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69896 décembre 2019 – Comme on l’a déjà lu par ailleurs, nous traversons un moment que nous avons qualifié de “Grosse-Fatigue”, du fait de l’épuisante pression et de la rapidité d’événements catastrophiques autant que bouleversants et extraordinaires. Cette sorte de moment permet aussi de prendre un temps de réflexion sur le sens de ces événements et les hypothèses qu’ils suscitent.
La perspective se précise : USA-2020, la campagne présidentielle US dont le désordre et la radicalité sont déjà parmi nous promet encore plus que USA-2016 dans le même champ du désordre et de la radicalité. L’enjeu est tel que nombre de commentateurs et penseurs, essentiellement dans le camp dit-“conservateurs” (les étiquettes devraient aller au-delà du clivage conservateurs-progressistes, ou plutôt dans une autre ontologie de classement), pensent à l’au-delà-2020 et même à l’au-delà-Trump même si l’actuel président le reste quatre ans de plus. Cette pensée ne fait qu’acter la fracture béante apparue en 2016 et que rien, selon ces commentateurs, ne pourra plus combler, et que Trump lui-même, bien entendu, devra subir comme il la subit aujourd’hui s’il est réélu. Notre sentiment est de la même sorte, comme PhG nous l’avait précisé à propos d’une chronique de Kunstler où ce remarquable commentateur notait la « grosse fatigue de l’esprit » qui semblait avoir saisi le monde de la communication, et que cela signifiait un certain retour à la raison et à l’équilibre du jugement politique :
« Pour cette fois, je ne partage pas son analyse ; la fatigue, certes, sans aucun doute, pour lui, pour nous, pour eux, pour tout le monde en un sens, comme en un moment de lucidité que la folie du monde, ou ce qui nous semble être la folie du monde, nous accorde. Selon mon sentiment, ce n’est qu’un moment, un moment de répit certes, de notre si grosse-fatigue devant la folie du monde ; mais je ne crois pas que cette folie soit de notre fait, ou plutôt que cette folie soit vraiment une folie. Tout cela nous semble la “folie du monde”, parce que nous avons fabriqué dans nos esprits un monde enfanté par la modernité, énorme simulacre faussaire, incroyable emmêlements de nœuds gordiens dans tous les sens. Ce que nous croyons être “la folie du monde”, c’est-à-dire une “folie du monde” dont nous serions les auteurs, me paraît être d’une façon très différente le produit de l’énorme puissance du monde qui rompt et brise les liens dont notre folie (la vraie) de fatuité et d’hybris l’avaient couvert, – et cette “folie du monde” n’étant en fait rien de moins que “la fureur du monde” ayant décidé que cela suffisait comme ça. »
Cette fatigue, donc, n’empêche pas les dirigeants démocrates, dame Pelosi en tête, de continuer leur quête furieuse d’une destitution du président qui, si elle passe le stade de la mise en accusation (vote de la Chambre) nous promet des séances mémorables devant le Sénat érigé en tribunal puisque l’auguste président Trump, qui ne doute pas d’être triomphalement acquitté, a aussitôt précisé : « Nous ferons témoigner Schiff, les Bidens, Pelosi et bien d'autres, et nous révélerons, pour la première fois, à quel point notre système est corrompu. J'ai été élu pour “drainer le marigot” et c’est ce que je fais ! »
Cela signifie qu’on peut compter que le grand cirque de “D.C.-la-folle”, malgré les nombreux ratés démocrates des audiences de la Commission du Renseignement de la Chambre d’Adam Schiff sur la destitution, se poursuivra, et l’antagonisme se radicalisant constamment avec. Du coup, ce que nous avons désigné comme la “Grosse-Fatigue” devenu comme nous l’avons dit un moment pour souffler un peu, prendre une certaine distance des événements et envisager les perspectives, essentiellement du côté conservateur parce que le côté démocrate/progressiste-sociétal continue, lui, à être emporté par sa rage antiTrump et ne participe guère à ce moment d’accalmie de la pensée ; la fatigue, chez lui, pousserait plutôt la rage au comble de l’hystérie... Et le fait qu’on peut constater alors est que les réflexions plus maîtrisées conduisent à des perspectives de rupture où des mots tels que “scission”, “sécession”, “séparation”, relaient le constat jusqu’ici majoritaire d’une “guerre civile froide” pouvant devenir très chaude.
