Le “piège” métaphysique de Bolton

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Le “piège” métaphysique de Bolton

Que signifie la possible “guerre” USA-Iran ? Ou bien doit-on dire USA + Israël contre l’Iran ? Ou bien Israël seul, etc. Il semble, selon Alastair Crooke, que nous consultons régulièrement, qu’il faille parler plutôt d’un “conflit métaphysique” sinon “théologique”. Ainsi, quinze ans plus tard, cette fois avec beaucoup plus de pions dans les bonnes positions, avec une situation suffisamment détériorée pour faire appel aux notions de métaphysiques contre une raison défaillante, trouvons-nous “ranimé” l’argument des évangélistes américains tenant une position officiellement désignée comme  Sionistes-Chrétiens, alliés d’Israël selon une vision directement théologique, dans une quête qui passerait pour ce qui estdes événements terrestres par un affrontement avec l’Iran…

(On se rappelle que cette thèse des évangélistes/Sionistes-Chrétiens alliés “théologiques” d’Israël eut une grande vogue autour de 2002-2003, avec les neoconsautour de GW Bush agitant cette tambouille comme une recette-miracle, et surtout avec un GW Bush « né “une nouvelle fois”comme chrétien évangéliste en 1985 avec l’aide du pasteur Billy Graham », et qu’on supposait ainsi prêt à assumer des missions pseudo-métahistoriques. L’idée générale était que le zèle évangéliste de G.W. Bush s’inspirerait notablement des thèses pro-israéliennes des Sionistes-Chrétiens et conduirait à enchaîner une attaque contre l’Iran après l’attaque contre l’Irak. Mais cela impliquait une victoire impeccable en Irak, et ce ne fut nullement le cas, tandis que le zèle de “né une nouvelle fois” de GW, ainsi que les intrigues de Cheney et de sa bande, apparaissaient insuffisants pour faire basculer l’appareil militaire US dans la perspective d’un conflit contre l’Iran. L’US Navy s’arrangea pour étouffer ces velléités.)

Jusqu’ici, l’appréciation générale du conflit USA-Iran, avec un soutien d’Israël (de Netanyahou, voir plus loin) plus discret qu’attendu, impliquait des arguments géopolitiques (faiblards), idéologiques, hégémoniques et psychologiques-sinon-pathologiques (puissants). Dans Strategic-Culture.org, Crooke en propose une autre, métaphysique-théologique celle-là, avec la Bible comme “feuille de route”. L’acteur principal, outre les Israéliens avec leur relais Kushner à la Maison-Blanche est alors Bolton-le-fou, avec Pompeo en flanc-garde.

Il est certain qu’il y a un “affrontement” entre Bolton et ses projets guerriers d’une part, le président Trump d’autre part, qui suit les idées de Bolton mais paraît ces derniers tempsmoins intéressépar une tension durable avec l’Iran, par une opération de regime change, et moins encore par un conflit.

Dans le texte où il avance cette hypothèse, Crooke explique que Bolton-Pompeo ont habilement détourné le problème iranien, d’une part en imposant des conditions nouvelles qui poussent l’Iran “à la faute” ;d’autre part, pour permettre que cette faute devienne irrémédiable, en réactivant la doctrine d'Albert Wohlstetter de Rand Corporation (en 1958), selon laquelle « il n’y a et ne peut y avoir aucune différence matérielle entre l'enrichissement de l’uranium à des fins pacifiques et l’enrichissement à des fins militaires ». Cela revient à exiger de l’Iran l’arrêt total de son programme nucléaire et de tout ce que lui est lié pour se conformer aux exigences, c’est-à-dire mettant sur la table toutes les conditions requises pour un conflit, où l’évolution des choses menant à un conflit.

« Précisément en retirant les “dérogations” américaines permettant à l'Iran de rester dans les limites strictes du JCPOA sur la détention d'uranium et d'eau lourde par l'Iran (d'Arak), en sanctionnant l'exportation de tout surplus iranien (une obligation du JCPOA), Pompeo et Bolton ont rendu une transgression de l’accord inévitable – et intentionnel. Et dans la perspective de cette transgression iranienne un échec iranien (et de la réponse de l'Iran qui menace d'aller vers des niveaux d'enrichissement plus élevés), l’équipe de Trump a réécrit “'histoire” en une narrative de l’Iran cherchant à développer un armement nucléaire. »

