Le mot de Françoise

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Le mot de Françoise


24 novembre 2002 — L'incident a fait du bruit et a bien fait rire, c'est la coutume, lorsque nous apprîmes que Françoise Ducros, directrice de la communication du Premier ministre canadien Jean Chrétien avait traité GW de “moron””, — ce qui signifie, au choix : abruti, crétin, débile. Ducros a offert sa démission à Chrétien. Celui-ci a refusé. Il a dit que le mot était parmi les manies répétitives de Ducros et qu'avec un nom comme le sien, lui-même, Jean Chrétien, avait été souvent traité par elle de “moron””. Il ne s'en est jamais offusqué, il connaît bien sa Françoise. L'incident est donc clos. On va même jusqu'à nous dire qu'il ne laissera pas de trace.


« Disparaging remarks about U.S. President George W. Bush by a top aide to Prime Minister Jean Chretien won't sour Canada-U.S. relations, Foreign Affairs Minister Bill Graham said at a NATO summit Friday.

» “I'm totally confident that Canada-U.S. relations are on a good footing,” Graham said, citing a series of what he called positive meetings with U.S. Secretary of State Colin Powell.

» “Whatever incidents that might occur, and there will always be some . . . these are difficult issues, we raise them, we discuss them, and we deal with them as friends.” »


Donc, pas d'importance. (Sauf que : le remarque de Françoise Ducros n'est pas une simple gaffe, un mot jeté comme ça. Le mot figure dans une phrase et, dans cette phrase, il ne dépare pas. Voilà le problème. Robert Fife, dans le Ottawa Citizen, nous informe là-dessus : « Earlier in the day, a senior Canadian official, who asked not to be identified, called Mr. Bush “a moron” because of his efforts to push the war against Iraq to the top of NATO's agenda. The summit was to focus on expansion and moderation of the alliance, but Mr. Bush has used his clout to make Iraq the dominant issue at the meeting. » Nous avons identifié l'officiel canadien (Ducros) et nous comprenant parfaitement que sa remarque n'est pas un accident et, du coup, le mot incriminé trouve sa place logique, — s'il n'a été dit, il aurait pu être dit.)

Par ailleurs, les Canadiens ont été très actifs à ce sommet de Prague, ou, plutôt, en marge du sommet. La sortie du ministre canadien de la défense, telle que nous la rapporte le même Robert Fife, valait très largement le jugement abrupt de Ducros sur les capacités intellectuelles de GW.


« Defence Minister John McCallum bluntly told George W. Bush yesterday to stop lecturing Canada about increased defence spending after the U.S. president urged the federal government and the NATO allies to boost their military budgets to confront new international threats from terrorism and rogue states.

» The Bush administration, particularly through Paul Cellucci, its ambassador to Canada, has been calling on Canada to increase defence spending and to purchase new heavy-lift aircraft so it does not have to rely on the U.S. to transport Canadian troops.

» Mr. McCallum said yesterday [21 November] he is fed up with the Americans hectoring Canada about its low defence expenditures, even though he himself has been publicly lobbying for greater military spending.

» “I would not urge the president of the United States or the U.S. ambassador to Canada to do my job to ask for more defence spending. I think that is a Canadian matter,” Mr. McCallum told reporters. »


Ce deuxième point (McCallum), par la confirmation qu'il nous apporte sur la vigueur du climat concernant des points très précis, nous conduit à considérer le premier (Ducros) comme beaucoup moins accidentel qu'il est diplomatiquement convenu de l'apprécier. Un premier constat est qu'effectivement nous voyons une autre confirmation, beaucoup plus vive et encore plus dérangeante, du point général soulevé dans notre F&C du 22 novembre, sur la perte accélérée de la fonction apaisante et réconciliatrice des sommets occidentaux divers.

Mais il faut aller plus loin et considérer, sans sourire comme on est tenté de le faire, le point que soulève le qualificatif offert par Françoise Ducros pour qualifier GW. Cela nous rappelle la question, également fort sérieusement dite, du journaliste-présentateur Yves Calvi aux invités de son émission sur “La 5” : « Mais pourquoi tous les journalistes européens considèrent-ils le président Bush comme un imbécile ? » Silence sur le plateau, sauf du journaliste américain de service mâchonnant les formules sempiternelles sur « la sophistication et le préjugé intellectuels des journalistes européens ». Personne ne répondit : « Parce qu'il l'est» », ce qui n'est pas prouvé mais qui exprime pourtant un sentiment général, et pas chez les seuls journalistes, et cette réputation qui est parfois confirmée (par inadvertance, espére-t-on) constitue un problème relationnel formidable.

Les tensions sont telles aujourd'hui, dans certains domaines, entre certaines personnalités, certains services, etc, dans les relations transatlantiques, que la question de l'antipathie personnelle et tout ce qui l'accompagne devient un réel problème, interférant sur la diplomatie. C'est un foyer de multiplication du phénomène que nous relevions déjà : les sommets occidentaux sont devenus eux-mêmes des foyers de discorde dans une diplomatie qui est désormais, lorsqu'elle implique des liens avec les États-Unis, totalement anémiée et réduite aux seules nécessités des accidents conjoncturels.