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51473 mai 2020 – Bien que confiné à souhait et sédentaire planté devant son internet, je n’en virevolte pas moins à certains moments du petit matin et de la journée, surtout pour la détente dont fait partie l’information courante. Bref, le 1ermai à 12H45, je me retrouve devant l’écran de ma grande lucarne, sur la chaîne des grands esprits, la ci-devant Arte, et l’émission est un épisode du Dessous des Cartes. Le thème était : « Aéroports : la guerre des hubs » sur les “méga-aéroports” qui se développent peu à peu, et plutôt vite que peu à peu, avec une prééminence basculant de l’Occident du bloc-BAO vers l’Orient de l’Asie triomphante. Je suivis cela avec un intérêt détaché, devant ces projets pharaoniques de l’hypermodernité, pour attirer et coordonner ceux qui seront plus de 8 milliards en 2037, et qui n’étaient que 310 millions en 1970, – les passagers de l’air, c’est-à-dire les touristes.
Il me vint bientôt une remarque qui se réclamait d’une évidence criante, et je compris plus tard (c’est-à-dire ce matin, lorsque j’ai fait les recherches) qu’elle était à la fois injustifiée et justifiée. La remarque était la suivante : “Mais comment peut-on faire une telle émission aujourd’hui, alors que l’industrie du transport aérien est dans un état d’effondrement qui n’a d’égales que ceux des industries de l’aéronautique civile et du tourisme ?” Mes recherches montrèrent qu’il s’agissait d’une rediffusion d’un épisode passé pour la première fois le 5 avril 2019. Ma conclusion fut que passer cette émission en avril 2019 avait du sens mais la repasser en avril 2020 telle quelle, par gros temps de Codiv19, relève d’une inattention coupable ou d’une ironie bien surprenante dans ces milieux de “sachants” de l’industrie du spectacle-studieux et de la communication bienpensante.
Il n’empêche, j’ai vu l’émission, ou disons une partie substantielle, assez pour faire naître cette question ontologique, de pure essence : “Mais dans quel monde vivons-nous ?”. La vision de ce film, avec des yeux de la crise-Covid19, m’imposa la remarque fondamentale du changement, de la rupture, du bond cosmique : sans nul doute, je regardai une émission du temps passé, du “temps d’avant”, du temps où tous ces “sachants” pouvaient étaler paisiblement l’étendue infinie de leur savoir devant nos regards improbables en incertains.
Comment ?! A peine un an, et même beaucoup moins, trois mois finalement, et cela qui me semble d’une autre planète, comme une série de science-fiction qui remonterait le temps, type-Back to the Future. Car en vérité, je vous le dis et je vous l’avoue, les “sachants” si assurés ne savent plus grand’chose de sûr, sinon rien de tout ce qu’il croyait tenir fermement, bousculés dans des querelles sans fin, des “querelles de sachants”, nous jouant en boucle Les précieuses ridicules.
“Le temps d’avant” ? Sans doute, mais sans la signification de sens de la chronologie, – effectivement, Back to the Future, dans ce temps où le “futur” n’a plus aucun lien avec l’avenir et trace une route terrifiante vers le simulacre prédateur qui n’est rien de moins que la destruction du monde. C’était leur “programme”, selon le sens que Fabrice Hadjadj donne à la différence qu’il faut entre avenir et futur : « En un mot, le futur est relatif à ce qui va, l’avenir à ce qui vient, et il faut que ce qui va soit ouvert à ce qui vient, sous peine d’une vie qui meurt en se fixant dans un programme. Cette subordination du futur à l’avenir marque aussi la supériorité et plus encore la surprise de l’avenir par rapport au futur. »
Est-il possible que nous ayons déployé, avec l’irruption cosmique de Codiv19, une situation de l’alternative dont l’un des termes, contrairement à celui de la poursuite chaotique du modèle-Système, serait d’abandonner un “futur” qui se perdrait dans un “programme” de mort, pour tenter de retrouver l’“avenir” ? D’une façon si significative, cette émission sur “la guerre des ‘hubs’”, entre Atlanta, Londres, Doha, Singapour, Pékin et tous les autres prétendants, m’a semblé incroyablement vieillie, comme inopportune et improbable, comme une image du passé d’un futur sans avenir sinon celui de notre mort.
