Le “French secret” des Britanniques

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Le “French secret” des Britanniques


16 octobre 2006 — Bien des signes, depuis des mois, depuis au moins quatre ans, s’inscrivent en faux contre la sotte description continentale — française essentiellement, ce qui esquisse la trame de cette analyse — d’un Royaume-Uni flamboyant, conquérant, moderniste, modèle de notre Europe de demain. Sotte description parce que non seulement fausse, mais encore plus, méchamment trompeuse jusqu’à compromettre les seules voies possibles d’un arrangement européen qui repousserait l’absurde main-mise bureaucratique et antipopulaire que les institutions européennes tentent d’établir sur les nations. Ce n’est pas un hasard que cette mauvaise action (de la part des institutions européennes) soit teintée des couleurs référentielles du flamboyant Royaume-Uni de Tony Blair qui n’existe pas (Le royaume enchanté de Tony Blair, selon Marcel Auclair).

D’autre part, des signes existent des tendances contraires. Intéressons-nous à nouveau au Royaume-Uni, le vrai, celui du général Sir Richard Dannat qui monte un guet-apens contre son Premier ministre, et le réussit, pour pouvoir exposer tout haut l’état pitoyable de la nation qu’il chérit et qu’il défend. Le Royaume-Uni de Sir Richard Dannat, qui est la réalité nue, n’est pas flamboyant, il est pathétique, — et c’est le legs du flamboyant Tony Blair. L’homme (Tony Blair) s’en tire et va faire grassement fructifier sa notoriété d’usurpateur, le pays paye les pots cassés. Drôle de morale politique, bien de notre temps.

Un de ces signes “des tendances contraires” nous vient de William Pfaff, retour de Londres le 11 octobre. Il écrit :

«Last weekend in London an organization called Intelligence Squared devoted three days of lectures and meetings to the unpromising cause of making the British like the French. Or if not like them, at least understand them better than usually is the case.

»The most daring proposition voiced was that of a “special relationship” with France to replace Britain’s existing relationship with the United States. Surprisingly, after an hour and half’s argument, audience opinion gave victory to a French connection. (Those attending were polled before and after the debate.)»

Pfaff n’y croit pourtant pas, bien qu’il admette évidemment qu’un lien puissant franco-anglais serait l’évidente, puissante et idéale colonne vertébrale d’une véritable Europe.

«There would be advantages in close cooperation between the two European states with the most experience of modern international politics and great power action, possessing the most serious military resources and forces in Europe.

»However a fundamental hostility towards France has long been embedded in English political culture, going back to the Norman Conquest and installation of French rulers in 1066.»

L’argument historique de Pfaff ne nous convainc pas bien que son scepticisme nous paraisse considérablement fondé, mais pour d’autres raisons. Il n’en manque pas, de raisons, pour être sceptique sur la possibilité d’une alliance privilégiée franco-anglaise. Ce scepticisme, finalement, plus que ses causes, est le principal obstacle à l’alliance. Nous sommes dans la psychologie.

Un autre signe intéressant est une tendance profonde, extraordinaire pour un peuple si fier et si patriote que l’anglais. Les Anglais votent avec leurs places assises dans l’Eurostar TGV qui les relie à la France, contre le “royaume enchanté” que leur a fagoté le mirobolant imposteur (TB). The Independent publiait, il y a quelques jours, les résultats d’une intéressante enquête sur les Britanniques, sur ce que l’auteur de l’article nomme «[the]Britain's middle-class love affair with all things Gallic» :

«A study of attitudes towards our closest neighbour has found that Britons would prefer to work in France or retire to France above any other country, including their own.

»The ICM survey found that if given a choice of nationality, just over half of Britons under 50 would retain their British passport. But 22 per cent would rather ditch their British status altogether and opt to become French.

»The findings come amid an upsurge of Francophilia in Britain. Britons now own £4.6bn of property in France and have bought some 51,000 homes across the Channel since 2000.

»The last French census in 2004 recorded a 50 per cent increase over five years in the number of Britons who live permanently in France to 100,000. About 500,000 Britons spend more than six weeks in France every year.»

Il n’est pas sûr que l’attirance des Britanniques pour la France soit d’ordre matériel exclusivement, ni d’ordre exotique éventuellement. Nick Wall, l’éditeur du magazine France (en French dans le titre : des magazines britanniques ont pour seul thème la France et les Français) nous dit, d’une façon énigmatique : «I think the British now have a deeper understanding of France and the French.»

Oublié, Guillaume le Conquérant? Voyez nos explications, notre hypothèse pour expliquer ce phénomène, dans notre rubrique “Notes de lecture” de ce jour.

Une hypothèse bénéfique dans un cadre explosif

Aujourd’hui, en Europe, l’idée franco-anglaise est une hypothèse dans l’esprit de tous, qui semble par ailleurs irréalisable à cause de cette chaîne qui tient l’Angleterre liée aux USA. Il est évidemment assuré que l’idée franco-anglaise ne peut se concrétiser que si l’Angleterre rompt avec les USA. Pfaff, qui ne croit pas possible cette alliance privilégiée France-Angleterre qu’il juge pourtant si souhaitable, la remplace par l’idée d’un nouveau rôle européen de l’Angleterre. Mais cette dernière hypothèse implique également, de façon impérative et comme condition sine qua non, la rupture des liens spéciaux britanniques avec les USA. Par conséquent, si cette rupture a lieu, nous en revenons à l’idée franco-anglaise, même dans un cadre européen renouvelé.

