuvre : au Nord, la Russie s’affirme en montrant qu’elle est aujourd’hui pour la Corée du Nord un allié bien aussi important que la Chine, ce qui devrait conduire la Chine à s’affirmer un peu plus, elle, dans une solidarité anti-américaniste unissant les trois. Au Sud, elle verrouille la sécurité du Vietnam, ce qui doit rassurer la Chine en lui faisant savoir qu’elle n’a pas à craindre une percée américaniste directement sur sa frontière Sud, – tout en sympathisant activement avec le Vietnam à propos du voisinage chinois.
C’est comme un impeccable joueur d’échecs jouant au billard à plusieurs fois trois bandes sans une seule fausse note dans la symphonie de la multipolarité qu’il dirige. Quel étonnant spectacle : lorsqu’il se tourne vers l’Ouest comme un travailleur de force, mâchoires serrées et mine désolée devant ce carnage de l’intelligence et de la sagesse, tout entier concentré sur cette guerre stupide que les américanistes-souverainistes l’ont forcé à déclencher ; et d’autre part, lorsqu’il va sur son Est, retrouvant une légèreté bondissante qui le fait aller de bonnes ententes en accords rassurants, mettant en musique le fait de la multipolarité.