Le Deep State, arme de la  communication

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Le Deep State, arme de la  communication

L’on sait combien nous tenons que la bataille cosmique, type-Armageddon, livrée aujourd’hui autour de l’offensive surpuissante du Système et de sa survie de plus en plus problématique selon ses pulsions d’autodestruction , dans le cadre de sa Grande Crise d’effondrement, n’a rien à voir ni avec les chars et les porte-avions, ni avec le terrorisme et les plans d’installation d’un pseudo-chaos, ni avec les complots et les mouvements subversifs du type-“révolution-de-couleur”, ni avec les pseudo-idées comme par exemple les pensées audacieuses des progressistes-sociétaux. D’une façon très différente selon nous, cette bataille a tout à voir avec les mots et les composés de mots (expressions) acquérant dans la perception qu'on en a une puissance phénoménale avec leur dimension symbolique et le poids transcendant ou inverti c’est selon dont certains sont chargés. Ces mots, selon leur emploi et leur compréhension, nourrissent l’inversion ou permettent l’accès aux vérités-de-situation qui mettent en échec cette inversion ; plus encore, ils constituent des porte d’accès à l’intuition par leur signification transcendante, selon les conceptions logocratiques. Tout cela indique que le champ de la bataille se situe dans l’extrême vastitude du système de la communication.

Sur ce champ de bataille évolue une redoutable unité, à forte capacité fascinatoire, à forte charge symbolique, et appuyée de toutes les façons sur un dispositif réel de puissances existantes : l’expression  Deep State, ou “État profond”. On sait combien nous jugeons caractéristiques, et l’expression, et l’emploi qu’on en fait, et tout cela d’une considérable importance dans le point de vue que nous adoptons. En même temps, l’on sait que nous constatons l’existence d’une incompréhension ou d’une distorsion de sens à son égard. Cela est hors-sujet dans le cas qui nous occupe ici, puisqu’il est posé dans les données du problème que l’expression est comprise dans son sens péjoratif d’une puissance dissimulée qui orienterait et manipulerait les politiques nationales et le reste, une sorte de “complot permanent”, ou de Coup d’État permanent (*) si l’on veut rappeler le titre d’un livre fameux...

Il y a trois jours, nous commentions de cette façon (notamment) l’acceptation officielle, lors d’une conférence de presse du porte-parole de la Maison-Blanche, de l’emploi de l’expression Deep State/“État profond” : « Dans le cas qui nous occupe, l’officialisation du terme, quelle qu’en soit l’opinion qu’on en a, concourt in fine à donner du crédit à l’observation qu’il existe une offensive structurée et illégale contre l’administration Trump. L’article du NYT ne fait que montrer que l’“opposition”, forcée de débattre du terme, se trouve dialectiquement, et donc dans le champ essentiel de la communication, mise sur la défensive. Cette évolution symbolise bien la structure et le sens de la bataille en cours à Washington, qui n’a plus aucun lien avec la politique de sécurité nationale des USA. La “politique” de Trump, particulièrement incompréhensible, et dans tous les cas avec de moins en moins de rapports avec les promesses de la campagne, rencontre sur bien des points les conceptions des extrémistes washingtoniens, progressistes-sociétaux/R2P et neocons. Mais cela ne semble avoir strictement aucun effet sur l’offensive lancée contre Trump, qui se poursuit d’une façon spectaculaire au travers d’incidents comme celui du Procureur du Gouvernement du District Sud de New York (SDNY) Preet Bharara nommé par Obama, refusant de démissionner et licencié par le département de la justice de Trump. »

Effectivement, l’article du New York Times mentionné, du 10 mars, cautionnait la position quasi-officielle de l’“opposition” anti-Trump et du ... Deep State en affirmant dans son titre que le Deep State n’existe pas, sinon dans l’esprit fiévreux et paranoïaque des complotistes qui forment le cercle rapproché de Trump (« What Happens When You Fight a ‘Deep State’ That Doesn’t Exist »). Un élément nouveau est intervenu, avec un article d’AP, agence de presse centrale de la presseSystème, qui consacre une dépêche à cette question de l’existence du Deep State, d’une façon assez neutre qui fait une place importante aux affirmations de l’équipe Trump en n’opposant aucun démenti net et tranchant, laissant l’impression que l’existence du Deep State en tant que tel est parfaitement concevable sinon avérée. Signe de l’intérêt de cette dépêche pour les partisans de Trump, le site Breitbart.News a repris le texte dans son intégralité...

