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5 novembre 2025 (03H30) – Il y a quelques années sortit le film ‘Zero Dark Thirty’ (2012), réalisé par Kathryn Bigelow, et décrivant la traque de ben Laden par la CIA, mais surtout, – l’on retint cet aspect-là, – la pratique de la torture pour obtenir des informations. Le film eut un gros succès et l’objet de critiques acerbes. Parfois sensible aux analyses trotskystes, je suivis celle du site ‘WSWS.org’ qui en faisait un film directement financé par la CIA. J’ai vu ce film et ait apprécié sa mise en scène, son soucis du détail technique, la restitution de l’atmosphère de la CIA dans cette absurde “guerre contre le terrorisme”, bref sa solidité ; cela ne signifie pas que je l’ai aimé, mais “apprécié”, c’est bien cela et en dépit des trotskystes...
Quant à sa “glorification” de la torture, je suis un peu sceptique. Tout film sur cette sorte de sujet passe nécessairement par la case “torture” et met en évidence, aussi bien les échecs (très nombreux) de cette méthode qui pêche “techniquement” (et moralement bien entendu) par son inhumanité et son impasse culturelle catastrophique ; et les succès très rares et qui ne valent que s’ils s’appuient sur un soubassement de renseignements obtenus par les méthodes d’infiltration et de retournement en douceur d’agents et s’ils répondent à une situation d’extrême urgence. C’était un film très ambigu mais paradoxalement très bien fait parce qu’il montrait,– involontairement ou pas qu’importe mais massivement, – la faiblesse américaniste de la pénétration-infiltration par absence d’ouverture culturelle hors du cadre de l’“exceptionnalisme américaniste” qui commençait dès cette époque à excéder les spécialistes du domaine. Tous comptes faits, on voyait aussi bien la massive puissance technique et technologique des moyens US dans l’action, et sa pathétique faiblesse humaine dans l’analyse du renseignement.
...Et l’on retenait la faiblesse, sans nul doute. La CIA avait peut-être bien financé ‘Zero Dark Thirty’, mais comme d’habitude les masses de fric de l’agence montraient sa stupidité aveugle monstrueusement développée après 9/11. (La CIA d’après le 11-septembre allait être complètement différente, de plus en plus axée sur les “sales coups” de l’action secrète aujourd’hui, ainsi de plus en polus stupide.) On ne sait même pas aujourd’hui s’ils ont bien tué eux-mêmes ben Laden et si cela a servi à quelque chose, si ben Laden n’était pas déjà en pleine retraite coupée des opérations, et enfin si ben Laden existait d’ailleurs...
J’ignore toujours si la CIA fut vraiment satisfaite du rôle qu’on lui prête dans l’aventure. Dans tous les cas, cela servit à propulser une réalisatrice indépendante qui, depuis tout dernièrement, – c’est là le cœur de mon sujet, – est revenue sur le devant de la scène avec un autre mastodonte tourné sous les auspices de Netflix... Netflix, CIA, toute la bande habituelle des entreprises de subversion qui obtient des résultats de plus en plus ambigus. C’est le cas de ‘A House of Dynamite’, sorti le mois dernier, que j’ai donc visionné récemment et qui s’avère d’un même niveau technique très élevé et d’une réalisation remarquable dans la tension créée par l’intrigue... Très simple cette intrigue, plus longue que le temps qu’elle décrit puisque ce film de près de deux heures décrit une action d’hyper-urgence d’un peu moins d’une demi-heure :
• Le début commence au repérage d’un tir d’un supposé missile balistique intercontinental certainement équipé de nucléaire, et dont les satellites d’observation de la NSA, de STRATCOM et de la CIA ont raté le départ, belle performance technique peu plaisante pour le Pentagone – si bien qu’on ignore d’où vient l’engin et qui l’a tiré !
