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3217Au départ, l’auteur antiSystème fameux John Pilger entendait faire son travail habituel : dénoncer les fauteurs de guerre, ceux qui ont déjà du sang sur les mains et qui prétendent à la pureté. De ce point de vue, Hillary l’emporte si largement sur le bombastique The Donald qu’on peut parler d’une différence de l’ordre de l’ontologie, Clinton étant très évidemment affectée de ce qu’on pourrait désigner, si cela peut se concevoir, une ontologie satanique. Son visage et les expressions dont elle l’anime nous renseignent largement à propos de de ce point de vue, en plus de son palmarès terrestre et massacreur.
C’est ce que Pilger explique et exprime indirectement, en d’autres termes certes, dans son article du 29 mars sur ConsortiumNews, mais il y ajoute, à l’intérieur, une anecdote inédite et du plus haut intérêt. Elle porte sur un texte précédent (du 22 mars), que Pilger présentait à son habituel réseaux de publications, comprenant les habituels grands sites de la presse alternative, ou presse-antiSystème, et plutôt dans le spectre progressiste ou “libéral” dans le sens politique anglo-saxon (ConsortiumNews, CounterPunch, ThruthOut, etc.). Il nous conte l’aventure qui lui est arrivée avec TruthOut.org.
« On March 22 and later, my article, “Start of a New Cold War,” was published across the Web (including at Consortiumnews.com). As has been my practice for years, I syndicated it to an international network, which included Truthout.com, the liberal American website. Truthout publishes some important journalism, not least Dahr Jamail’s outstanding corporate exposes. But Truthout rejected the piece because, said an editor, it had appeared on Counterpunch and had broken “guidelines.” I replied that this had never been a problem over many years and I knew of no guidelines.
» My recalcitrance was then given another meaning. The article was reprieved provided I submitted to a “review” and agreed to changes and deletions made by Truthout’s “editorial committee.” The result was the softening and censoring of my criticism of Hillary Clinton, and the distancing of her from Trump. The following was cut: “Trump is a media hate figure. That alone should arouse our skepticism. Trump’s views on migration are grotesque, but no more grotesque than David Cameron. It is not Trump who is the Great Deporter from the United States, but the Nobel Peace Prize winner Barack Obama … The danger to the rest of us is not Trump, but Hillary Clinton. She is no maverick. She embodies the resilience and violence of a system … As presidential Election Day draws near, Clinton will be hailed as the first female president, regardless of her crimes and lies — just as Barack Obama was lauded as the first black president and liberals swallowed his nonsense about ‘hope.’”
» The “editorial committee” clearly wanted me to water down my argument that Clinton represented a proven extreme danger to the world. Like all censorship, this was unacceptable. Maya Schenwar, who runs Truthout, wrote to me that my unwillingness to submit my work to a “process of revision” meant she had to take it off her “publication docket.” Such is the gatekeeper’s way with words.
» At the root of this episode is an enduring unsayable. This is the need, the compulsion, of many liberals in the United States to embrace a leader from within a system that is demonstrably imperial and violent. Like Obama’s “hope,” Clinton’s gender is no more than a suitable facade. »
Il y a dix ans, une situation pareille était impensable. Pilger était un antiSystème de grand renom, plutôt de gauche, et TruthOut.org la même chose (site antiSystème de grand renom, “plutôt de gauche”). Qu’y a-t-il eu comme changement pour qu’on en arrive à de telles pratiques de la part de TruthOut.com à l’encontre de Pilger, qui renvoient à la censure la plus primaire, la plus sordide, au caviardage de la presse-Système la plus vulgaire, ou des organes idéologiques les plus totalitaires ? A notre sens, c’est la “révolution sociétale” qui est passée par là, c’est-à-dire l’incursion absolument dévastatrice des “valeurs” sociétales, à fondements moraux selon une dialectique de communication qui place la morale, – c’est-à-dire, dans les conditions actuelles de communication, le domaine de la manipulation et de l’affectivisme, – au-dessus de la politique, de la métahistoire, de la distinction entre les principes structurants et les valeurs déstructurantes, de l’identification de l’“ennemi principal” par rapport aux adversaires accessoires, etc.
