Lavrov veut la signature de Blinken

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Lavrov veut la signature de Blinken

• La crise de la guerre de l’Ukraine, ce que nous nommons ‘Ukrisis’ a désormais très largement débordé de la seule Ukraine. • Un des accélérateurs sinon l’accélérateur principal de cet élargissement et de cette diffusion, c’est la puissance du système de la communication. • Ici, c’est l’intervention de cette ‘Ukrisis’ dans les négociations pour une nouvelle version du traité JCPOA (traité nucléaire avec l’Iran). • C’est M.K. Bhadrakumar, un des commentateurs essentiels du moment, qui décrit l’utilisation de ‘Ukrisis’ par les Russes contre les USA.

Deux constats à faire dans le déluge qu’a provoqué la guerre de l’Ukraine, dans tous les domaines :
• Toutes les formes du système de la communication sont affectées, y compris les plus symboliques, qui sembleraient à première vue n’avoir pas d’effets politiques essentiels ;
• des événements politiques sans rapport avec la guerre de l’Ukraine sont affectés, dès lors qu’un des acteurs majeurs (direct ou indirect) de ce conflit est impliqué ;
• il s’agit donc d’une “guerre de communication totale”, qui étend ce caractère de totalité aux autres formes guerrières (par exemple la « guerre économique totale » du ministre français Lemaire qui parle bien vite pour son âge), qui constitue selon l’affirmation déjà avancée plusieurs fois et de plus en plus évidente la véritable “Troisième Guerre mondiale”, la “Troisième Guerre mondiale” ouverte et effective dont les deux protagonistes antagonistes, si l’on veut la considérer de la plus grande hauteur et au plus haut niveau, sont le Système (les globalistes) et l’antiSystème (disons les anti-globalistes), avec des variations de position des acteurs selon les circonstances.

Un exemple est donné par le commentateur et ancien diplomate indien M.K. Bhadrakumar, qui est une référence et un point de ralliement des antiSystème qui passent donc, avec le naufrage absolu de toute la presseSystème et grâce à cette trouvaille libératrice qu’est la censure, de la position marginale de “dissidents” à celle d’antagonistes directs. Nous avons déjà commencé à identifier cette position de Bhadrakumar, ce passage de l’humeur de commentateur avisé mais se voulant très modéré, à celle d’un “spectateur [très] engagé” à l’heure où cet engagement, parce qu’il se manifeste dans le système de la communication, est le plus puissant qu’on puisse concevoir :

« Bhadrakumar, on le sent  derrière son langage clair et très policé, est envahi d’une saine colère, celle qu’éprouve la Sagesse lorsqu’elle croise la Bêtise. Le comportement occidental, le soutien presque illuminée, presque religieux-hystériques apporté à un pouvoir dont la composante nazie est très largement documentée, tout cela commence à susciter des remous considérables, surtout dans des régions qui ont eu à subir de la part du bloc-BAO, à de multiples reprises, cette sorte d’attaques illégales que le susdit-bloc dénonce hystériquement chez les Russes après avoir tant fait pour que cela se produise. »

Dans le texte de M.K. auquel nous nous référons ici, qui porte sur la négociation finale du JCPOA (le traité avec l’Iran portant sur le nucléaire notamment, en cours d’actualisation post-Trump), on trouve un traitement complètement tourné sur un “détail“ qui met aux prises Lavrov et les USA dans la personne de Blinken. Il s’agit, alors que l’on approche du bouclage du texte du nouveau traité, où les Iraniens estiment avoir satisfaction, d’une nouvelle exigence russe concernant l’officialisation solennelle et bilatérale (avec les USA) concernant le commerce, les investissements et la coopération militaire avec l’Iran qui doivent être à nouveau autorisés (pour la Russie, comme pour les autres parties)... Cela (l’exigence russe), parce qu’entretemps sont apparues les énormes sanctions imposées à la Russie dans le cadre de la guerre de l’Ukraine.

« [...L]a Russie a mis en avant une nouvelle exigence à Vienne, à savoir que son commerce, ses investissements et sa coopération militaire avec l'Iran ne seront pas entravés par les sanctions américaines. La Russie demande des garanties écrites à cet égard au plus haut niveau de l'administration Biden. Apparemment, la Russie a formulé cette demande il y a quelques jours.