Nous allons citer quelques appréciations dans ce sens, où l’on retrouve partout l’argument d’une sorte de situation bloquée, qui est encore plus imprimée dans la psychologie que dans la politique elle-même.
• Il y a un petit mois, Brandon Smith envisageait un prolongement probable où ce qu’il désigne comme le parti “globaliste” (pour les progressistes-sociétaux comprenant démocrates et Corporate Power activiste) chercherait à provoquer aux USA un conflit de type G4G (Guerre de 4èmeGénération, hybride, avec forte utilisation de la communication, des réseaux sociaux, etc.) impliquant à terme un processus de sécession. (Traduction du texte de B.S. sur Le Sakerfrancophone le 2 décembre.)
« Je tiens à être absolument clair et à dire que je reste très sceptique quant au fait que le cirque de la destitution n’est rien de plus qu’une distraction de plus pour le public, et je pense qu’il n’ira nulle part (tout comme pour le RussiaGate). Cela dit, je pense fermement qu’il y a des possibilités que les globalistes jouent le jeu d’une guerre de 4e génération ici. Une guerre civile, si elle est dirigée et manipulée de la bonne façon, pourrait être très bénéfique pour les élites tant qu’elle est combinée avec quelques autres ingrédients. »
• Le 2 décembre 2019, le commentateur très écouté Angelo Codevilla (sur TheAmericanGreatness) parlait d’une « Stratégie déplorable au-delà de 2020 », qu’il faudrait lire plutôt comme « Une stratégie des Déplorables au-delà de 2020 », en référence aux Deplorablesdénoncés avec la grâce qu’on sait par Hillary Clinton en 2016.
Le texte de Codevilla est sans doute le plus intéressant parce qu’il prend en compte nombre de facteurs et surtout qu’il met en évidence combien il importe pour ceux qui s’opposent aux “déconstructeurs” (donnons ce nom en l’étendant aux domaines politique, culturel, psychologique, aux démocrates/globalistes/progressistes-sociétaux travaillant pour le Système) de cesser de se référer à Trump, de ne concevoir une stratégie de défense ou de contre-attaque qu’en fonction de Trump. Le cas de Trump est douteux, comme chacun devrait savoir : s’il excelle à développer le désordre et faire sortir les déconstructeurs de leurs bunkers de vertus progressistes et montrer leur vrai visage, il n’en est pas moins liés aux globalistes et au Corporate Power, éventuellement au pseudo-DeepStateselon l’occasion. Trump est un paratonnerre utile, qui déclenche des orages révélateurs, mais ce n’est certainement pas un véritable meneur d’une résistance contre la déconstruction qui vient paradoxalement (en apparence) des puissance structurées, centralisées et concentrationnaires du Système.
« En surface, la “Résistance” de la classe dirigeante depuis 2016 s'est concentrée sur Trump. Notre tentation de nous concentrer sur les combats concernant Trump a occulté le fait que leur véritable attaque est contre nous. Dans l'instant qui suivra les élections de 2020, quoi qu'il arrive, il n'y aura aucune excuse de notre part pour ne pas accorder l'attention voulue à la véritable question : Qu'adviendra-t-il de nous ? Que pouvons-nous, que devons-nous faire pour nous-mêmes ?
» De terribles perspectives, quel qu'en soit le résultat.
» Si Donald Trump était réélu en 2020, comme c'est probable, il n'y a aucune raison de penser que son second gouvernement ferait se relâcher l’emprise de la classe dirigeante[les déconstructeurs dans notre langage] sur nos vies plus que le premier. Si un démocrate l’emportait, nous pouvons être certains que les exigences à notre encontre augmenteraient et que la pression du gouvernement s'intensifierait encore davantage[dans le sens de la déconstruction] dans les domaines de l'éducation, de la parole, de la religion, de la médecine, du droit et de toute forme d'administration.
