Le goût des autres

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On s’attarde sur la question du traitement réaliste et honnête de la guerre en Irak par Hollywood, et de l’échec de cette démarche auprès des spectateurs US. Le texte de The Observer du 2 décembre que nous citons termine par un contre-exemple, – le cas d’un film “politique” qui a du succès aujourd’hui aux USA.

«But there is one war film left to come this season that looks likely to be a crowd pleaser. Charlie Wilson's War is primed for Oscar nominations and stars Tom Hanks as a Democratic Texas congressman who conspires to supply anti-aircraft missiles to the Mujahideen during the Soviet invasion of Afghanistan in the 1980s. It has all the ingredients for a hit – Hanks as a womanising alcoholic and hero; Julia Roberts, as one of the wealthiest women in Texas, Charlie's lover and avid anti-communist. Unlike the current crop of films about Iraq, it is a reminder of the nation's last clear strategic and moral victory: the defeat of communism. America as hero is uncomplicated, fun – and good for the box office.»

Ces remarques sont quelque peu décourageantes mais elles ne font que confirmer le reste (le refus catégorique de la réalité des Américains). Dans The Road to 9/11, de Peter Dale Scott (University of Califrnia Press, 2007), la carrière de Wilson dans ses rapports avec les moudjhaddines islamistes d’Afghanistan (à partir du début des années 1980) est rapportée pour ce qu’elle est. Voici un extrait de The Road to 9/11 (puisque nous devions recopier ce passage, nous avons poussé l’abnégation jusqu’à le traduire) :

«Le journaliste George Crile a montré que le parlementaire démocrate Charlie Wilson fut pratiquement le seul instigateur de la conversion des opérations de la CIA en Afghanistan d’une aide à la guérilla en une guerre offensive anti-soviétique à outrance. Son livre, “Charlie Wilson’s War”, est une leçon édifiante sur la façon dont une analyse et une compréhension erronées des problèmes posés par le secret du fonctionnement de la CIA peuvent conduire à une politique catastrophique. Inspirée par le livre anti-Nixon d’Arthur Schlesinger “La présidence impériale”, les réformes de la commission Church (des années 1974-1976) conduisirent à un contrôle accru de ces activités par le moyen de commissions aux pouvoirs renforcés dans les deux chambres. L’intention était de restreindre la CIA par le biais d’un réseau de contrôle du pouvoir législatif.

»Mais parce que l’environnement corrompu du secret où travaille la CIA ne fut en aucune façon mis en cause, l’effet de ces réformes conduisit à l’opposé: une porte encore plus largement ouverte au profit de la manipulation de tâches secondaires ou de projets satisfaisant des groupes d’intérêts. Soutenu par les lobbies de l’industrie de défense, Israël et l’Egypte, Wilson put forcer à diriger vers la CIA des centaines de $millions pour des programmes d’armement dont la CIA ne voulait pas. Grâce à sa position à la Commission de la Chambre sur le renseignement, Wilson réussissait encore à faire voter $200 millions pour la CIA dans ce même but de procurer des armements avancés aux islamistes, en 1991, alors que les Russes avaient depuis longtemps quitté l’Afghanistan. Cela fut fait contre l’opposition unanime de l’ambassade US au Pakistan, du secrétaire d’Etat Baker et de la Maison-Blanche qui avaient estimé qu’il était temps d’interrompre cette aide.»

Le “héros” présenté dans le film Charlie Wilson's War fut une des chevilles ouvrières, pour les motifs suspects et vénaux que rappellent Scott, de la transformation d’une situation du guérilla en Afghanistan en un situation de véritable guerre, avec des systèmes d’armes sophistiqués (missiles sol-air Stinger), situation qui contribua puissamment à former les groupes islamistes radicaux en forces appréciables et organisées. Cette transformation du conflit n’est pas, selon Scot, la cause de la défaite soviétique, mais prépara par contre les conditions des conflits actuels (l’attaque 9/11 et tout ce qui a précédé, les guerres actuelles, le désordre général qui caractérise notre époque, les revers de l’Amérique). C’est beaucoup pour un héros correspondant au vitualisme que le système entretient pour les USA. Dans son livre, Scott reprend l’extraordinaire et systématique implication de tous les pouvoirs US, les agences, les services parallèles des forces armées, l’industrie de l’armement, les pétroliers, etc., dans tous les mouvements islamistes et les forces satellites en formation à cette époque. La responsabilité US, y compris celle de Wilson, est totale et d’une complexité absolument kafkaïesque. Les causes sont courantes : intérêt du complexe militaro-industriel, des pétroliers, etc., la complète méconnaissance des conditions politiques et culturelles des régions impliquées soutenue par les habituels projets schizophréniques des grands stratèges expansionnistes US.


Mis en ligne le 3 décembre 2007 à 05H50