L’‘Abrams’ et l' allumette à chenilles

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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L’‘Abrams’ et l' allumette à chenilles

25 septembre 2023 (10H50) – Que faut-il faire de cela, lorsque vous le recueillez dans les lectures courantes : le chef du renseignement militaire ukrainien (GRU, comme son compère russe), le Général Kyrylo Boudanov, parlant des ‘Abrams’ promis à l’Ukraine par les arsenaux de l’US Army, avertit les lecteurs du journal intervieweur qu’il faudra faire très attention, le protéger des mines, des obus et autres méchancetés destructrices tirées par les Russes parce qu’il s’agit d’un char fragile, – non, d’ailleurs, fragile et précieux, un monstre de 70 tonnes qui crame comme une allumette dès qu’on lui cherche des noises. Donc, on l’expose pas aux agressions de la guerre.

Inutile de vous dire que RT.com (« Le chef des espions ukrainiens lance un avertissement concernant le char de fabrication américaine ») et ‘SputnikNews’ (« Le chef du renseignement ukrainien met en garde contre les chars US Abrams bientôt livrés à Kiev ») se sont précipité dessus. Ce n’est pas inventé : cela se passait dans une chambre d’hôtel de Washington D.C., pendant que Zelenski visitait Biden et le Congrès. Le journal intervieweur était le site spécialisé en choses guerrières, – gros avantage aux Etats-Unis, littérature abondante et lectorat empressé où l’on ne goûte rien de plus que les perspectives guerrières et les chevauchées blindées. Il s’agit de ‘War Zone, tel est son nom et c’est certainement une bien-nommée publication, et la date de l’article est du 22 septembre 2023.

Je donne ici un extrait de l’interview, deux questions-réponses, et ces quelques mots sur le M1A1 américaniste dont on découvre l’extrême préciosité :

The War Zone’ : « Compte tenu de cela, ces 31 chars Abrams destinés à l'Ukraine... »

Kyrylo Boudanov : « Nous sommes impatients de les voir. Nous ne les avons pas encore vus. »

The War Zone’ : « Ces chars feront-ils la différence compte tenu de tous ces facteurs et de la difficulté de manœuvrer dans la boue ? »

Kyrylo Boudanov : « Ils doivent être utilisés de manière très ciblée, dans le cadre d'opérations très spécifiques et bien conçues, car s'ils sont utilisés sur la ligne de front, dans le cadre d'un combat d'armes combinées, ils ne resteront pas longtemps sur le champ de bataille. Ils doivent être utilisés dans ces opérations de percée, mais très bien préparés. »

Mon impression, voyez-vous, est assez enrichie par les photos en gros plan du visage lisse de Boudanov, cravaté et costumé contrairement à l’habitude du port de la tenue de combat (il a jugé sans doute que Washington vaut bien un costume-cravate). On y distingue les marques à peine dissimulées de la satisfaction de soi du type un peu sous-fifre qui a monté en grade comme démarre une fusée ‘Vostok’ ou une fusée ‘Saturn’ (pas de jaloux) ; on l’entend  se moquer par ricanements divers et grand mépris des Russes qui sont en train de hacher menue les brigades ukrainiennes, comme un type terriblement responsable de ses propres intérêts en ces temps de tempête, et maître de lui comme de sa narrative... Ainsi arrivai-je au bout de mon examen approximatif du personnage par l’impression qu’il est tout entier habité d’une super-consigne yankee devant laquelle on s’incline.

Il lui a été enjoint, peut-être par Mister Z lui-même, de ne rien faire, rien du tout qui fasse peur au Pentagone, ou à la Maison-Blanche, ou au Congrès, ou à l’exquise sensibilité du système de l’américanisme à l’immense qualité, au-dessus de tout soupçon, de sa ferraille guerrière et de ses casseroles chenillées. Pour cela et pour l’‘Abrams’ dont l’image doit sortir de la bataille fortifiée et enluminée, il faut donc :

1). Dire que l’‘Abrams’ est le meilleur char du monde et de ses dépendances ; 

2). Dire qu’il n’ira surtout pas en première ligne parce qu’on ne gaspille pas ce qu’on a de meilleur, donc qu’on lui évitera les tracas du combat avec les méchants ;

3). Dire, d’un ton satisfait et en clignant de l’œil pour saluer l’habileté de la manœuvre, que c’est pour cette raison qu’il ne faut pas abîmer ce bijou comme l’on fit de ces merdes de ‘Leopard’ et autres ‘Challenger’ ; que c’est pour cette raison qu’on gardera le fantastique ‘Abrams’ en réserve décisive pour la percée qui n’aura jamais lieu ;

4). Et conclure pour solde de tous comptes, d’un clin d’œil satisfait, qu’après on le rendra au Pentagone pour qu’il le vende aux acheteurs qui font la queue.