» Dans les deux cas, après les élections de 2020, les Américains ordinaires seront confrontés à la même question épouvantable qu'en 2016 : comment pouvons-nous garantir et peut-être restaurer notre liberté de vivre en tant qu'Américains, qui diminue rapidement ? Et bien que nous puissions souhaiter l'aide de Trump, nous devons nous tourner vers nous-mêmes et vers d'autres dirigeants pour savoir comment nous pouvons contrer les multiples assauts de la classe dirigeante[déconstructeurs] maintenant, dans l’instant présent, et surtout à terme.
» Depuis 2016, la classe dirigeante ne laisse aucun doute sur le fait qu’elle ne se contente pas de mettre en œuvre les politiques choisies : Elle exprime son identité, une identité qui s’est développée et est devenue ontologique depuis plus d’un demi-siècle, et qu’elle ne peut plus changer.
» Cela signifie vraiment qu’il est désormais hors de question de restaurer quelque chose comme les États-Unis d'Amérique des fondateurs. Le conservatisme constitutionnel au nom d’un pays dont une grande partie est absorbée par l'identité révolutionnaire, qui rejette la définition des mots dans le dictionnaire, qui rejette la citoyenneté commune, est absolument impossible. Même gagner une guerre civile sanglante contre la classe dirigeante ne pourrait pas accomplir une telle chose. [...]
» Le recours logique est de conserver ce qui peut être conservé, et de le faire par, de, et pour ceux qui souhaitent le conserver. Quelle que soit la force nécessaire pour y parvenir, l’objectif doit être la conservation des personnes et des moyens que l’on souhaite conserver.
» Cela signifie une sorte de séparation »
... C’est-à-dire une séparation, une rupture, une fracture, un éclatement des États-Unis d’Amérique.
• Le 4 décembre 2019 (repris le 5 décembre par ZeroHedge.com), Ryan McMaken reprenait de nombreux extraits du texte de Codevilla en suivant son raisonnement, appuyant principalement sur ce fait : si nous voulons éviter une guerre civile qui peut être sanglante, et il faut éviter cette guerre civile, la solution se nomme, au choix : décentralisation, nullification, sécession. Sa tactique consiste en une sorte d’“incivisme anti-fédéral doux”, si l’on veut une “dévolution à la Gandhi”, simplement en refusant les ordres du gouvernement fédéral, en faisant agir les autorités des structures de chaque État qui emprunte cette voies, en refusant toute aide aux fonctionnaires fédéraux, en faisant la grève de l’impôt fédéral, etc.
(Il n’étonnera personne d’apprendre que McMaken écrit sur le site Mises Institute, un des relais des libertariens aux USA, partisans de l’hyper anti-centralisation, partisan du gouvernement hyper-minimal, etc. En Europe, cette attitude serait vue comme pro-Système, anti-souverainiste ; aux USA, elle est évidemment antiSystème parce que le Système a envahi le centre fédéral et qu’il est déconstructeur paradoxalement à partir du centre structuré. Nous ne parlons pas idéologie ici, il n’en est pas question ; nous parlons Système et antiSystème, et les masques idéologiques des uns et des autres sont multiples et variés, et ne doivent tromper personne.)