Les “valeurs” sociétales, ce sont ces “valeurs” qui engagent la vie et l'organisation de la société dans ses moeurs et sa culture, pourtant construite par la volonté de la modernité sur des conceptions totalement matérialistes ayant comme principal véhicule le pouvoir de l’argent ; “valeurs” type multiculturalisme et immigration, féminisme, homosexualité et LGBT, toutes les variantes sans nombre de l’antiracisme jusqu’à des racismes inversés, etc., tout un arsenal divers de type sociétal si puissant et si homogène qu’on peut parler d’une “doctrine des valeurs”. Pilger le dit clairement : c’est parce qu’Obama est un Africain-Américain qu’il est presque sacrilège, pour une partie de l’antiSystème de gauche de le mettre en cause, y compris par le biais de sa politique ; c’est parce que Clinton est un(e) sapiens du genre féminin qu’il est impératif, pour les mêmes, de ne rien écrire contre elle et de la soutenir aveuglément. Pourtant, les deux personnages sont, dans leurs générations, les plus totalement corrompus du point de vue psychologique, les plus soumis au Système en épousant justement cet artifice des “valeurs” qui permet d’ôter à une partie de l’antiSystème sa capacité de résistance, les plus actifs (surtout Clinton, avec son caractère hystérique) dans la défense de la politique-Système à finalité déstructurante-dissolvante conduisant à l’entropisation. Il est d’ailleurs maintenant largement évident que le Système, et notamment le Corporate Power, utilise à fond cette “doctrine des valeurs” pour étendre son empire, ce qui place donc cette portion d’antiSystème en position d’auxiliaire efficace du Système (les “idiots utiles” de la postmodernité).
Pour autant, cela ne signifie nullement qu’un transfert massif de forces en faveur du Système a eu lieu, loin de là. D’abord, cette capitulation des antiSystème partisans de la “doctrine des valeurs” est loin d’être unanime. Il y a de nombreux exemples d’antiSystème ancrés dans une résistance féroce contre le Système qui appartiennent aux catégories des “valeurs” mais placent la lutte contre le système au-dessus de la “doctrine des valeurs” (par exemple, Justin Raimondo, de Antiwar.com, ou Glenn Greenwald, de Intercept, sont des homosexuels notoires). D’autre part, des partisans historiques de facto du Système, de gauche ou de droite, qui se sont retrouvés adversaires de la “doctrine des valeurs”, tendent naturellement, dès lors que cette opposition est devenue fondamentale au point de dépasser le combat en faveur du Système, à devenir des activistes antiSystème même s’ils ne se reconnaissent pas toujours comme tels.
Cette confusion des positions, plutôt qu’un simple changement de rapport des forces, participe à sa manière à la transformation générale de la situation, d’une situation générale plutôt de désordre à une situation générale presque complètement de chaos. La situation de désordre implique, pour le cas que nous envisageons, que tous les éléments ne sont pas entrés dans la bataille en devant choisir nécessairement entre plusieurs tendances contradictoires qu’ils ont en eux tout en en restant cohérent avec eux-mêmes. La situation de chaos implique qu’il s’agit, pour chacun et pour tous désormais, de faire des choix entre des tendances antagonistes qu’ils ont entre eux, en jugeant et en choisissant ce qu’ils estiment être l’“ennemi principal”, quitte à se retrouver aux côtés de certains qui étaient, dans la situation précédente (désordre), des adversaires. Le désordre touche le rangement des grandes tendances qui s’opposent selon des lignes politiques souvent contradictoires ou inattendues, sans pour cela que les forces engagées sacrifient leurs orientations fondamentales, ce qui permet à certaines tendances de conserver pour elle-même quelque chose de leur ancienne idéologie dans le désordre ; le chaos suppose que même ces forces engagées sont soumises à des désordres internes devant mener à des choix difficiles et parfois paradoxaux. Le désordre devenu hyperdésordre se transforme effectivement en chaos.
Cette question de la “doctrine des valeurs” contre l’antiSystème placée dans le contexte de l’évolution désordre/hyperdésordre vers le chaos n’est certainement pas la cause principale du processus, mais elle en est à la fois une cause annexe importante, et en même temps une conséquence dans l’accélération du rôle qu’elle joue. Nous devons parallèlement aborder d’une façon beaucoup plus fondamentale cette évolution essentielle que nous devons observer dans toute sa puissance théorique et opérationnelle. Ce passage au chaos représente une phase cruciale et décisive de notre Grande Crise Générale.
Mis en ligne le 1er avril 2016 à 10H51
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