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30 juin 2005 — Henry Hyde, le parlementaire républicain qui préside la Commission des affaires étrangères de la Chambre des Représentants, nous avertit solennellement que nous allons devoir marcher droit. Pour faire complet, car le texte de Defense News (AFP) du 29 mai est assez court, nous reproduisons la nouvelle ci-dessous, — accompagnée du poétique avertissement que nos lecteurs connaissent bien, qu’ils trouveront en fin de texte :
« A senior U.S. lawmaker on June 29 introduced legislation to discourage the European Union from lifting its arms embargo on China, despite recent assurances from EU officials that plans to sell weapons to Beijing have been shelved.
« The East Asia Security Act of 2005, authored by Republican U.S. Representative Henry Hyde, was introduced after an uproar that followed Europe’s announcement last December that it was considering lifting the embargo slapped on China following its June 1989 crackdown on pro-democracy students in Beijing.
« European officials have since said they have reconsidered the weapons sales, but congressional officials said the Hyde bill adds a measure of insurance.
« ”This bill is intended to show that the U.S. Congress intends to encourage the EU to keep its commitment to maintain its arms embargo, and not to falter in this commitment,” a senior aide to Hyde said.
« The bill welcomes deferral of the EU decision to terminate the arms embargo on China, but expresses concern that sales could proceed indirectly via various loopholes, since some European firms which reportedly have aided Beijing’s military build-up are also participants in leading edge U.S. weapons programs.
« Among other measures, the legislation calls on U.S. President George W. Bush to make an annual report to Congress “identifying every foreign person of the EU that has exported to China any arms or dual use technology for military end use since January 1, 2005.”
« The legislation also would require any entity seeking to export U.S. weapons technology to China to obtain special permits from the U.S. State Department.
« Washington and its European allies have held senior-level strategic dialogue on approaches to China and the rest of Asia following the flap over the proposed arms sales.
« Officials in Washington have said lifting the weapons ban on Beijing would send the Chinese a wrong message on human rights and also alter the military balance in Asia, particularly in the Taiwan Strait. »
[Notre recommandation est que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]
Ce que les Américains veulent établir avec ce processus, c’est une remarquable situation de maccarthysme transatlantique. GW Bush sera le témoin unique : à charge pour lui de conduire les dénonciations officielles devant le Congrès, qui légiférera en conséquence. (Aucune difficulté pour GW, dénoncer il a l’habitude.) Pour nourrir ce témoignage-dénonciation permanent, il faudra certainement mettre en place des organismes de contrôle qui devront nécessairement avoir accès aux activités des sociétés européennes, dans tous les cas qui l’exigeront à corps et à cri.
L’idée rejoint celle du lieutenant général Jeffrey Kohler, exprimée à propos des sociétés européennes travaillant dans le cadre du programme JSF. Dans notre “Faits & Commentaires” du 28 juin, sur la question du programme JSF recevant des pièces (par ailleurs anodines et sans aucune importance stratégique), nous observions la façon dont les Américains entendent contrôler les activités des sociétés européennes impliquées dans le programme JSF, essentiellement pour leurs rapports éventuels avec la Chine : « Bien : les Américains ne sont pas absolument obsédés par tout ce qui compose le JSF, ils ne veulent pas être soupçonnés à cet égard d’un caractère obsessionnel. Mais ils entendent bien surveiller tout cela, avoir leur mot à dire, réguler, investiguer, contrôler, peser, calculer, et cela, bien entendu, dans toutes les sociétés européennes impliquées dans le programme JSF: “[U.S. officials] want to know more about European companies’ business dealings with China” ».
Démarche similaire avec Hyde et sa East Asia Security Act of 2005, mais tout de même à une échelle bien plus considérable et plus solennelle. Il s’agit d’une loi du Congrès des Etats-Unis, qui ordonne au président des Etats-Unis d’assurer la surveillance des pays de l’Union européenne dans leur “volonté” de ne pas céder à la tentation de lever l’embargo des armes vers la Chine, et aussi dans leur démarche nécessaire d’identifier toutes les technologies qui, même non-militaires, pourraient tout de même servir aux ambitions militaires chinoises dont nul n’ignore qu’elles sont maléfiques, apocalyptiques, arrogantes, préventives et ainsi de suite, — bref, tout ce que nous ne sommes pas.
Le texte qui nous est présenté relève d’une extraordinaire conception. Le Congrès s’adresserait aux pays de l’UE comme ils feraient avec l’Arkansas, l’Iowa et le Dakota, avec un plus une sorte de bienveillance paternelle. Arrêtons-nous à deux exemples.
• « ”This bill is intended to show that the U.S. Congress intends to encourage the EU to keep its commitment to maintain its arms embargo, and not to falter in this commitment,” a senior aide to Hyde said. » Il y a dans cet “encouragement”, effectivement, une connotation de bon père de famille, ou de bon vieil instituteur type-IIIème République, à l’égard d’enfants turbulents et un peu écervelés. D’autre part, où donc le “senior aide to Hyde” a-t-il été péché qu’il y a un “engagement” (commitment) de l’UE de maintenir en place son embargo? (De même pour l’introduction du texte : « …to discourage the European Union from lifting its arms embargo on China, despite recent assurances from EU officials that plans to sell weapons to Beijing have been shelved »). Nous dirons plutôt que l’affaire s’est noyée dans le brouhaha des deux référendums négatifs et des promesses fastueuses de Blair de fonder une “new Europe”. Néanmoins, on peut compter sur Blair pour faire “comme si”, effectivement, il y avait eu commitment. pour les américains, dans tous les cas, c’est comme si un traité était signé : l’Europe s’engage à ne jamais lever l’embargo. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises.
• « ... the legislation calls on U.S. President George W. Bush to make an annual report to Congress “identifying every foreign person of the EU...” »: par quels moyens l’administration GW procédera-t-elle? Espionnage classique? Echelon? Enquêtes officielles sur place, dans les sociétés concernées? Recommandation au Congrès d’entendre tel ou tel citoyen de tel ou tel pays de l’UE, convoqué quasiment manu militari devant une commission d’enquête du Congrès, — si possible celle qui s’intitule “Un-American Activities Commission” (celle McCarthy en 1950)?
Aujourd’hui, l’UE est traitée par les USA de pire façon que cette puissance n’oseraient faire avec les pays d’Amérique Latine. (Que le Congrès essaie donc de voter un tel texte à l’encontre de pays comme le Brésil ou le Venezuela.) L’interrogation subsiste de savoir qu’est-ce qui est le plus littéralement extra-terrestre dans cette proposition de loi du député Hyde : l’extraordinaire mépris pour tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, à quelque chose qui se nomme “souveraineté nationale” ; l’extraordinaire veulerie de l’UE en tant que telle (c’est une hypothèse sur son absence de réaction), qui laissera passer ce texte, s’il est voté en loi par le Congrès, “comme si” rien ne se passait, — et continuant à babiller sur “les valeurs communes”.
Pour les perspectives, cette initiative n’est pas le point d’orgue d’une annexion de l’Europe par les USA mais une promesse de désordre de plus entre les partenaires transatlantiques. Si le texte est voté et si les parlementaires tatillons (c’est leur spécialité) en exigent l’application intégrale, on aura un champ infini de querelles surréalistes et d’affrontements de type extra-terrestre également. Pour l’état de l’esprit des gens qui ont concocté cette affaire (à Washington), tout comme celui des gens qui ne réagiront sans doute pas à cette affaire (en Europe), on a la mesure d’une autre sorte de désordre.