(Cela implique que nous écartons l’idée d’une impossibilité atavique d’une alliance franco-britannique. Certaines situations des temps d’urgence, notamment les liens franco-britanniques pendant la Grande Guerre jusqu’à l’acceptation sans réticences, voire empressée des Britanniques de voir l’armée anglaise sous un commandement unique français, une fois de façon temporaire en 1917 puis de façon organique en 1918, en font foi. Il s’agit de trouver un cadre commun propice plutôt que d’imaginer la soumission de l’un ou de l’autre, ou la dissolution de l’un ou de l’autre. Au contraire, une alliance anglo-française signifie la possibilité de l’affirmation identitaire de l’un et de l’autre, chacun dans son cadre national.)

Cette idée franco-anglaise est donc naturelle, évidente, aveuglante, — et extraordinairement difficile jusqu’à la perception de l’impossibilité de la réaliser. Les liens anglo-américains sont aujourd’hui de l’ordre du tabou qui paralyse le monde politique britannique, même si leur perversité, leur aspect évidemment maléfique, sont chaque jour démontrés. Revenir sur ces liens jusqu’à les dénouer semble une tâche herculéenne qui décourage d’avance (le fameux scepticisme). Reste l’hypothèse du noeud gordien : ce qu’on ne peut dénouer, on le tranche.

En effet, les temps sont extraordinaires. Ils nous engagent à évoquer même les choses extrêmement improbables jusqu’à l’impossible sous la forme d’hypothèses dignes d’être considérées. La chute dans l’état décrépit actuel de la puissance US, avec poursuite et accélération de cette chute, est quelque chose qui était totalement impensable il y a cinq ans à peine où la puissance US semblait à son zénith, “sans précédent dans l’Histoire” et bla bla bla, et qui s’est pourtant effectivement réalisée. Nous sommes bien dans des temps extraordinaires. L’hypothèse anglo-française peut, doit être également évoquée.

D’autre part, une convergence de circonstances nous presse de l’évoquer. Cette convergence devrait offrir un cadre explosif, éventuellement propice à la réalisation de situations improbables si les circonstances s’y prêtent, si les hommes ne s’y opposent pas trop (notamment parce qu’ils auront été surpris, car s’ils réfléchissent leur scepticisme prendra le dessus). Nous ne disons pas que ce cadre explosif sera nécessairement propice mais éventuellement propice. Il n’est pas sûr que la transmutation que suppose un tel retournement des alliances se fasse mais il nous semble assuré que, sans un tel cadre explosif, cette possibilité n’existera pas.

Voici ces circonstances, qui vont se concrétiser dans la première partie de 2007 :

• Le départ de Tony Blair, annoncé pour le printemps/la fin du printemps (autour de mai 2007 ?). C’est la condition sine qua non. Malgré toutes ses qualités, cet homme s’est irrémédiablement compromis dans une imposture scandaleuse et il en est prisonnier. Il en a voulu ainsi. Son départ pourrait être un moment cathartique.

• … Effectivement, le départ de Tony Blair sera très probablement le détonateur d’une crise de confiance USA-UK qui est déjà en train de se préparer. Cette crise de confiance pourrait avoir été préparée par d’autres heurts, notamment dans le cadre du programme JSF où le désaccord USA-UK est si profond et a une dimension politique incontestable. Elle pourrait être accélérée, aggravée par l’une ou l’autre décision britannique, notamment sur le retrait des troupes britanniques d’Irak.

• La campagne présidentielle française est un autre facteur important. Elle peut produire des effets divers, très radicalement opposés dans le cadre de l’hypothèse évoquée, soit défavorables, soit favorables. Elle peut notamment provoquer, en raison de circonstances extérieures et si la politique extérieure tient un rôle important dans la campagne présidentielle, une dramatisation poussant à considérer des choix radicaux dont celui d’un rapprochement décisif avec le Royaume-Uni.

• La paralysie intérieure US et l’aggravation de la crise du système sont des données quasiment inéluctables après les élections du 7 novembre qui devraient voir une victoire démocrate. S’ensuivront une paralysie intérieure accentuée et une aggravation de la bataille washingtonienne entre les diverses factions (démocrates versus le président, démocrates entre eux entre maximalistes et modérés, républicains entre eux, etc.).

• La possibilité d’une crise extérieure grave qui rende quasiment impossible la réaffirmation impérative de la soumission britannique aux ambitions incontrôlées, insensées et irrationnelles de la politique US. On songe essentiellement à une attaque de l’Iran par les USA, rendue d’autant plus possible par la nécessité pour l’administration de détourner l’attention de la paralysie interne, de réaffirmer son autorité intérieure (et extérieure). Les caractères des protagonistes (celui de GW notamment) ne contredisent certainement pas cette possibilité.

Il faut considérer tous ces points en corrélation les uns avec les autres, s’influençant fortement les uns les autres. L’argument qu’il est improbable que toutes ces causes favorables à l’hypothèse se réalisent simultanément est très amoindri à cause de la possibilité d’un enchaînement poussant à la réalisation en même temps de toutes ces causes favorables, par effet de contamination. On a alors l’hypothèse d’une période brutale de très grande tension à l’intérieur du camp occidental. C’est un cadre qui rend possible la réalisation de l’hypothèse évoquée.


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