Le résultat de ces différentes initiatives est de mettre l’Iran en très mauvaise posture au niveau de la communication, même si ce pays n’est en rien fautif, même s’il n’a aucune intention de développer du nucléaire militaire, etc. Tout cela est emporté par la narrativeque les Américains ont développée et qu’ils ont imposée, à la fois grâce à leur puissance de communication, leur influence, leurs capacités de chantage, leur totale absence de responsabilité et leur désintérêt complet pour quelque organisation rationnelle et équilibrée des relations internationales que ce soit. De ce point de vue, Bolton rencontre les vœux de Trump…

Crooke observe donc que « Le président Poutine avait raison lorsqu'il prévoyait que les actions américaines qui ont forcé l'Iran à manquer à ses obligations envers le JCPOA seraient rapidement oubliées, – comme elles le sont d’ores et déjà, – et que le narrative américaine dominante imputerait toute la responsabilité de la crise à l’Iran (ce qui est le cas).
» John Bolton a activé son “piège”, ce qui conduira inévitablement à des tensions entre l'Iran et les États-Unis. Il a inversé le paradigme du projet du “Grand Israël” (dit “Accord du siècle”), qui exige la réduction radicale de l'opposition iranienne, à celui de la “menace” d'une “capacité de rupture” nucléaire iranienne potentielle, l'Iran étant effectivement forcé d'accumuler de l'uranium enrichi (même à 3.67%). »

C’est ce dernier point que Crooke développe dans la deuxième partie de son texte et auquel nous allons évidemment nous attarder. C’est là qu’interviennent les phénomènes, dont certains signalés plus haut, de l’influence des Sionistes-Chrétiens, autrement dit des évangélistes US, du projet de “marché du siècle” que l’administration Trump annonce pour régler la crise israélo-palestinienne, de la question du “Grand Israël”, etc. C’est là que nous passons des problèmes géopolitiques et idéologiques aux problèmes métaphysiques et théologiquesreprenant certaines thèses évoquées dans les premières années du siècle, immédiatement après l’attaque du 11 septembre 2001.

Crooke fait un très long développement, qui représente le cœur même de son analyse, en se référant à la Bible comme à un manuel de stratégie, aux ambitions d’Israël et à la définition fondamentale du sionisme, à la position de Netanyahou, etc., ; mais aussi, certes, à la situation intérieures US, notamment dans la perspective de l’élection présidentielle USA-2020, qui est la pensée essentielle du président Trump aujourd’hui. 

 « ...L’une des principales bases électorales de Trump est sa base évangélique (un Américain sur quatre se dit évangéliste). Ce sont eux qui ont insisté pour que l'ambassade américaine s'installe à Jérusalem ; ils ont soutenu l'affirmation de Trump de la souveraineté israélienne sur le Golan ; ils ont soutenu l'annexion des colonies israéliennes ; et ils étaient derrière l'exigence que les États-Unis abandonnent le JCPOA.  Mais par-dessus tout, – et ils se sentent assez forts pour l’afficher ouvertement, – ils réclament de Trump un soutien total au “Grand Israël” (biblique).
» Trump n’est pas évangélique (il est presbytérien par son éducation), mais il s’est rapproché au fil des ans de l’aile évangélique et a donné des signes selon lesquels il croit que l’action d'un Grand Israël mettrait finalement fin au conflit au Moyen-Orient et apporterait une paix durable dans la région. Ce serait son héritage.
» S’il est vrai que Trump ne cesse de répéter (peut-être honnêtement) qu’il ne veut pas la guerre, l’acte de créer le Grand Israël, néanmoins, n’est pas une sorte de remaniement géographique mineur des Palestiniens pour les déplacer vers un “logement” alternatif, de sorte que le projet israélien puisse se développer et s'étendre dans un Grand Israël. Laurent Guyénot, spécialiste des études bibliques, écrit que cette affaire possède une autre dimension, souvent négligée, mais très significative :