» Il y a quelques heures dans la soirée, le ministre des affaires étrangères Sergei Lavrov a confirmé cette évolution. Lors d'une conférence de presse à Moscou, Lavrov a expliqué que, dans le contexte des dernières sanctions occidentales, la Russie souhaite obtenir une "réponse très claire" des États-Unis dans le cadre des relations bilatérales entre Moscou et Téhéran et de l’accord sur le nucléaire iranien.

» Selon Lavrov, “nous avons besoin de garanties que ces sanctions n'affecteront en aucun cas les relations commerciales, économiques et d'investissement contenues dans le plan d'action global conjoint pour le programme nucléaire iranien. Nous avons demandé à nos homologues américains, qui font la loi ici, de nous donner des garanties, au moins au niveau du secrétaire d'État, [que] le processus actuel lancé par les États-Unis n’affectera en aucun cas notre droit à une coopération libre et totale avec l'Iran dans les domaines du commerce, de l’économie, des investissements, de la défense et de la technique.” (C’est nous [l’auteur] qui soulignons). »

Lavrov a développé, en explicitant plus encore le cas, une logique ironique qui souligne l’aspect pathétique de la démarche des gens du bloc-BAO emportés dans un extrémisme frisant la démence. On observera combien le côté censé être dirigé par un “fou” (une des analyses psycho-stratégiques les plus prisées par les experts-sachants occidentaux) dissimule avec un bonheur certain, notamment l’usage de l’ironie (« [les US] qui font la loi ici »), l’agitation et l’incohérence qui caractérisent cet état pathologique. Du côté complètement “à l’Ouest” où vogue le bloc-BAO, il y a de quoi “devenir dingue”, selon le citation fameuse d’un des “premiers parmi tous les Français” : l’arme absolue et diabolique des Russes serait-elle de parvenir à complètement dissimuler leur folie jusqu’à penser et agir comme s’ils n’étaient nullement fous mais au contraire pleins de contrôle d’eux-mêmes ? On s’interroge...

« Lavrov a calmement souligné que les sanctions contre la Russie créent un “problème” du point de vue de Moscou. Il a noté avec sarcasme : “Tout aurait été parfait, mais l'avalanche de sanctions agressives qui a déferlé de l'Ouest, – et qui, d'après ce que j'ai compris, n'a pas encore cessé  – exige une compréhension supplémentaire de la part des hommes de loi, avant tout”.

» Lavrov a encore insisté : “Nous voulons une réponse, –  une réponse très claire, – nous avons besoin d'une garantie que ces sanctions [américaines] ne toucheront en aucune façon le régime des relations commerciales, économiques et d’investissement qui est prévu dans le Plan d'action global conjoint”. »

Or, dans cette atmosphère enfiévrée sauf pour les Russes qui ironisent, une personne surtout insiste fiévreusement pour une signature du JCPOA et une rapide mise en application. Il s’agit de rien de moins que le président Biden qui, toute honte bue, achèterait bien une bonne grosse pinte de bon pétrole iranien.

« Mais aujourd'hui, la personne la plus impatiente de conclure l'accord à Vienne n’est autre que le président Joe Biden lui-même. Après avoir fait dérailler la relation énergétique entre la Russie et l'Europe, Biden constate que les prix du gaz s'envolent en Europe et que Washington n'a pas de solution à la grave situation qui se développe. Le prix du gaz sur le marché au comptant a atteint huit fois le prix auquel la Russie fournissait l'Allemagne. (La Russie a annoncé qu'à partir de jeudi, elle a fermé le gazoduc Yamal-Europe, qui est la route principale transportant le gaz vers le marché allemand). »

Comme nous l’explique Bhadrakumar, la situation énergétique est partout catastrophique (sauf en Russie, et par conséquent en Chine). Elle l’est pour les grandes compagnies pétrolières occidentales obligées de quitter la Russie en quatrième vitesse, et y laissant leurs culottes variées, investissements et déploiement technologiques en divers millions/milliards, en euro, en dollars et le reste, – Shell, BP, Exxon-Mobil, Total, etc. Pendant ce temps, le prix du baril monte, monte, monte comme une marée furieuse, vers les premiers embruns de la récession globale... Le reste s’enchaîne dans cette description détaillée de Bhadrakumar, s’attardant aux déboires extraordinaires des sanctionneurs en train de découvrir que la monnaie de leur pièce tend à largement dépasser le montant de la pièce...