• Nous nous en voudrions de ne pas citer une intervention en apparence assez (mais pas complètement) innocente du colonel Lang, pourtant citoyen américain apparemment impeccable et respectueux de la Constitution et de ce qui a suivi aux USA ; mais aussi citoyen qui commence à être excédé, d’une part par l’immonde usine à gaz productrice de mort, de chaos, de nihilisme et d’entropisation qu’est le CMI, ou communauté de sécurité nationale ; d’autre part, pas l’ébahissement de l’idiotie hystérique des déconstructeurs culturels et psychologiques type progressistes-sociétaux. Son petit article du 4 décembre 2019, sous le titre très explicite de « 11 Nations or 1 ? », emprunte à des thèses diffusées ces dernières années, par des gens comme Roger D. Woodard et Joel Garreau. La réflexion porte sur l’identité culturelle dans le sens où il n’existe par une identité culturelle aux USA, mais plusieurs identités culturelle, – on débat entre 9 et 11, – qui composent une mosaïque interdisant l’existence d’une identité culturelle US. Ce facteur est bien entendu, quoique sous-jacent, un puissant moteur pour accélérer et structurer puissamment et très rapidement le processus d’éclatement des USA en cours. Il y a même, signale Woodard, une sorte de processus d’auto-nettoyage ethnique (si l’on tient l’identité culturelle comme fondement des regroupements dits-ethniques, ce qui nous semble plus approfondi et pertinent que les raisonnements purement ethniques). A propos des déplacements de population dans un pays où la mobilité des citoyens est légendaire, Woodard remarque que « les gens choisissent de déménager dans des endroits où ils s’identifient aux valeurs qui y sont privilégiées. Les minorités rouges vont au Sud et les minorités bleues vont au Nord pour devenir majoritaires. C’est pourquoi les États bleus deviennent plus bleus et les États rouges deviennent plus rouges, et que les États neutres se réduisent de plus en plus. »
En ne prenant pas les notions de Sud et de Nord dans le sens traditionnels, et en ayant à l’esprit que les États “bleus” sont démocrates et les États “rouges” républicains, cela conduit au constat de Lang que « Malgré le programme d’endoctrinement[enseignant qu’il existe une identité culturelle américaniste], les différences culturelles entre les citoyens des États-Unis persistent sur la base de cultures régionales d’origines diverses et, comme l'écrit Woodard, ces différences s'accentuent à mesure que la population du pays se redistribue. »
Dans le climat actuel d’affrontement et d’antagonisme hystérique, il nous apparaît tout à fait probable que ce mouvement d’auto-nettoyage culturel ne peut que s’accélérer et installerde factoune situation générale propice à toutes les tensions centrifuges de nullification, de sécession, de séparation...
Pour introduire notre commentaire sur ce dossier par un biais différent du constat de la situation telle qu’elle est décrite, avec les commentaire qui vont avec, nous prenons un autre chemin, mais qui est absolument complémentaire de cette situation, et qui même la renforce absolument. Il faut revenir à un point de notre second paragraphe d’introduction qui situait l’état d’esprit des USA au travers des analyses de commentateurs qui, dans ce moment de “Grosse-Fatigue”, “pensent à l’au-delà-2020 et même à l’au-delà-Trump même si l’actuel président le reste quatre ans de plus”.
Lorsque nous écrivons que “cette pensée ne fait qu’acter la fracture béante apparue en 2016 et que rien, selon eux, ne pourra plus combler, et que Trump lui-même, bien entendu, devra subir comme il la subit aujourd’hui”, nous allons beaucoup plus loin qu’une remarque d’une circonstance politique, d’ailleurs comme nous y engagent les divers exemples d’intervention vus plus haut. Notre propos relève de notre volonté d’acter comme un fait absolument indéniable l’inexistence ontologique de la légitimité et donc la possibilité de l’autorité des USA tels qu’ils sont aujourd’hui, et d’ailleurs et surtout tels que les USA ont été conçus. Pour situer cette partie de la base ontologique de la réflexion, nous reprenons quelques lignes d’un commentaire d’hier :
« D’une certaine façon, les USA étant conçus comme une sorte de “régime parfait”, d’ailleurs selon des normes de communication propagandiste que nombre de grands esprits non-US acceptaient (Germaine de Staël à Jefferson en 1815 : “Si vous parvenez à détruire l’esclavage dans le Midi, il y aura au moins dans le monde un gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir”), il n’est pas nécessaire du tout qu’ils soient structurés aussi fermement et dans le même sens, d’une façon aussi principielle qu’un État-nation en Europe. [...]
» Ainsi certains seraient-ils conduits à dire, et justifiés de dire d’ailleurs, que l’achèvement quasiment parfait du modèle démocratique porte en lui-même sa propre mort, comme la surpuissance du Système accouche en même temps qu’elle s’affirme, de son autodestruction. On en déduira que, observant les USA agités dans leurs délires furieux, c’est le modèle même de la modernité que l’on voit s’agiter fiévreusement dans les rets de sa crise ontologique, sous nos yeux qui ne sont même plus ébahis tant le spectacle dure et se poursuit sans dévier d’un millimètre dans sa course vers l’abîme.
