Il y a 2 commentaires associés à cet article. Vous pouvez les consulter et réagir à votre tour.
26674 novembre 2015 – On se rappelle, dans tous les cas je l’espère, que j’ai déjà parlé de Gustave Le Bon et de son livre Psychologie de la guerre dans cet auguste Journal dde.crisis (le 15 septembre). Je venais à peine de commencer sa lecture et ces jours-ci j’en suis proche de la fin. (*) J’en reparlerais sans doute mais ce que je puis dire déjà, comme impression générale d’un livre écrit en 1915 est d’une part qu’il est, selon ce que j'en ressens dans ma conviction la plus forte, d’une étonnante véracité sur les conditions et la signification de cette Grande Guerre, reflétant un état d’esprit assez courant à l’époque ; là-dessus, j'ajoute que cela signifie que nous n’avons pas apporté beaucoup sur la connaissance de cet événement fondamental en un siècle car nous n’avons pas dit beaucoup de choses en mieux et écrit tellement de choses en pire. D’autre part, je trouve ce livre de 1915 beaucoup moins touché par la propagande, ou mieux dit, par la narrative, que ce que l’on a écrit dur la Grande guerre, surtout depuis 1945 où la mission principale des historiens, c'est-à-dire leur consigne, ne fut pas d’approcher la vérité mais d’exonérer l’Allemagne de toute responsabilité majeure ou comportement condamnable (durant la Grande Guerre), pour ramener le côté sombre de l’Allemagne à la seule période nazie et permettre de faire “Notre-Europe” aux petits oignons, avec une Allemagne hyper-démocratisée et lavée de tous ses péchés uniquement réservés au seul Adolf, – et honorable, l'Allemagne, avant et après lui. Le bouquin de Le Bon nous en raconte beaucoup, rétrospectivement, sur l’infamie obscène et absolument puante qu’est notre époque, notamment pour ce qui est de ce qu’ils nomment, ces valets-Système, l’“histoire”. Bref, vous mesurez mon humeur...
Bon, je reviendrai sur certains aspects du contenu de ce livre qui mérite bien autant d’attention que le célébrissime Psychologie des foules (du même Le Bon) ; dans l’attente certainement impatiente de mes lecteurs, je vais m’attacher ici à un point qui permettra d’introduire et de donner un coup de main aux esclaves de dedefensa.org qui se sont attelés à un texte, tout proche d’être mis en ligne dans nos colonnes, dont le thème est une mise à jour du concept d’inconnaissance (pour l’origine de la chose, voyez le 13 juillet 2011). Ce n’est pas que Le Bon en parle expressément et précisément, mais il fait des remarques qui montrent à la fois que la nature des choses est mieux révélée par l’inconnaissance que par la connaissance acharnée de tous les détails scientifiquement rangés, et que lui-même suivait cette méthode sans lui en donner le nom. Toute l’approche de son travail est, à mon avis, résumé par cette citation qui fait le début de l’introduction du second chapitre (Les incertitudes des récits de la bataille) du Livre II (Les inconnues de la guerre), p.325. Tout au long de son travail, il ne se prive pas de pulvériser l’information officielle du temps de guerre, ce qui montre une lucidité dont tant de nos chroniqueurs et commentateurs (cf. presse-Système) sont totalement, systématiquement, grossièrement et honteusement dépourvus :
« Je n’ai nullement l’intention d’aborder dans les pages qui vont suivre la description des principales batailles de la guerre européenne. J’en veux seulement retenir quelques enseignements psychologiques tels que le rôle de l’imprévu et de la volonté dans les grands évènements et aussi une justification de cette thèse : qu’il est est à peu près impossible de savoir comment se sont exactement passés des faits observés par plusieurs milliers de personnes. Le résultat final est connu ; mais la plupart des explications et des interprétations restent erronées. »
Autrement dit, cet homme sait déjà que les récits officiels sont, sinon faux, certainement douteux et tributaires de points de vue et de perceptions complètement différentes et biaisées (y compris entre alliés), particulièrement et précisément en temps de guerre ; il sait donc que les spéculations, informations, analyses, etc., du détail, de la structure et des interventions des humaines sont impuissants à nous restituer la réalité ; il sait enfin que ce qui subsiste et s’impose comme une vérité est le “résultat final” parce qu’on peut l’apprécier soi-même si l’on a l’expérience et l’intuition de le faire. Ainsi a-t-il défini en quelques lignes ce que nous nommons, pour notre part, dans dedefensa.org, la vérité-de-situation.