» “Le sionisme ne peut pas être un mouvement nationaliste comme les autres, parce qu’il résonne avec le destin d’Israël tel qu’il est décrit dans la Bible... Il est peut-être vrai que Theodor Herzl et Max Nordau ont sincèrement voulu qu'Israël soit “une nation comme les autres”...[Mais l'affirmation] que le sionisme est biblique ne signifie pas qu'il est religieux. Pour les sionistes, la Bible est à la fois un “récit national” et un programme géopolitique, plutôt qu’un livre religieux (il n’existe en fait pas de mot pour “religion” en hébreu ancien).
» “Ben-Gourion n’était pas religieux ; il n’allait jamais à la synagogue et mangeait du cochon au petit déjeuner. Pourtant, il était intensément biblique. Dan Kurzman,[le biographe de Ben Gurzman] qui l'appelle “la personnification du rêve sioniste”, croyait [néanmoins] fermement en la théorie de la mission, disant explicitement : “Je crois en notre supériorité morale et intellectuelle, en notre capacité à servir de modèle pour la rédemption du genre humain”.
» “Dix jours après avoir déclaré l'indépendance d'Israël, [Ben Gurion] écrit dans son journal : ‘Nous briserons la Transjordanie [Jordanie], bombarderons Amman et détruirons son armée, puis la Syrie tombera, et si l'Égypte continue à se battre, nous bombarderons Port Saïd, Alexandrie et Le Caire’. Puis il ajoute : ‘Ce sera une vengeance pour ce qu'ils [les Égyptiens, les Aramis et les Assyriens] ont fait à nos ancêtres pendant les temps bibliques.’

» C'est à partir de ce point que Bolton et Pompeo détournent délibérément l'attention en développant la polémique autour du nucléaire iranien. Le projet de réaliser le Grand Israël, – qui renvoie à un destin métaphysique et évoque un statut spécial pour Israël, comme lorsque “toutes les nations” rendront hommage “à la montagne de Yahvé, à la maison du dieu de Jacob”, lorsque “la Loi sortira de Sion et la parole de Yahvé de Jérusalem”, – est un ravissement pour les oreilles des Sionistes Chrétiens, car ils croient précisément que c'est ce qui fera se rapprocher le temps du retour du Messie et de l’Enlèvement.
» Bien sûr, tout projet de ce type, – implicite ou explicite, – doit évidemment se heurter à l'opposition d’un État de grande civilisation comme l’Iran, avec sa propre métaphysique très puissante mais divergente. Pour que le Grand Israël se concrétise, l’opposition iranienne au projet israélien d’“élection divine” doit être freinée.
» Bolton n'est pas évangéliste mais il est étroitement lie à la droite israélienne. Ben Caspit, l'un des principaux commentateurs israéliens, développe cet argument :

» “Les États-Unis n'ont pas l'intention d'envahir l'Iran ”, a précisé [ma] source israélienne, “mais les Iraniens essaient de faire comprendre aux Américains que [toute escalade]... pourrait causer de graves dommages aux intérêts américains, à un coût plus élevé que tout ce que le régime de Saddam Hussein était capable de réaliser... ”
» “La distance prise par Netanyahou par rapport à l’escalade de la tension s’explique par le souvenir de son audition devant une commission du Congrès dans les jours précédant l'invasion de l'Irak pour prétendre que Hussein tentait de fabriquer des armes nucléaires et que le renversement du régime en Irak allait assurer la maîtrise de l’Iran et créer davantage de stabilité dans tout le Moyen-Orient. L’histoire a prouvé que toutes les prédictions de Netanyahou étaient fausses... Dans la crise actuelle, Netanyahou a donc adopté un profil bas, de façon à ce qu’on ne le considère pas comme la personne qui fait pression sur les Américains pour lancer une attaque militaire contre l'Iran. Il n'est pas du tout certain qu’il réussira.
»“Israël tente maintenant de minimiser son soutien à la position du conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton, qui préconise un conflit direct avec les Iraniens et est donc considéré comme le plus belliciste de l'administration. Selon une source qui a travaillé avec Netanyahou sur des questions militaires pendant des années et qui parle sous le couvert de l'anonymat, “il devrait être évident qu’en secret Netanyahou prie pour que Bolton réussisse à convaincre le président de lancer une attaque militaire contre l'Iran, mais cela ne doit pas être perçu. Il doit éviter toute identification avec cette approche, après qu’on lui ait reproché d'être la personne qui a fait pression sur les États-Unis pour envahir l’Irak.” Jérusalem observe le conflit entre le ton conciliant actuel du président Donald Trump, qui l’amène à éviter l'aventurisme militaire américain, et l'approche plus belliqueuse de Bolton. On craint que Trump ne cède dans cette guerre des nerfs avec les Iraniens, finisse par se désintéresser de la crise et atténue sa pression.

