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28866 mai 2016 – Les élections US nous révèlent un secret bien gardé, ou bien dirais-je plus volontiers, mal-compris... Mais commençons pas le commencement : il était une fois un temps où la presse était, notamment aux USA, le “quatrième pouvoir” (après le juridique, le législatif et l’exécutif). Ce temps est révolu, enterré, décomposé et humilié, la presse devenue presse-Système et valet de pied des trois autres pouvoirs, selon les consignes et œillades du Système. Mais ce que je vais vous révéler, – même si le mot paraît un peu forcé, – c’est que cet ex-4ème pouvoir contient tout de même, lui-même, quatre pouvoirs dont un lui échappe complètement et échappe par conséquent aux trois autres principaux pouvoirs et au Système dont la presse-Système, ex-4ème pouvoir principal, est devenue le valet-de-pied... Et c’est comme si, miracle du système de la communication dans son monde-Janus, ce “4ème pouvoir de l’ex-4ème pouvoir” remplaçait à lui seul l’“ex-4ème pouvoir” devenu valet-de-pied, bref le ressuscitait à lui seul, – tour de passe-passe du système de la communication.
Mais d’abord, quelques explications sur les attendus de mon propos. Je distingue donc quatre pouvoir dans cet ancien 4ème pouvoir que fut la presse et que n’est plus la presse-Système.
• Le premier de ces 4 pouvoirs, c’est la propriété et la direction. Ceux qui possèdent l’organe de presse ou de communication et nomment ceux qui les dirigent, ceux dont le Système dit qu’ils sont tous “des nôtres”. Ce pouvoir s’intéresse à l’argent certes, en premier, toujours en premier ; évidemment aussi à la politique, par le biais de l’influence que lui donne l’outil qu’il possède, qui va dans le sens qu’on comprend sans explication nécessaire.
• Le deuxième pouvoir est celui de l’argent à nouveau, mais du rapport de l’argent : celui de la publicité, de toutes les activités mercantiles autour de ce support qu’est l’organe de presse/de communication, le pouvoir qui vend et se vend. Celui-là, ce pouvoir-là, est toujours écouté parce qu’il est la clef de l’argent.
• Le troisième pouvoir avait auparavant un rôle très grand et tout de même assez glorieux. Il s’agit du contenu de la chose, nommons cela “rédaction” si vous voulez : ceux qui écrivent, qui parlent, qui enquêtent, qui informent, qui commentent ... Mais tous ceux-là, que sont-ils devenus sous l’influence terrible de l’argent que font peser sur lui les deux précédents pouvoirs, que sont-ils devenus sous l’influence du Système qui rassemble le tout ? Ils sont dans une prison dorée qu’ils ont eux-mêmes dressée, en apparence obéissant à des consignes, en vérité suivant leur propre servilité volontaire, leur don presque magique pour l’autocensure, leur goût presque addictif pour la soumission au discours-Système.
Ce sont les trois pouvoirs classiques qui, dans l’état où on les décrit, ne sont plus que des débris de ce qu’ils furent, et le “quatrième pouvoir” tant célébré aux USA réduit à sa plus simple expression de l’inversion parfaitement réalisée. Mais j’ai précisé qu’il y avait quatre pouvoirs différents à l’intérieur de cet “ex-4ème pouvoir” (“Le 4ème pouvoir de l’ex-4ème pouvoir”). C’est celui-là qui m’intéresse...
Ce “4ème pouvoir à l’intérieur de l’ex-4ème pouvoir” est un pouvoir “de circonstance”, celui qui fait de la presse-Système (et d’autres moyens de communication, bien entendu) un relais et un reflet d’une personnalité ou d’une circonstance spectaculaire, sensationnelle (“qui fait sensation”), que tout le monde veut entendre et voir simplement pour l’effet qu’elle produit par rapport aux normes. Il n’est pas question, ici et du point de vue de la presse-Système, de soutenir ou de dénoncer, notamment en termes politiques, mais bien de se trouver devant un effet de communication et de l’emprunter soi-même, d’en faire partie soi-même pour en tirer profit parce que le profit est la règle principale en toutes choses dans cescontrées.