» Nous ne croyons nullement que les USA, ainsi remis dans leur véritable perspective, se dirigent vers une dictature militaire ou quelque chose de la sorte. Toutes les impuissances du pouvoir civil ainsi détaillées sont partout présentes, pour quelque pouvoir que ce soit. Si un pouvoir militaire s’installait, il se heurterait aux mêmes obstacles de la pratique de la Constitution et des mœurs et structurations des élites qui prévoient un pouvoir qui s’exerce d’une façon “fragmentée, non linéaire et précaire”[c’est-à-dire en vérité un non-pouvoir]. Certes, il règnerait par les armes, – et encore, s’il y arrive, – mais il n’acquerrait jamais, ni légitimité, ni autorité par conséquent ; simplement parce que les USA sont cette construction “parfaite” qui plaisait tant à Germaine [de Staël], qui ne peut véritablement concevoir aucune autorité qui soit légitime puisque règne l’égalité intrinsèque voulue par la démocratie après qu’elle ait été annoncée par la religion, dominante et ultime selon l’oreille qu’on lui prête. »
On notera, dans le même sens, que nous sommes intervenus plusieurs fois, à propos de réflexions et de commentaires sur la Grande Dépression, et sur le fait que ce terrible accident avait en fait, par son caractère de rupture tragique qui découvrit l’absence d’ontologie de l’Amlérique, définitivement compromis la formation d’un “caractère américain”, c’est-à-dire d’une “identité culturelle” permettant et justifiant de voir les USA comme une nation disposant d’une légitimité, et par conséquent répondant à une autorité qui la représenterait d’une façon historiquement acceptable. Nous écrivions notamment dans le texte du 6 janvier 2012 sur « Le paradoxe d’Appomattox » (*) :
« ...Cette structure de facto de l’Amérique n’a pas vraiment changé. Il est très caractéristique pour notre propos que, dans les années 1920, lorsqu'un débat culturel et politique fait rage entre l'Europe et les États-Unis sur le sens de la civilisation nouvelle que nous propose l'Amérique, nombre d'intellectuels et d'artistes européens avancent comme argument principal contre la civilisation américaine que l'Amérique n'a pas d'âme. Le constat de Tocqueville (“jusqu'à présent on ne peut dire qu'il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n'en point avoir”) revient à l'esprit, pour constater à nouveau qu'il n'y a rien de nouveau selon un esprit trempé à la civilisation européenne. (En 1928, le comte Henri de Keyserling, historien-psychologue allemand fort proche de l'école néo-pangermaniste spanglérienne, estimait dans son “Diagnostic de l'Amérique et de l'américanisme” que “ce qu'on peut appeler le ‘manque d'âme’ des Américains vient en premier lieu du fait que l'Amérique est encore une colonie, et que jusqu'à l'heure actuelle une civilisation véritablement autochtone ne s'y est pas développée”. Il notait un peu plus loin, montrant par là son optimisme, mais réaffirmant in fine que l'absence de caractère noté par Tocqueville subsistait: “Il est de fait que le nouveau continent produit effectivement et irrésistiblement un nouveau type humain… [...] Et ceci, à son tour, doit nécessairement mener, et mène en fait, à la naissance et au développement d'une âme d'espèce nouvelle”. On comprend que le ‘caractère’ de Tocqueville et l’‘âme’ de Keyserling sont une seule et même chose, qui manque décisivement aux Américains. L’hypothèse de Keyserling sur la naissance d’une ‘âme américaine’ fut décisivement démentie par la Grande Dépression. Il n’y a donc, aujourd’hui, toujours pas d’‘âme’, ou de ‘caractère’ américain, – mais nous savons bien, au moins depuis le docteur Beard, qu’il y a ‘une maladie américaine’.) »
Cette vérité-de-situation qui éclate aujourd’hui horriblement dans une division sans retour, cette situation ontologique de l’être-USA, qui est en fait l’ontologie subversive-invertie de l’inexistence, l’absence (de principes et de structures) comme “être” selon la modernité, commence à apparaître comme le principal enseignement des quatre folles dernières années vécues depuis USA-2020. La durée du climat, de la fureur, de la haine, le constat de la rupture ontologique entre au moins deux catégories de citoyens, conduisent à des observations de plus en plus radicales, mais de plus en plus, elles, structurées : la nécessité de la Séparation, de la Sécession... Le stade de la “guerre civile” est dépassé, elle-même jugée inefficace, impuissante et sans issue, en plus évidemment d’être sanglante et destructrice.
