Le désamour du monde

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Le désamour du monde


25 février 2003 — Le Washington Post publie le 24 février un article qui a semé l’émoi dans les diverses cellules de communication de l’administration, qui nous dit que l’image de GW dans le monde est déplorable, qu’elle ne cesse de s’enlaidir. Les ambassadeurs US dans le monde ne cessent d’envoyer des messages à ce sujet. Les spécialistes de l’administration ne cessent de s’interroger à cet égard : que se passe-t-il ? Comment est-il possible que, selon les termes que cet emploi nous propose pour nous expliquer cette préoccupation, « [m]any people in the world increasingly think President Bush is a greater threat to world peace than Iraqi President Saddam Hussein ».

Comprend-on, à Washington, ce qui se passe ? On déplore ce qui se passe mais c’est une autre chose que d’y comprendre quelque chose. Deux exemples, ci-après, extraits du texte, qui nous font craindre que, de ce côté, une formidable incommunicabilité soit fermement établie.

• Première citation  : « “It is rather astonishing,” said a senior U.S. official who has access to the reports. “There is an absence of any recognition that Hussein is the problem.” One ambassador, who represents the United States in an allied nation, bluntly cabled that in that country, Bush has become the enemy. » Cette citation nous dit tout, elle est, dirions-nous, « rather astonishing » Elle nous dit tout de la forme, non de l’argument US, mais de la psychologie américaine, et, sans doute plus précisément, de la psychologie bureaucratique américaine. Devant le constat que les opinions publiques attaquent GW, ne croient pas à l’argument US, font de GW un danger plus grand que Saddam, la réaction de bon sens (mais pro-US) serait : pourquoi ne partagent-ils pas notre analyse ? (Par conséquent : que faire pour les convaincre que Saddam est une crapule infiniment dangereuse ?) Pas du tout, la réaction est : puisque notre analyse est bonne, puisque «  Hussein is the problem », pourquoi ne la partagent-ils pas ? Il y a cet étonnant et décourageant processus d'objectivation de toute démarche du président, du système, de la bureaucratie, des USA ; l’argument partisan, dès qu’il est émis, devient vérité objective, non par tromperie, non par propagande, mais par évidence, sui generis si l’on veut. Cela est d’autant plus décourageant qu’il y a 3 ans, Saddam n’était pas plus l’ennemi que la Chine, et même plutôt moins, qu’il y a 15 ans on en disait que du bien et ainsi de suite. Nous ne sommes pas face à une propagande, nous sommes face à une psychologie différente, — ce pourquoi nous renvoyons systématiquement ce problème au virtualisme.

• « Polls have indicated that Americans are more likely to support an invasion of Iraq if they believe it has international backing ». Cela, on le sait depuis longtemps et, depuis longtemps, Washington peut affirmer à juste titre qu’il ne cesse de tenter de réunir cette coalition. Pour les Américains, le fait de “construire une coalition” (to build-up) est en soi une vertu, qui rend naturellement vertueuse la coalition et, par conséquent, confirme la vertu de l’acteur central (les USA, l’architecte). Comprennent-ils la différence qu’il y a, et notamment en matière d’effets sur une “image”, — entre réunir une coalition autour d’un but commun qui paraît évident à tous à mesure qu’on s’en explique, et s’acheter une coalition, à coups de prébendes, de menaces, de dons, et cela avec une impudence, une impudeur incroyables, au vu et au su de tout le monde au Conseil de Sécurité de l’ONU ? Il n’est même plus question de morale, il est question de la nausée qui vous vient devant cette activité si indécente. (Voir, pour info, dans notre rubrique Nos Choix, un texte sur cette activité américaine, montrant une activité sans la moindre vergogne.)

• Il y a des affirmations effrayantes d’ignorance, qui laissent à penser sur la culture historique de gens qui s’apprêtent à prendre des décisions dont on attend qu’elles fassent l’histoire. Dan Bartlett, le directeur de la communication de la Maison-Blanche, affirme : « History has proven that the closer you are to potential hostilities, the more vocal the opposition, [...] There is always going to be a faction of people that don't agree. » Bartlett a-t-il à l’esprit les exemples si nombreux, que ce soientt les Croisades ou la Grande Guerre, montrant au contraire la montée de l’enthousiasme, de la fièvre, de l’adhésion à la cause commune de la guerre, — bien souvent jusqu’à l’aveuglement d’ailleurs ? Qu’il n’y ait rien de pareil dans notre cas actuel, sinon une sorte de malaise général et des hystéries diverses sur les franges, et un énorme appareil de communication-propagande s’engluant dans ses erreurs et ses fabrications, voilà au contraire qui est considérablement nouveau dans l’histoire, en fait de “marche à la guerre”.

Par ailleurs, dans le texte sont énoncées des remarques de bon sens. Mais aucune ne parvient à percer le mur que dresse cette psychologie si particulière, qui, par le fait même, transforme tout problème en une bataille tranchée entre Bien et Mal, où l’argument US rendu objectif devient le Bien, — sans discussion possible. Dans ce cas, lorsque d’excellents arguments reflétant des faits sont avancés pour conduire à la suggestion de réapprécier la situation à leur lumière, la réponse qui est présentée par le même commentateur tourne à la riposte et retourne à l’absolutisme de l’évidence de la décision figée, appuyée sur la certitude de la chose jugée. Conclusion : le constat ayant été fait de l’immense désaccord, de l’immense opposition dans le reste du monde, rien ne sera changé, moins parce que cette administration fait montre d’une détermination extrême mais parce que cette détermination est appuyée sur la certitude absolue d’avoir raison, et parce que cette certitude d’avoir raison est appuyée sur la certitude que la cause américaine est objectivement la cause du bien. Comme l’observe Régis Debray, le monde du président Bush, s’il est « postmoderne dans sa technologie, semble prémoderne dans ses valeurs. Dans ses principes d’action, l’Amérique est deux ou trois siècles en arrière de la “vieille Europe” »


« Analysts and U.S. officials suggest a number of reasons the president has become the subject of such vitriol overseas. Some of it stems from personality: Bush's blunt manner and frequent references to religion appear especially grating to European ears, these analysts and officials say. But much of it is rooted in substantive questions about the role of U.S. power in the world and whether Bush is properly using it in his battle with Hussein.

» ''The debate [overseas] has not been about Iraq,'' a State Department official said. ''There is real angst in the world about our power, and what they perceive as the rawness, the arrogance, the unipolarity'' of the administration's actions.

» But, pointing to Bush's seemingly dismissive statements about the protests, the official said the concerns reflected in cables from American ''overseas posts'' appeared to have little impact on White House decision-making.

» Indeed, since the demonstrations, Bush has not acknowledged the concerns of the protesters or the fears they expressed, and he has not tried to counter their arguments that U.N. inspections must be allowed to continue.

» ''Democracy is a beautiful thing, and that people are allowed to express their opinion,'' Bush told reporters Tuesday. ''I welcome people's right to say what they believe. Secondly, evidently some of the world don't view Saddam Hussein as a risk to peace. I respectfully disagree.'' »