Cela vaut extrêmement pour la presse-Système, qui reste comptable, devant ses annonceurs notamment, et donc devant ses deux pouvoirs principaux qui sont ceux de l’argent, d’une certaine diffusion et d’une audience affirmée permettant de soutenir la manne sacrée des revenus. Ainsi se dégage ce “quatrième pouvoir de l’ex-4ème pouvoir”. Mais ce qui le caractérise principalement, c’est qu’il se constitue de lui-même, et bien souvent contre le gré des pseudo-détenteurs du pouvoir dans la presse-Système, et notamment contre leur gré du point de vue politique. Pour fixer les idées et mieux me faire à comprendre avant de passer à la circonstance qui m’importe, je dirais que Zemmour et son Suicide français ont constitué, à l’automne 2015, un exemple de ce phénomène : son succès considérable de librairie sur un sujet si extrêmement politique et polémique lui a donné un accès également considérable à tous les médias, notamment de la presse-Système, malgré la haine considérable qui s’exerce contre lui dans ces milieux. Mais qu’importe : le succès fait la notoriété, la notoriété attire le public, le public favorise le tirage des journaux et l’audience radiophonique et télévisuelle, et le tout draine la publicité, c’est-à-dire l’argent.
Ainsi en est-il depuis quasiment autour de neuf mois de Donald Trump. L’unanimité du Système était férocement contre lui, après l’avoir ignoré, dès qu’il est apparu qu’il avait sa place dans la compétition électorale. Cette hostilité n’a pratiquement jamais faibli, et elle s’est même amplifié jusqu’à ces dernières semaines. (Jusqu’à ce qu’il apparaisse que Trump allait irrésistiblement vers la désignation républicaine, avec une réelle possibilité de devenir le prochain président ; et l’on commence à voir bien des têtes tourner au vent nouveau, et si cet homme accède au pouvoir, à la présidence des USA, il pourra contempler les hordes de nouveaux partisans qui le haïssaient hier et qui considèreront demain qui le pouvoir vaut bien un parjure de plus.)
On a calculé en chiffres approximatifs la performance de communication qu’a réalisée The Donald durant cette période. (On prend des données à partir d’un texte de début avril, sur ZeroHedge.com : les chiffres sont si éloquents qu’ils restent évidemment valables un mois plus tard, et qu’ils se sont même accentués au profit de Trump.) Il s’agit d’une comparaison chiffrée fondée sur l’accès aux médias télévisées, durant cette période électorale. La presse-Système adore ces périodes électorales : autour de 90% des dépenses des candidats lui reviennent, surtout les TV sous forme de séquences vantant leurs mérites, discréditant leurs adversaires, etc. ; ces dépenses sont non seulement considérables mais extrêmement faciles et directes, puisqu’elles ne nécessitent aucun effort de marketing et sont en général payées cash et quasiment sans délai de facturation. La comparaison chiffrée réalisée dans ce texte référencé met en regard les dépenses publicitaires des candidats avec leurs temps de présence libre à l’écran pour les nécessités de couverture et d’information de leurs campagnes, ce temps étant comptabilisé selon sa valeur publicitaire correspondante. (Ce rapport est complètement favorable aux candidats, mais il faut évidemment noter que la fréquentation et l’audience, qui valorisent le média et attirent d’autres publicités, en profitent notablement.)
• Début avril, Bernie Sanders avait dépensé depuis le début de la campagne $28 millions en annonces publicitaires et avait bénéficié d’un temps d’antenne équivalant à un coût publicitaire de $321 millions.
• Hillary Clinton avait dépensé également $28 millions en annonces publicitaires et avait bénéficié d’un temps d’antenne équivalant à un coût publicitaire de $746 millions.
• Le pire de tous (ce n’est pas une surprise) a été Jeb Bush, éliminé fin janvier, qui avait dépensé $82 millions en annonces publicitaires et avait bénéficié d’un temps d’antenne équivalant à un coût publicitaire de $214 millions.
• Le plus colossal, le plus énoooorme est évidemment The Donald : $10 millions en annonces publicitaires et le bénéfice d’un temps d’antenne équivalant à un coût publicitaire de $1.890 millions.
Le fait est donc que le candidat le plus détesté de la course à la présidence, le plus moqué, le plus méprisé, le plus ridiculisé, celui dont la politique supposée a été et continue à être la plus dénoncée, celui qui se présente comme antiSystème et destructeur du système, insultes et anathèmes à la bouche, enfin celui qui a dépensé le moins d’argent en annonces publicitaires, celui-là écrase tous les autres en heures d’antennes gratuites dans une mesure inimaginable. Obama termina son discours du type « L’adieu au simulacre », vendredi dernier, en apostrophant les journalistes : “Beau travail les gars, vous lui avez offert un tapis rouge en ne parlant que de lui ! »... Il aurait pu dire, BHO, vous lui avez offert la désignation républicaine sur un plat doré constitué d’audiences aux grandes heures d’écoute puisque c’est ainsi qu’on pense dans son milieu et selon ses mœurs où les actes de politique se réduisent à la communication.