Les USA, dans leur course folle certes mais aussi dans leur course logique du Système surpuissant accouchant de son autodestruction-antiSystème, renversent complètement la logique qui conduit la société des hommes. Elle rend la déconstruction vertueuse et structurante, dans la mesure où cette déconstruction s’attaque à des structures dont on découvre (pour ceux qui voulurent bien s’aveugler) qu’elles ont été construites avec les débris de la Tradition attaquée par la modernité. Ceux que nous nommons plus haut “les déconstructeurs” sont en réalité ceux qui tiennent les structures de la modernité, et surtout les structures de pensées de la modernité, fabriquées à partir des restes de ce que la modernité a pu déstructurer de la Tradition. Au bout du compte, ce que ces “déconstructeurs” ont structuré, c’est l’infamie, c’est le simulacre, c’est l’emprisonnement de l’esprit critique, c’est la zombification pour tous (et d’abord pour eux-mêmes), c’est lanarrative-pour-les-Nuls. Les déconstructeurs de l’Amérique qui parlent aujourd’hui de sécession, de nullification, de séparation, ce sont eux qui portent la tâche fondamentalement antiSystème, déconstructeurs des déconstructeurs.
Nous accordons une grande importance à ce mouvement dont la latence existe dans sa phase actuelle depuis une décennie (apparition des néo-sécessionnistes), parce qu’il a de fortes chances de réussir dans le climat forcené actuel. Cela se sent bien dans l’abondance de scénarios et projections dans ce sens, où l’on constate qu’il n’y a aucune identité américaine à opposer à cette dynamique centrifuge mais un simple brouhaha, un “bruit de fond“ de communication qui va de Hollywood à “D.C.-la-folle” et à l’“exceptionnalisme” à-la-Obama en passant par Silicon Valley.
Bien entendu, ce qui est en jeu ici, on l’a évidemment compris, ce n’est pas les positions des puissances, le remplacement d’une superpuissance par une autre, la prépondérance du dollar menacée, le nombre de porte-avions à couler et ainsi de suite ; ce qui est en jeu ici, ce n’est rien de moins que la modernité dans tous ses états et dans tous ses ébats ; si l’Amérique s’écroule en fragments ou en débris divers, c’est toute une civilisation, et même plus encore, tout un monde en rupture complète avec ce qui l’a précédé qui s’effondre. La grève française du 5 décembre et la suite, l’ébranlement de l’OTAN, la fureur des peuples dans tant de pays, les guerres diverses auxquelles on refuse ce nom malgré les dizaines, les centaines de milliers de victimes, tout cela doit être rassemblé dans une seule et unique catastrophe qui ébranle le monde... La modernité-tardive devenue la modernité dissoute, dispersée, réduite à ses poussières.
Les contempteurs de l’American Dream, – oh, comme ils sont nombreux chez nous, – peuvent être rassurés. Leur idole reste la première, comme elle a toujours été la première en tout, dans l’avancement des choses. Elle est la première à s’effondrer, elle qui est née de la modernité, entraînant la modernité dans sa chute. Le Système fait ses comptes en se demandant s’il n’a pas été floué ; le diable sifflote en regardant ailleurs, comme si cela ne le concernait pas vraiment, si prompt à retirer sa responsabilité quand les choses tournent mal. Epstein, lui, n’est plus dans sa cellule depuis longtemps et le Duke of York fait tourner les tables pour tenter d’entrer en communication avec lui et d’obtenir un témoignage sur son absence de transpiration...