» En octobre 2003 s'est tenu un “Sommet de Jérusalem”, auquel ont participé trois ministres israéliens par intérim, dont Benjamin Netanyahou, ainsi que Richard Perle, – un ancien collègue de John Bolton, – en tant qu’invité d'honneur. Une déclaration a été signée qui reconnaît “l’autorité spéciale de Jérusalem pour devenir un centre de l'unité du monde” et professe : “Nous croyons que l'un des objectifs de la renaissance d'Israël, inspirée par Dieu, est d'en faire le centre de la nouvelle unité des nations, qui conduira à une ère de paix et de prospérité, comme l'ont annoncé les prophètes.”
» Il ne s'agit donc pas seulement d'une lutte abstraite sur la doctrine nucléaire. L’escalade contre l’Iran sert plutôt de camouflage pour un conflit civilisationnel et métaphysique beaucoup plus profond.  L'Iran, bien sûr, le sait. Et Poutine, bien sûr, a raison de craindre que le retrait de l'Iran, en partie ou plus, du JCPOA serait une arme contre l'Iran, mais que l'Iran n’a guère le choix.  S'asseoir passivement, – alors que Trump est en train de presser le citron, – n’est tout simplement pas une option. » 

On comprend aussitôt que cette phrase est donc essentielle dans le texte de Crooke : « L’escalade contre l’Iran sert plutôt de camouflage pour un conflit civilisationnel et métaphysique beaucoup plus profond. » Il ne nous intéresse pas ici de faire une approche critique, soit du comportement des différents acteurs, soit de l’attitude des Israéliens, soit du fondement du sionisme, soit de la perception “complotiste” que l’on est évidemment conduit à avoir de ces différents facteurs et acteurs. Il nous intéresse ici de constater combien l’analyse opérationnelle, fondée ou pas, est conduit vers les domaines de la métaphysique et de la théologie.

On ressent cette tendance dans nombre de domaines crisiques et dans nombre de crises spécifiques. Cette remarque nous vient à l’esprit en songeant au choix délibéré de Gilad Atzmon pour définir le populisme : « Contrairement aux commentateurs politiques, mon explication de ce phénomène politique récurrent est de nature métaphysique. » De plus en plus d’analyses sur telle et telle situations sont développées de façon à aboutir à des jugements de type-satanique comme explication ultime, qui représentent une autre façon d’échapper au piège dans lequel nous nous débattons et que nous pourrions désigner comme l’impuissance désormais totale de rendre compte de la vérité du monde, – sans parler de cette bulle dérisoire de simulacre que l’on nomme réalité.

(Nous sommes d’autant plus inclinés, nous-mêmes, à en venir à cette sorte de constat ou de jugement que nous jugeons depuis un temps déjà long que la raison telle qu’elle est sollicitée aujourd’hui par les esprits accordés à leur temps, ou qui le prétendent, est en fait manipulée bien plus que sollicitée. Cette sollicitation est donc celle de la manipulation qu’une pensée universelle, ou globalisée, d’origine incertaine et extra-humaine dans son aspect maléfique, impose aux esprits individuels avec de plus en plus de difficultés intellectuelles, et de plus en plus de souffrances pour ces esprits. Dans cette manipulation, la raison est devenue complice du caractère diabolique de cette époque d’entropisation des esprits. Il s’agit donc bien, selon nous, de cette “raison-subvertie” que nous dénoncions il y a quelques années [le 29 novembre 2014], – et les années supplémentaires déroulant à une vitesse extraordinaire les catastrophes crisiques sur le cimier d’un mal datant de plusieurs siècles, n’ont pas arrangé cette pathologie métaphysique, – elle aussi, certes, métaphysique…)

Il nous apparaît évident que les événements du monde ont définitivement dépassé le plan humain, nous laissant face à l’incompréhensibilité du monde, entre l’option de la complicité passive ou aveugle, et la volonté de dissidence ou de résistance avec tous les aléas, toutes les difficultés que cela suppose. Mais il nous semble également que nous approchons du point où cette situation devient insupportable, et nous estimons que l’on trouve des signes de ce sentiment dans la sollicitation grandissante d’approches et d’analyses sortant des cadres qui nous sont habituellement assignés. Cela signifie pour notre compte, ou plutôt nous confirme directement que, d’une façon décisivement rupturielle, nous ne vivons plus des événements historiques(l’histoire-courante, ou hagiographie-Système), mais des événements directement issus de la métaphysique de l’histoire, et s’imposant de plus en plus à nous selon cette schématisation méthodologique.

 

Mis en ligne le 29 mai 2019 à 12H45

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