A mon sens, il est tout à fait justifié de comparer le temps de la Grande Guerre et notre époque, certainement du point de vue du système de la communication et du déchaînement de la technologisation car nous sommes, aujourd’hui, dans une guerre aussi acharnée et sans merci que ne le fut la Grande Guerre ; plus même et encore, et surtout, nous sommes dans un état d’esprit et dans une situation eschatologique que j’estime être d’une quasi-complète similitude. Cette idée n'est pas nouvelle puisqu'elle s'inscrit dans la thèse, notamment exposée dans La Grâce de l’Histoire, que la Grande Guerre est une véritable répétition de la Grande Crise Générale que nous vivons aujourd’hui. Voir par exemple un texte du 27 août 2013, et, plus simplement dit, cet extrait de la “4ème de couv’” de La Grâce, où “la dynamique de la séquence historique” concerne l’interprétation des évènements depuis le “déchaînement de la Matière” jusqu’à nos jours :
« Dans la dynamique de cette séquence historique, qui est identifiée comme le moteur fondamental conduisant à la crise actuelle, la Grande Guerre de 1914-1918 occupe une place centrale, à la fois comme un pivot de la dynamique en question et comme une “réplique sismique en amont” de notre crise, annonciatrice de cette crise. Il s’agit d’une approche entièrement nouvelle de la Grande Guerre, qui vaut essentiellement par l’identification des causes souterraines cachées, d’une très grande puissance, courant depuis le début du XIXème siècle (d’ailleurs se poursuivant après la Grande Guerre). Dans cette conception qui ne fait qu’une part très réduite à la politique, la Grande Guerre est une événement majeur de civilisation caractérisée pas une catastrophe technologique engendrant des destructions et des pertes épouvantables. Il ne s’agit en aucun cas d’un accident et d’une aberration, mais bien d’une poussée paroxystique d’une civilisation en crise, que nous retrouvons dans notre époque présente, sous d’autres formes. »
Le Bon laisse tomber les évènements factuellement décrits, sachant bien leur extrême relativité, leur véracité suspecte, et l’infection qu’ils portent avec eux lorsqu’on veut en faire le support d’une interprétation ou d’une analyse. Il sélectionne divers éléments, une description, une déclaration, et bien sûr un événement quand cela s’impose, selon à la fois une expérience évidente et une très grande intuition, et il s’attache à ce qui lui paraît essentiel, qui est d’abord la psychologie humaine confronté à un phénomène dont il mesure toute l’importance, qui est la mécanisation de la guerre, – nous dirions la “technologisation”. Le reste passe à la trappe de l’inconnaissance. Nulle description précise des opérations, ni des grands desseins, des plans ambitieux, etc., mais plutôt la mise en évidence de ces vérités-de-situation qui révèlent tout le reste.
En faisant bonne sélection pour éviter les redites et les “copiés-collés” des historiens-Système subventionnés, j’ai lu quelques livres sur la Grande Guerre, et également des comptes-rendus de colloques très récents, avec spécialistes français et allemands, dans le cadre du Mémorial de Verdun, en 2004 et 2007, et pour ces derniers notamment, avec les surprises qui vont avec. Personne n’est encore capable de donner une description satisfaisante de la vérité du déroulement de la bataille de La Marne, et l’on en est encore à s’interroger sur les réelles intentions du chef d’état-major de l’Armée Impériale allemande, Erich von Falkenhayn, lorsqu’il choisit, en décembre 1915, de lancer une très-grande offensive contre Verdun (effective le 21 février 1916). Par contre, pour ce qui est de la compréhension profonde de la guerre, nous sommes tombés de la finesse d’analyse d’un Le Bon de 1915, armé de sa vertueuse inconnaissance pour tenter de comprendre la psychologie fondamentale du conflit en cours, aux pleurnicheries sans fin et fort documenté sur les effectifs, les pertes et la longueur kilométriques des tranchées, du pacifisme officiel post-1945, nous parlant de “l’absurdité la guerre”, de la “souffrance individuelle” et des “carnages inexplicables” de la Grande Guerre. C’est toute la différence entre celui qui met un imperméable avant de sortir parce qu’il pleut, et celui qui sort sans autre précaution et s’exclame, furieux comme d’une trouvaille universelle : “Nom de Dieu, la pluie mouille et nous voilà trempés ! Que nous as-Tu fais là, Toi, Dieu, et à quoi sers-Tu donc ?”
Note
*) On s’étonnera peut-être de ma lenteur. Il est vrai que je lis entre 30 et 40 livres à la fois. Mais surtout et pour l’essentiel de mes lectures qui sont évidemment choisies, je ne “dévore” pas, je lis et relis, souvent avec précaution, revenant sur une phrase, la pesant et la soupesant, reprenant un passage après du temps, sans oublier les notes innombrables. Je lis comme Nietzsche conseillait de faire, à peu près comme une vache rumine.
Forum — Charger les commentaires