« Outre les pertes que subiront ces entreprises [occidentales], qui se chiffrent en dizaines de milliards de dollars, leur retrait mettra à mal la capacité de la Russie à maintenir des niveaux de production aussi élevés et à continuer de respecter ses engagements dans le cadre de l'accord OPEP+. Or, le marché mondial du brut, déjà tendu, – le Brent a dépassé les 115 dollars le baril jeudi en début de séance, – ne peut se permettre de subir les conséquences des sanctions contre la Russie. De toute évidence, les prix du brut ne peuvent qu'augmenter à partir de maintenant. Si le prix du pétrole atteint 125 dollars le baril, l’économie américaine entrera en récession.

» Pour résoudre le problème des prix élevés en Europe, Biden a récemment ravalé sa fierté et a mentionné l'achat de pétrole iranien bon marché comme réponse. Les analystes occidentaux estiment que Biden est d'humeur à apaiser les “faucons iraniens” à Vienne. En d'autres termes, les États-Unis ont désespérément besoin d’un accord énergétique lucratif et de la coopération iranienne à Vienne. Les observateurs israéliens craignent que l’administration Biden n’aille de l'avant en assouplissant ou en levant les restrictions sur les exportations de pétrole iranien sans même signer les accords de Vienne !

» L'une des principales raisons de cette panique est que l'administration Biden est profondément préoccupée par la forte augmentation des prix des carburants aux États-Unis ces derniers temps. Mais d’un autre côté, tout apaisement américain visible envers l'Iran à ce stade critique sera un signe de faiblesse, et Biden fera certainement l'objet de critiques acerbes dans l'opinion publique.

» En effet, Lavrov a pris en compte tous ces développements tout en exigeant qu'Antony Blinken donne “au moins” une garantie écrite. Moscou se venge de la grossièreté de Blinken. Bien sûr, Biden perdra la face s'il cède publiquement. Bien sûr, le plus terrible sera que non seulement cela créera un précédent, mais que cela tournera en dérision la militarisation du dollar par les États-Unis !

» Les Européens doivent eux aussi se demander ce qui se passe. Ils ont sacrifié passivement leurs intérêts personnels vis-à-vis de la Russie sur la base des exigences de Biden ! Nord Stream 2 est abandonné !

» Il s’agit d'une situation sans issue. En effet, le feu vert de la Russie est un impératif pour que l'accord JCPOA soit approuvé dans le cadre de la commission conjointe de l'Iran et du quintette international (Russie, Grande-Bretagne, Allemagne, Chine et France). »

Les sanctions modèle ‘blowback

Bhadrakumar termine son article en mettant en évidence combien les Occidentaux se trouvent d’ores et déjà dans les eaux saumâtres du contrecoup (‘blowback’) des énormes sanctions imposées à la Russie ; par simples logique, on avancera l’hypothèse que ce contrecoup risque d’être “énorme”, et même plus encore... (On attend donc « l’effondrement de l’économie russe » comme on attend Godot.).

On en arrive même à l’hypothèse, d’ores et déjà chuchotée sur un mode assourdissant, que les USA, conduit par un Biden plus américaniste que jamais, pourrait bien être de sonder Moscou pour quelque possibilité d’arrangement ici ou là. Bref, il est temps que les Russes envisagent d’accomplir leur devoir sacré de sortir les États-Unis du marigot catastrophique où ils risquent de sombrer dans cette aventure.

Quant aux Européens ? Dans l’éventualité de l’un ou l’autre néo-modus vivendi de cette sorte, il ne leur reste qu’à regarder le train passer, comme d’habitude sans s’arrêter à la gare où ils l’attendent.