« The White House and its allies are stepping up their attacks on a foe typically associated with fragile democracies, military coups and spy thrillers. The “deep state,” an alleged shadowy network of powerful entrenched federal and military interests, has increasingly become the focus of Republicans who accuse such forces of trying to undermine the new president.

» Though senior White House staff members don’t use the exact label, the notion behind it has taken hold. President Donald Trump claims his predecessor tapped his phone and America’s intelligence agencies have conspired to leak harmful information to embarrass him. His chief strategist has vowed to dismantle the permanent Washington “administrative state.” White House spokesman Sean Spicer says “people that burrowed into government” are trying to sabotage the president.

» To Trump’s critics, these assertions come off as paranoid fear of a non-existent shadow government and an effort to create a scapegoat for the White House’s struggles. But to Trump’s supporters, this represents an overdue challenge to an elite ruling class concerned only with maintaining its own grasp on power. “Of course, the deep state exists. There’s a permanent state of massive bureaucracies that do whatever they want and set up deliberate leaks to attack the president,” said Newt Gingrich, a Trump confidant. “This is what the deep state does: They create a lie, spread a lie, fail to check the lie and then deny that they were behind the lie.”

» Historians believe the concept of the “deep state” comes from Turkey, where the term “derin devlet” meant a clandestine network, including intelligence and military officers, which protected the ruling class in the 1920s. Similar ideas have taken hold in Egypt, where the military has allied itself with powerful business interests, and Pakistan, with its robust intelligence service. In its current use, the concept has been twisted and broadened, encompassing a resistant bureaucracy and a regulatory regime rather than foreshadowing some sort of military intervention. Chief Trump strategist Steve Bannon has offered the loudest warnings about the opposition the president is facing from the deep state.

» In his only public speech since the election, Bannon told a conservative group that the White House’s goal was the “deconstruction of the administrative state,” a reflection of his belief that the massive federal government, with its burdensome regulations, does more to hinder than uplift citizens. It also echoes Bannon’s oft-stated worldview, frequently on display at his former news site Breitbart, that a global power structure — including government institutions — has rigged the economy.

» Gingrich, who says he has discussed the deep state with Bannon, likens its dangers to the plotline of the new season of “Homeland,” in which a conspiracy that includes career intelligence officers tries to subvert a president-elect. “They are fighting to keep hold of their power,” said the former House speaker, who asked a reporter not to spoil the two Homeland episodes of the season he has yet to see.

» The sprawling federal government, including its intelligence agencies, has thousands of employees who predate Trump, a mix of career staffers and those appointed by President Barack Obama whose replacements have yet to be named. Some have offered leaks, including sensitive documents, to reporters that provide a critical take on the president. Trump has insinuated that those holdovers are working against him — even suggesting that leaks from intelligences agencies were reminiscent of smear tactics utilized by Nazi Germany.

» Asked if the White House believes there is “a deep state that’s actively working to undermine the president,” Spicer said recently, “I don’t think it should come as any surprise that there are people that burrowed into government during eight years of the last administration and, you know, may have believed in that agenda and want to continue to seek it.” Sean Hannity, a Fox News host who has close to ties to Trump, opened a show last week by claiming there are “deep state Obama holdover government bureaucrats who are hell-bent on destroying this president.” “It’s time for the Trump administration to begin to purge these saboteurs before it’s too late,” Hannity said. »

Il ne s’agit pas seulement d’une querelle sémantique accessoire mais bien d’une phase importante de la bataille de la communication en cours aux USA, avec un très important élément dans le chef de la perception qu'on en a. Une chose est d’affirmer, par exemple, que la CIA a des menées obscures, une autre est d’affirmer l’existence d’un Deep State. Dans un cas, vous mettez en cause une structure bien identifiée, spécifique, c’est-à-dire un organisme ou une organisation qui constitue un simple composant du gouvernement US et ne compromet pas nécessairement la structure générale ; dans l’autre, vous présentez un concept “institutionnalisé” dont les contours sont extrêmement vagues, ce qui revient à jeter une suspicion générale sur un ensemble dans le gouvernement et des institutions, qui peut révéler une position nécessairement usurpatrice de contre-gouvernement institutionnalisé, voire un ensemble “putschiste”, une subversion au cœur même de l’État. Dans un cas, il y a une insubordination dans un cadre général qui reste dans sa position fondamentale, souveraine et légitimée de direction des affaires ; dans l’autre cas, c’est toute une structure aux contours indéfinis qui peut être mise en cause, c’est-à-dire selon une posture qui ne peut être définie que comme illégitime et inconstitutionnelle, effectivement selon le schéma d’un Coup d’État permanent qui menace la souveraineté et la légitimité.