• Très vite (on compte en minutes), on détermine que le point d’impact à 100% sera Chicago, soit 10 millions de morts garantis à l’impact. Il semble bien très rapidement que tout le monde, – Russes, Chinois, Nord-Coréens, – soient également largués et n’y comprennent rien, mais après tout ce n’est pas directement et immédiatement leur affaire. Il n’empêche : l’attaque est d’une ampleur à secouer le monde et à faire s’effondrer une époque et une civilisation.
Comme souvent, plusieurs signaux épars au travers de la même demi-heure vécue par les centres d’alerte (on passe de DefCon 4 [premier état de préparation d’alerte] à DefCon 1 [état de guerre] et par le président, ancien basketteur afro-américain plein de fougue devant un panier mais qui se trouve propulsé dans une angoisse de plus en plus confuse devant le choix impossible de riposter on ne sait contre qui mais avec la perspective d’une guerre totale d’anéantissement de tous ; les deux tableaux finissent par se rejoindre pour livrer un constat sans appel : le leadership politico-militaire des États-Unis est sur une pente d’une totale désintégration dans un monde plongé dans une crise sans précédent (la GrandeCrise). Avec lui, c’est d’abord et en premier tout l’empire américain qui vacille pour sombrer dans l’effondrement, analyse Alexandre Regnaud.
Une nouvelle plutôt saugrenue que j’apprends en lisant le texte de Regnand nous fait en effet passer de la représentation cinématographique à la situation dans la réalité. Le Pentagone a réagi officiellement avec une violence absolument inédite à ce dernier film de la réalisatrice oscarisée Kathryn Bigelow, ‘A House of Dynamite’, distribué sur Netflix, pour en démentir le propos, – pour un peu, pour l’accuser d’être un scénario concocté par les Russes de Moscou..
« Le passage qui fait réagir l’état-major de l’armée américaine sert précisément de prétexte au film. Alors qu’un missile nucléaire se dirige vers les États-Unis, les intercepteurs de la défense aérienne et autre “dôme doré” antimissiles sont incapables de l’arrêter. Et cette phrase de l’acteur interprétant le secrétaire à la Défense : “Alors, c’est un […] pile ou face ? C’est ça que nous obtenons avec 50 milliards de dollars ?”
» La réaction a été très officielle, puisque le 16 octobre, l’agence du Pentagone responsable du système d’intercepteurs sol-air en Alaska et en Californie a publié un mémorandum pour démentir le scénario du film. En résumé, ce scénario est faux, notamment parce qu’il “est basé sur des prototypes antérieurs et que les intercepteurs actuels ont affiché un taux de précision de 100 % lors des essais menés depuis plus de dix ans” (sic). Il est vrai qu’Hollywood est plus habitué à faire la propagande de l’impérialisme américain, et à servir directement de clip de recrutement pour les différentes branches de l’armée des États-Unis, qu’à mettre sur la table les faiblesses du système. Mais ce n’est cependant pas la première fois. On se souvient par exemple de l’excellent ‘Green Zone’, dénonçant la supercherie des armes de destruction massive en Irak. Ici, la réaction du Pentagone est démesurée. »
Suit alors dans le texte cité un développement portant sur la réalité, hors caméra, décrivant l’avance dramatique prise par les Russes dans le domaine suprême des armes stratégiques (armes hypersoniques, missiles à propulsion nucléaire ‘Poseidon’ et ‘Bоurevestnik’). En fait, la Russie, comme nous l’avons si souvent affirmé et montré, a pris une avance de presque une décennie dans tous les domaines militaires, faisant de l’armée russe, en capacités technologiques et opérationnelles, la première du monde. C’est ce que montre le film, sans nécessairement le dire, en décrivant cette terrible demi-heure où les USA se trouve pris dans un engrenage dont ils ne sont plus les maîtres.