« Il est certain que le contrecoup des sanctions américaines a commencé. Ce n’est bien sûr que le début. Faites confiance à la Russie pour monter de plus en plus haut dans l'échelle de l'escalade. La Russie n'aurait aucune raison concevable de coopérer avec les États-Unis à partir de maintenant. (Voir mon texte du 1er mars 2022)

» Toutefois, si l’on se fie à la chronique des relations russo-américaines, il faut se fier à Biden pour commencer à solliciter Moscou par des voies détournées.

» En fait, en réponse à une question posée lors d'un point de presse à Moscou aujourd’hui soir [5 mars] sur l’état actuel des relations russo-américaines au vu de l'évolution de la situation en Ukraine et de la pression des sanctions, le porte-parole du Kremlin, Dimitri Pechkov, a fait remarquer de manière énigmatique que “nous maintenons certains canaux de dialogue avec les Etats-Unis”. Il n'a pas donné de détails. »

Catastrophe globale

On voit combien le cadre s’élargit, à partir des soubresauts ukrainiens, pendant que les populations européennes, sous la conduite éclairée de leurs dirigeants construisant l’avenir selon la perspective radieuse de la peur à tous les étages et à toutes les étapes, évoluent dans l’aveuglement à la fois imposé et volontaire, le plus complet. On va du traité JCPOA avec l’Iran aux soubresauts de l’américanisme avec l’instabilité extrême de l’attitude de Joe Biden, détestant les effets que peuvent susciter à l’intérieur de son territoire les explosions extérieures, donc victime de ce qui promet d’être selon une paraphrase ironiquement grinçante “les effets dévastateurs des causes qu’ils ont tant chéries”... Encore n’évoque-t-on pas ce que pourraient être les réactions d’Israël, dont le Premier ministre vient de passer à Moscou pour saluer Poutine, si les USA pressaient le pas, éventuellement en lâchant encore un peu de lest en échange de pétrole iranien “bon marché”.

Soubresauts pour soubresauts, nous restons bien dans l’‘Ukrisis’ ukrainienne mais nous nous trouvons d’ores et déjà dans ses conséquences extérieures. C’est un développement sans surprise dans notre jugement et notre prospective automatique, mais néanmoins considérable dans son opérationnalité

Le rythme de l’enchaînement lui-même est donc stupéfiant dans ce qu’il nous dit de la puissance des événements, il est comme ordonné par une main de maître, animé là-haut du côté de l’Olympe ; et en supplément, enchaînement auquel les ‘Master of the Universe’ ne comprennent rien sinon qu’il est impénétrable, et cela les conduisant à songer à l’embrasser pour ne pas être étouffés ; et cela, pire encore, les conduisant à avancer à chaque soubresaut de nouvelles narrative.

L’enchaînement considéré dans toute son ampleur, c’est bien ceci : nous allons sans interruption des catastrophes américanistes de Trump à Biden en passant par la pandémie du wokenisme s’étendant à tout le bloc-BAO, à la crise covidienne gérée de main de masque par des prédateurs fous, avec quelques catastrophiques à-côté comme le fascisme à-la-Trudeau face au ‘Convoy of Freedom’ ; pour nous retrouver avec la guerre de l’Ukraine aux innombrables conséquences déjà en marche ou à venir. Qui ne voit que tout cela est relié par un fil aussi rouge qu’un éruption volcanique ?

En moins allégorique, disons ceci : qui ne voit surtout la croissante internationalisation-globalisation de ces crises qui s’enchaînent ? Leur principal caractère, expliquant cet aspect, c’est leur extrême rapidité de développement et donc de diffusion, à cause de la puissance de la communication qui s’affirme à chaque crise davantage, qui affirme son omnipotence dans la définition de la puissance. Nous tenons là le moteur phénoménal de l’événement caractérisant cette séquence absolument extraordinaire, qui nous fait évidemment penser que nous sommes entrés dans le cœur grondant de la Grande Crise de l’Effondrement du Système. L’on devrait même songer à considérer le système de la communication dans sa puissance et son accélération à la fois comme une sorte de geste divin destiné effectivement à nous faire parvenir à ouvrir la porte vers tous les possibles, jusqu’aux fameux ‘unknown unknowns’ de Rumsfeld.

 

Mis en ligne le 6 mars 2022 à 19H20