Les causes de ce constat général ne sont pas difficiles à déterminer, me semble-t-il. Quoi qu’on imagine de lui, quoi qu’on espère ou qu’on craigne qu’il fasse, The Donald est un personnage énoooorme, pétulant, sortant des insultes mirobolantes, jamais à court d’arguments, vrais ou faux et toujours impératifs, avec une gueule pas croyable, un bagout à ne pas croire, une assurance de lui-même, un discours plein de “you know”, “OK ?” comme s’il vous prenez par la cravate ou par l’épaule … Pour les gens, le vulgum pecus, c’est un délice qui nous change du ragoût habituel parce qu’il dit ce qu’il pense, The Donald, même si ce qu’il pense ne leur plaît pas, et parfois pas du tout.
The Donald est un énoooorme comique, un Coluche à dix-vingt degrés en-dessous pour la finesse, vulgaire et avec une mine impayable, qui se précipita dans la politique comme un éléphant dans un magasin de fausse porcelaine, et qui a proclamé, aux plus grandes heures d’écoute : “Chiche ! Je vais les avoir...” Il les a eus. On n’en finit pas de dérouler ses défauts, les incertitudes qui l’entourent, les incohérences et les contradictions de son discours, – si l’on peut appeler ça un discours. Le seul atout qu’il avait, c’était le plus inattendu, c’était la sincérité. On n’avait jamais vu cela dans le monde du show-business, de l’entertainment, du politically correct, du système de la communication, depuis dix, vingt, trente ans, plus encore, peut-être depuis plus de deux siècles et la fondation de la Grande République.
Janus comme pas deux, le système de la communication sait reconnaître un oiseau rare, une bestiole sans égale quand il en rencontre une. Tous ses serviteurs, les commentateurs, les anchormen et anchorwomen, fidèles archers du Système, tous ces journalistes à la pogne et à la botte, avec les croyances standard-Système, jurèrent bien qu’ils allaient lui faire la peau et avoir son scalp ripoliné quand il apparut qu’il entrait dans la course. Ils ne cesseraient de le montrer et de l’exhiber jusqu’à ce que mort médiatique s’ensuive, d’autant que sa présence faisait grimper l’audience... Ils l’invitèrent tous à toutes les occasions possibles, le filmèrent ici et là, encore et encore, sous tous les angles, mettant en évidence sa permanente, sa super-pin-up de femme (beau brin de dame, au fait), pour mettre à nu sous les yeux du vaste monde le ridicule insupportable du personnage : le démagogue, le raciste, le xénophobe, le maçon si franc qu’il vous annonce la construction d’un mur, tout ce qu’ils prétendaient qu'il était dans le registre de l’ignominie et qui allait se trouver confronté à l’abyssale médiocrité de son ontologie à deux cents. Janus comme pas deux, le système de la communication leur offrit exactement le contraire : le The Donald tout juste plaqué or au départ en est sorti en or massif, désigné candidat républicain par les foules des téléspectateurs et des votants, par les médias qui le montra comme s’il était son favori, par l’establishment qui avait dit qu’il aurait sa peau et qui termina culotte baissée en avance sur l’horaire... Jamais aucun candidat avant lui ne suscita la quasi-unanimité qui est en train de se dessiner après avoir eu une unanimité aussi martiale et vertueuse contre lui ; jamais aucun candidat n'a autant senti la rose après avoir autant pué à l'origine. Drôle de bestiole, drôle de Système, drôle d’époque...
Il me semble, à moi, que l’on est à un point où l’on explore avec délice les limites contradictoires et mortelles du Système... Le système de la communication est un Janus, on le sait bien, mais finalement, dans cette étrange campagne, on finirait par croire qu’il ne l’est plus du tout et qu’il passa tout entier du côté de Trump. Et pourtant, jamais, jamais ils ne détestèrent un candidat à ce point, jamais ils n’exsudèrent autant de haine furieuse. Tout cela, ces contradictions, ces paradoxes, tout cela sent la schizophrénie hallucinée du Système, lorsque l’autodestruction a finalement pris l’avantage sur tout le reste en faisant croire qu’elle est l’ultime étape de la surpuissance du Système. Pour The Donald on verra, mais on admettra qu’il a déjà accompli une belle part de la mission que lui avait confiée le Ciel sans qu’il s’en doute un instant : retourner le Système cul par-dessus tête à l’avantage d’une bestiole se proclamant antiSystème.