L’importance de l’emploi de l’expression est ainsi éclairée par sa charge politique puissante, répercutée par le système de la communication et créant de facto une situation perçue comme une subversion d’État. Peu importe la réalité (laquelle n’a plus d’existence depuis beau et long temps), voire l’opérationnalité de la chose, n’importe dans cette sorte de bataille que la perception elle-même. On comprend alors que notre titre (« Le Deep State, arme de la communication ») indique une “arme” qui est le contraire de la puissance que représente le Deep State : si l’expression est adoubée par l’emploi quasi-officiel, y compris par les partisans du Deep State, le concept qu’elle représente devient reconnu et expose effectivement cette puissance, mais aussi son illégitimité à ciel ouvert, et l’on comprend bien que cette puissance si elle est perçue comme illégitime perd l’essentiel de son efficacité.

Le Deep State n’est une réelle puissance que s’il reste dissimulée, si son existence est improbable, élusive, insaisissable, si ceux qui veulent le dénoncer risquent l’accusation de paranoïa ou de complotisme s’ils le dénoncent. Mais on peut retourner cette puissance contre lui s’il est ainsi reconnu, en le chargeant de méfaits qu’il n’a pas nécessairement commis, d’intentions qu’il n’a pas réellement. Reconnu comme tel, comme le processus est en train de se réaliser, il devient bouc-émissaire, cible de convenance, coupable “utile” ; il opérationnalise l’“opposition” en une organisation gigantesque de subversion. C’est donc ce qui est en train de se passer aux USA, autour et contre le gouvernement Trump, dans un processus qui ne va certainement pas apaiser les tensions et rapprocher les adversaires, mais qui va permettre une lutte plus équilibrée, qui va pousser Trump et ses partisans à utiliser des moyens beaucoup plus décisifs, à devoir se battre réellement alors qu’ils ont jusqu’ici tenté d’éviter l’affrontement parce qu’ils n’avaient aucune certitude, ni de l’attaque lancée contre eux, ni de la puissance de l’ennemi.

Il y a, en marge de la bataille, une “conversation“ engagée aujourd’hui aux USA sur la “découverte”, l’évaluation, la description, l’historique du Deep State, qui émerge ainsi de son halo fascinatoire de mystère dans lequel les multiples utilisateurs de l’expression avaient jusqu’alors contribué à l’enfermer en ne la percevant que dans sa théorisation de concept. (Ainsi peut-on lire, par exemple, sur le même site Breitbart.News, au même 14 mars, un long article d’analyse d’un avocat célèbre, Robert Barnes, sur l’historique et la réelle signification du Deep State.)

Le Deep State mis à jour, qui s’avère n’être ni une arme absolue ni une structure invincible, mais bien un rassemblement partisan rassemblé dans la défense du Système (donc quelque chose de différent de ce que peut et doit être réellement un “État profond”), l’affrontement va s’amplifier bien plus qu’il ne l’a fait jusqu’ici. Aux USA, les adversaires se découvrent de plus en plus, en même temps qu’il apparaît combien l’establishment, le système de l’américanisme, le Système lui-même sont de plus en plus fracturés, divisés, atomisés en factions irréconciliables, tout cela impliquant un affrontement où les adversaires ne cherchent plus tant à imposer leurs vues qu’à éliminer impitoyablement leurs adversaires, parce que les uns et les autres ne souffrent plus d’avoir des adversaires... La mise à jour progressive du Deep State les réconcilie paradoxalement dans un irrévocable caractère commun de l’irréconciliable. On conclura donc que cette mise à jour de ce Deep State affirmant mener les affaires d’une position de force, invincible, inexpugnable et irrésistible, sert essentiellement à montrer ses fractures, ses divisions, son irréversible “guerre civile” qui implique son autodestruction... Le poids des mots est  !

 

Note

(*) Livre de François Mitterrand, en 1963, portant jugement du régime de la Vème République établi par le général de Gaulle, avec l’élection du président de la République au suffrage universel, approuvée par référendum en octobre 1962.

 

Mis en ligne le 15 mars 2017 à 12H57