Le DoD va-t-il réussir son “regime change” à Londres ?

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Le DoD va-t-il réussir son “regime change” à Londres ?


30 mai 2003 — Nous vivons des temps étonnants. La guerre qui devait durer des mois est finie depuis un mois et demi, après trois semaines, et déjà la vraie guerre atteint son régime de croisière. La “vraie guerre” ? Celle qu’on mène pour savoir pourquoi on a déclenché la guerre, l’autre, celle de trois semaines. Bref, l’affaire des WMD (appelons-les Weapons of Mass Destruction parce que, vraiment, c’est une affaire anglo-saxonne).

Aujourd’hui, étape supplémentaire : la “vraie guerre” des WMD n’est même plus de savoir s’il y en a. Cela, aujourd’hui, certains semblent s’en désintéresser, et même révéler qu’ils ne s’y intéressèrent jamais vraiment — disons, sauf quelques parlementaires, éditorialistes, ministres, etc, du Royaume-Uni, qui s’engagèrent dans cette guerre sur la foi de l’existence pour eux indubitable de ces WMD. C’est là que le scandale menace de prendre des allures de crise. Face à l’incroyable impudence des Américains, essentiellement Rumsfeld-Wolfowitz au DoD, la fureur des Britanniques ne cesse d’enfler, et l’on peut commencer à penser qu’à nouveau, hors-guerre pourrait-on dire, Tony Blair est sérieusement menacé.

Développons les deux aspects relevés ci-dessus :

• Après des “précisions” de Rumsfeld mercredi soir, disant négligemment qu’effectivement, il n’y a peut-être pas de WMD en Irak, c’est une déclaration de Wolfowitz (dans une interview à Vanity Fair) nous disant que l’argument des WMD n’était que cela, — un argument qui avait l’avantage de mettre un terme à une dispute bureaucratique en trouvant une logique sur laquelle tout le monde s’accordait. Bref, l’argument-WMD n’a été retenu que pour des motifs internes à Washington, et nullement à cause de son existence hypothétique. (D’autres révélations sont faites par Wolfowitz, notamment sur la nécessité de conquérir l’Irak pour remplacer l’Arabie où les forces US ne pouvaient plus rester, et sur l’activisme de Wolfowitz pour lancer une attaque contre l’Irak aussitôt après le 11 septembre, à la place de l’Afghanistan.)


« The Bush administration focused on alleged weapons of mass destruction as the primary justification for toppling Saddam Hussein by force because it was politically convenient, a top-level official at the Pentagon has acknowledged. The extraordinary admission comes in an interview with Paul Wolfowitz, the Deputy Defence Secretary, in the July issue of the magazine Vanity Fair.

(...)

» “For bureaucratic reasons we settled on one issue, weapons of mass destruction, because it was the one reason everyone could agree on,” Mr Wolfowitz tells the magazine. The comments suggest that, even for the US administration, the logic that was presented for going to war may have been an empty shell. They come to light, moreover, just two days after Mr Wolfowitz's immediate boss, Donald Rumsfeld, the Defence Secretary, conceded for the first time that the arms might never be found.

» The failure to find a single example of the weapons that London and Washington said were inside Iraq only makes the embarrassment more acute. Voices are increasingly being raised in the US — and Britain — demanding an explanation for why nothing has been found.

» Most striking is the fact that these latest remarks come from Mr Wolfowitz, recognised widely as the leader of the hawks' camp in Washington most responsible for urging President George Bush to use military might in Iraq. The magazine article reveals that Mr Wolfowitz was even pushing Mr Bush to attack Iraq immediately after the 11 September attacks in the US, instead of invading Afghanistan. »


• Les réactions au Royaume-Uni sont de plus en plus vives, comme le montre notamment un article de Robin Cook, ce matin dans The Independent. Le ministre démissionnaire, sur la défensive au moment de la victoire en Irak, est aujourd’hui complètement accusateur et met en question toute la politique de Tony Blair d’alignement sur Washington.


« As Donald Rumsfeld might express it, we have been suckered. Britain was conned into a war to disarm a phantom threat in which not even our major ally really believed. The truth is that the US chose to attack Iraq not because it posed a threat, but because they knew it was weak and expected its military to collapse.

» It is a truth that leaves the British government in an uncomfortable position. This week Tony Blair was pleading for everyone to show patience and to wait for weapons to be found. There is an historic problem with this plea. The war only took place because the coalition powers lost patience with Hans Blix and refused his plea for a few more months to complete his disarmament tasks.

» There is also a growing problem of transatlantic politics with the British Prime Minister's plea for more time. The US administration wanted the war to achieve regime change and now they have got it they do not see why they need to keep up the pretence that they fought it to deliver disarmament. The more time passes, the greater the gulf will widen between the obliging candour on the US side that there never was a weapons threat and the desperate obfuscation on the British side that we might still find one.

» There is always a bigger problem in denying reality than in admitting the truth. The time has come when the British government needs to concede that we did not go to war because Saddam was a threat to our national interests. We went to war for reasons of US foreign policy and Republican domestic politics.

» One advantage of such clarity is that it would help prevent us from being suckered a second time. Which brings us to Rumsfeld's latest sabre-rattling against Iran. (...)

(...)

» The blanket hostility to Iran of the Bush administration has undermined the reformers and provided a welcome shot in the arm to the ayatollahs.

» British policy on Iran makes sense in securing the advance of the reformers, which is in the interests of ourselves and of the Iranian people. This time we must make clear to the White House that we are not going to subordinate Britain's interests to a US policy of confrontation. Iran must not become the next Iraq. »


Ces événements sont extraordinaires, comme toute cette crise ne cesse de nous conduire dans un domaine complètement inexploré auparavant, fait d’inconscience, d’indifférence aux vrais problèmes, de manipulation du mensonge, etc. L’attitude d’indifférence du Pentagone au sort de Tony Blair et à l’alliance britannique dans cette affaire est stupéfiante, et ne peut s’expliquer que par l’état d’esprit régnant à Washington, d’arrogance, de suffisance, voire d’auto-désinformation sur les réalités. Washington vit en plein virtualisme, intéressé par ses seules querelles internes, par la seule bataille entre les groupes d’intérêts autour du pouvoir.

Bien entendu, Tony Blair se trouve (une fois de plus) directement menacé dans cette affaire, et, à plus ou moins brève échéance, la politique d’alignement sur Washington. Le deuxième point est évidemment le plus important. Si Blair continue à soutenir la fiction des WMD, la politique de Londres sera mise en question en dépit de lui, disons dès son départ, qui pourrait venir assez vite.

Le problème pour Blair est que, de plus en plus, cette affaire des WMD ne concerne plus les WMD. Les affirmations de Rumsfeld-Wolfowitz signifient que la décision de partir en guerre a été prise sans aucune référence à la réalité, simplement parce que cette guerre était voulue à l’intérieur de Washington, au DoD précisément. C’est-à-dire que l’existence ou pas des WMD n’a plus tellement d’importance, reste la démarche de Washington qui a trompé Londres, ou, dans tous les cas, nombre de députés et de dirigeants du parti travailliste. (Bien entendu, le cas est d’autant plus spectaculaire qu’on ne trouve pas de WMD.) Un tel scandale devrait mettre entre les deux capitales une telle mesure de méfiance qu’on voit mal la politique d’alignement sur Washington, voire les special relationships elles-mêmes, survivre très longtemps à Tony Blair.