J’emploie ce terme de “vieillie” pour qualifier une émission sur l’hypermodernité qui nous attendrait, et cela ranime un vague souvenir, trop imprécis pour que j’en donne les références. Qu’importe, puisque c’est seulement l’idée qui compte. Je lisais donc récemment tel auteur, sans doute historien ou sociologue que l’on nommera X, qui passait en revue plusieurs grands esprits de la fin du XIXème siècle , et il dit de l’un d’eux à peu près ceci : “Y aurait pu faire une critique de la situation qui se développait en son temps mais il s’en désintéressa, estimant que cette civilisation vieillie ne méritait plus tant d’attention”. En disant “vieillie”, X et Y parlaient de la modernité en plein développement (la fin du XIXème était un moment propice de la globalisation), c’est-à-dire ce qu’on a coutume de voir comme du neuf, comme du nouveau ! Quelle idée séduisante... La modernité, comme masque grimé d’une vieillesse épuisée qui voudrait tenter d’esquisser un dernier simulacre en s’intitulant “nouveauté”, qui n’est que fuite, même si “fuite en avant”, et fuite dans la pénombre du crépuscule des illusions caricaturées.
Il est vrai que notre époque historique, notre ère, commencée au plus près il y a cinq siècles, est déjà bien vieille et ne cesse de vieillir davantage, jusqu’au gâtisme, jusqu’au dérangement de la sénilité comme l’on dirait d’un Joe Biden. Cette idée paradoxale pour un esprit de notre temps du confinement, cette idée a tout pour me plaire : la modernité comme vieillesse du monde, tandis qu’en remontant dans le passé nous retrouvons l’éclat de la jeunesse du monde, ce qui devient pour nous le nouveau et le fondamental ! Et ainsi le mot d’Alastair Crooke est-il justifié : “Nous revenons au fondamental : voilà, – tout ce qui est ancien est à nouveau ‘nouveau’ !”. »
Cette idée du passé comme “nouveauté”, – bien entendu, comme allant de soi, dans le sens de la grandeur, de l’élévation, de la qualité contre la quantité, – se retrouve dans ces remarques d’un F&C du 28 avril 2019 sur l’incendie de Notre-Dame :
« Précision capitale, – le passé selon notre conception qui s'oppose à la modernité pouvant figurer aussi bien selon l’appréciation qu’en donne Julius Evola [selon Giovanna Monastra, ‘Julius Evola, des théories de la race à la recherche d’une ethnologie aristocratique’, ‘Nouvelle École’ n°47, année 1995] : “C’est une pensée “originelle”, elle ne remonte pas en arrière dans le temps, elle s’élève verticalement hors du temps en direction du noyau transcendant...” ; aussi bien que celle de Maistre-Baudelaire : “Ce terme complètement paradoxal dans ce cas de ‘progrès’ fait référence à une interprétation de Daniel Vouga, analysant l’influence essentielle de Joseph de Maistre chez Charles Baudelaire (la plus importante influence de Baudelaire avec Edgar Allan Poe), dans ‘Baudelaire et Joseph de Maistre’ (Corti, 1957). Observant l’emploi laudatif du concept de ‘progrès’ chez Maistre et chez Baudelaire, paradoxe absolu proche de la contradiction impossible pour ces deux penseurs antimodernes par excellence, Vouga observe ceci : ‘[P]rogresser, pour eux, ce n’est pas avancer, ni conquérir, mais revenir et retrouver... [...] Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l’Unité perdue...’” »
Aujourd’hui, nous sommes suspendu entre deux conceptions du monde, deux perspectives, deux figures d’ontologie dont l’une n’est que simulacre. Pour la première fois, nous pouvons nous regarder être dans le Système, où nous nous trouvons enfermés et nous trouvant depuis un temps qui pourrait se compter en siècle sans tout à fait avoir conscience de cet emprisonnement (sauf quelques esprits ardents et “voyants”), et en même temps nous pouvons découvrir précisément ce qu’est le Système, nu comme le roi lui-même, mais un roi sans couronne, un roi mis à nu comme pourrait l’être un imposteur, un brigand, un barbare et un idiot du village...
Pour la première fois peut-être existe ce qu’on pourrait désigner comme “la possibilité du choix”.