(*) Pour introduction de cet extrait que nous présentons dans notre texte, nous donnons ceci en note (très longue mais pas inutile), pour ne pas alourdir le texte principal. On le lira en ayant à l’esprit qu’il précède directement l’extrait qui nous renvoie à cette note, du texte référencé du « Paradoxe d’Appomattox »
« En 1831, Alexis de Tocqueville débarque en Amérique. Il observe, il parle, il s'informe. Dans son esprit se forme le schéma de sa magistrale étude sur la démocratie américaine. En attendant, il note ses premières observations, du pris sur le vif. Voici ce qu'il écrit, dans une lettre du 1er juin 1831: “Les hommes qui vivent sous ses lois [de la société américaine] sont encore anglais, français, allemands, hollandais. Ils n'ont ni religion, ni mœurs, ni idées communes ; jusqu'à présent on ne peut dire qu'il y ait un caractère américain à moins que ce soit celui de n'en point avoir. Il n’existe point ici de souvenirs communs, d'attachements nationaux. Quel peut être le seul lien qui unisse les différentes parties de ce vaste corps ? L’intérêt.”
» Voici ces hommes et ces femmes attachés par le seul intérêt : quelle société, quelle république peuvent-ils former ? Tocqueville, à nouveau (lettre du 29 mai 1831) : “Le principe des républiques anciennes était le sacrifice de l'intérêt particulier au bien général, dans ce sens, on peut dire qu'elles étaient vertueuses. Le principe de celle-ci me paraît de faire rentrer l'intérêt particulier dans l'intérêt général. Une sorte d'égoïsme raffiné et intelligent semble être le pivot sur lequel roule toute la machine. Ces gens-ci ne s'embarrassent pas à rechercher si la vertu publique est bonne, mais ils prétendent prouver qu'elle est utile.” Nous avons les éléments qui nous importent: un seul lien, l'intérêt, c'est-à-dire que la fortune domine et qu'elle est la mesure de toute chose, de la vertu autant que de la puissance, autant que du rang; il n'y a pas de bien public au sens régalien du terme, il n'y a pas de vertu civique sinon cette vertu en ce qu'elle est utile, c'est-à-dire en ce qu'elle permet à la fortune de fructifier. Par conséquent toute représentation immanente du bien public, tout pouvoir prétendant représenter un bien public comme quelque chose d'historique qui échappe aux intérêts individuels, qui ne soit pas l'addition des égoïsmes individuels, — un tel pouvoir est inconcevable. Aucune tradition historique ne vient nuancer cette situation, et cette situation n'a aucune chance d'évoluer en quelque chose qui permettrait d'établir une tradition historique hors des égoïsmes individuels puisque ce sont les égoïsmes individuels qui tiennent le pouvoir et veillent au grain. Quand le centralisme est installé, à partir de 1865, quand le pays est fermé pour permettre son développement (isolationnisme), quand des fortunes gigantesques se forment, elles tiennent naturellement la place au centre du gouvernement de l'Amérique, comme inspiratrices de ce gouvernement, et le gouvernement lui-même n'est qu'un appoint à qui l’on laisse les pompes et les ors de l'apparence ou un trublion qu'on remet vite dans le droit chemin lorsqu'il lui vient des idées d'émancipation. “Je suis ici pour représenter les intérêts du business”, dit en 1898 le président McKinley, parlant, comme on le comprend, de sa présence à la Maison-Blanche. Il n'y a pas un gramme de remord, pas un doute, pas une hésitation, dans ces mots. Dans les premières années 1900, quand il faut traiter les crises économiques et financières de la nation, le président Theodore Roosevelt s'en remet au banquier J. Pierpont Morgan. Le même Morgan, à partir de 1914-15, est le correspondant direct et officiel du Royaume-Uni, au nom de son propre pays (les USA), et son bailleur de fond pour les prêts que Londres veut obtenir de Washington; Londres contacte Washington, qui fait suivre à Morgan et à Wall Street, puis très vite, Londres contacte Morgan directement. Morgan, c'est le patron. »