Ainsi ‘A House of Dynamite’ montre crûment l’état réel de l’empire de l’américanisme et la façon dont cette puissance est devenue toute entière prisonnière d’une machinerie quasiment autonome, alors qu’elle démontre en même temps la faiblesse catastrophique de ses armées, illustrée par les tirs ratés des missiles antimissiles tirés contre l’intrus inconnu. Les États-Unis, l’empire de la modernité, sont ainsi prisonniers de la Machine et de la faiblesse de la Machine qu’ils ont laissée se développer dans les trente dernières années sous le joug d’une bureaucratie totalitaire dont le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld dénonçait l’existence dans son splendide discours visionnaire du 10 septembre 2001.
Plus encore et c’est à mon sens un autre enseignement d’une grande importance dans ce film. ‘A House of Dynamite’ rompt complètement avec la lignée des blockbusters de l’après-Guerre Froide, qui se partageaient en deux catégories : d’une part, les films apocalyptiques à cause d’un danger naturel, aussi bien terrestre (incendies, tremblements de terre, refroidissements brutaux) qu’extraterrestres (astéroïdes), dont l’ingéniosité et le courage américanistes regroupant le monde en une fédération démocratique triomphante, – triomphait ; d’autre part, les films sur des guerres nucléaires déclenchées par n’importe quel vilain, dont l’exceptionnalisme américaniste triomphait d’une seule bouchée, y compris en passant par l’apocalypse nucléaire effectivement réalisée.
Au contraire, après une demi-heure haletant et étouffée par l’angoisse, ‘A House of Dynamite’ se termine par une fin qui n’en est pas une, qui ne dit rien de ce qu’elle promettait : y a-t-il eu riposte US ? Chicago a-t-il été détruit ? A-t-on découvert le responsable du tir ? Le monde est-il détruit ? Pas de réponse car nul ne le sait. La fin s’impose comme une retrouvaille des terreurs originelles qui s’imposèrent dans les années1960, venues des réflexions des brillants physiciens créateurs de la bombe atomique contemplant l’éclair “plus clair que mille soleils” de la première explosion de juillet 1945 : « Maintenant, nous sommes tous des fils de pute ».
« Si dans le ciel se levait tout à coup la Lumière de mille soleils, elle serait comparable à la splendeur de ce Dieu magnanime... » (verset du Bhagavad-Gita, cité par Oppenheimer)
La fin s’impose, après l’ivresse folle du simulacre des trente dernières années, comme une fin effective des Temps, de nos Temps, plongés dans le trou noir du Kali Yuga de la fin du cycle. En un sens, ce film sur cette catastrophe retrouve donc la ligne scénarique des films de la période du début des années 1960 (‘Docteur Folamour’, ‘Fail Safe, – Point de non-retour’), mais privée de la perspective d’un possible retour à la sagesse si une entente s’établit entre les deux ‘Grands’. Aujourd’hui, les catastrophes possibles le sont réellement et constituent un simple commentaire, glacial et angoissé, d’un déclin catastrophique affectant l’ancienne hyperpuissance et sa civilisation invertie de la modernité. Il apparaît que ce film semble retrouver une conscience claire de cette menace apocalyptique de la guerre nucléaire que l’on semblait avoir oubliée depuis la chute de l’URSS, et que les neocon ont toujours ignorée.
Effectivement, il existe une veine de films hollywoodiens, d’ailleurs née des encouragements du Pentagone et qui ont évolué jusqu’à trahir complètement le Pentagone. A ceux déjà cités, on peut ajouter pour illustrer ces temps de guerre contre les pseudo narco-trafiquants du Venezuela, l’incroyable ‘Barry Seals : American Traffic’ (2017), avec le non moins incroyable Tom Cruise transformé en porteur des tonnes de drogue convoyés depuis l’Amérique du Sud jusqu’aux États-Unis pour le compte de la CIA marchant main dans la main des narco-trafiquants. Né du grand ‘Titanic’ triomphant que fut l’Amérique, le USS ‘Hollywood’ constate que certains membres de son équipage ont décidé d’assister à son naufrage en en faisant un blockbuster d’un nouveau genre, – le dernier genre du cinéma de la Fin des Temps, lorsque le cinéma réalise enfin qu’il doit témoigner de son temps.