Tout cela est dans la tête bien pleine du Général Boudanov, qui connaît les règles du jeu de l’acteur-président. Il raconte avec un ricanement gaillard comment certains drones qu’on connaît bien ont réussi à frapper Moscou en plein cœur parce que les Russes, sous-humains lâches et terrifiés par les frappes ukrainiennes comme ils le furent par la 14ème division SS ‘Galicia’ qui est l’occasion d’une standing ovation au démocratique Parlement du Canada, ont transporté toute leur défense aérienne sur la ligne Sourovikine.

Note de PhG-Bis : « Voyez-vous cette ligne de vie et de conduite similaire, entre le Canada du mignon Trudeau, le guerrier Zelenski filmé dans son uniforme de salut martial au Parlement saluant la division ‘Galicia’, le GRU ukrainien et ses contingents de voyous des rues et l’ ‘Abrams’ du Pentagone néo-nazi ? Moi, je la distingue, fil rouge palpitant de nos simulacres wagnériens...Nous ne sommes pas au bout de nos surprises. »

... Tout cela, tant il est vrai qu’il est actuellement grandement à l’honneur de développer de grands questionnements sur les capacités américanistes-occidentalistes du roi du champ de bataille, nos chars d’attaque et d’assaut à propos desquels de grands doutes nous frôlent, comme autant de spectres venus des grands cimetières sous la Lune : “Miroir, dis-moi miroir, ne suis-je pas le plus glorieux et le plus fulgurant conquérant comme, avant moi, le furent les Guderian et les Rommel ?” Il sera reconnu au ravissant Trudeau et au salut fait à la division SS ‘Galicea’ le courage globaliste d’avoir remis en perspective ces grandes envolées que les Russes nous avaient cachées.

Car enfin, que dire de telles nouvelles, – mais évidemment, c’est du ‘SputnikNews’ russe, hein bon,– qui mettent en doute notre brio conquérant et nos valeurs technologiques et guerrières, – bien que citant des travaux académiques venus de chez nous :

« Comme le notent les auteurs de la publication, l'armée russe a réussi à transformer les blindés occidentaux en débris fumants, grâce à ses unités antichars du modèle Kornet.

» Selon les journalistes, les États-Unis ont longtemps hésité à envoyer des M1A1 Abrams en Ukraine parce qu'ils craignaient des pertes massives de ces véhicules sur le champ de bataille, ce qui aurait pu faire perdre la face au complexe militaro-industriel américain, ternissant ainsi son image tant vantée.

» Les forces armées ukrainiennes ont déjà perdu un certain nombre de chars allemands Leopard 2A6 et de chars britanniques Challenger 2, même si les experts estiment qu'ils sont plus aptes à résister au combat que leurs homologues américains. »

Ou bien, ceci, mais toujours cette même saleté douteuse de diabolique source :

« L'Ukraine perd "beaucoup" de véhicules blindés occidentaux Stryker et Marder à Zaporozhye – Médias »

Je prévois donc un grand vent de folie et de terreur chez les industriels du Complexe et les généraux à la retraite bien payée des plateaux-TV, lorsqu’il faudra nous expliquer qu’avec 1 500 $milliards par an (comptabilité officieuse et réaliste) gloutonnement avalés par le Pentagone, on en arrive à de telles perspectives, entre chars invincibles qui brûlent comme des allumettes et plans de contre-offensive égaré dans la boue de l’automne précoce et ukrainien.

La véritable guerre en Ukraine vient donc de commencer à Washington, entre experts ou avec la coopération des experts. Si l’on faire dans l’analogie sophistiquée, on dira que cette bataille, infiniment plus importante que celle d’Ukraine, est une sorte de réplique du film de Spielberg ‘Il faut sauver le soldat Ryan’. Nous dirions donc alors, comme symbole de la bataille de Washington : “Il faut sauver le char de combat ‘Abrams’”. La tâche est herculéenne mais le destin de la civilisation en dépend.

Heureusement et en attendant, il nous reste le F-35. Je me souviens d’un tweet-X de ces derniers jours, qui disait à peu près ceci que j’aurais pu écrire après tout, à propos de ce F-35B des Marines qui avait joué la fille de l’air avant de se planter comme n’importe quel zinc bien né et de bonne réputation :

« Bon sang, mais c’est bien vrai ! Qui a dit que le F-35 ne vole pas ? Il a continué à voler longtemps, tout seul comme un grand, sans pilote à bord puisque le brave homme s’était éjecté, et tellement bien furtif que personne n’est arrivé à le localiser ! »

Je vous le dis, toute cette quincaillerie est trop précieuse pour être envoyé au combat où tout le monde est un peu sale chez les sous-hommes des tranchées. Je veux qu’elle reste, briquée, nettoyée, flambant neuve, exposée au regards jaloux des susdits sous-hommes comme autant de merveilles produites par notre ‘fucking’ glorieuse civilisation, qui n’ont nul besoin de se salir à la guerre pour montrer qu’eux seuls règnent sur le champ de bataille... Prix défiant toute concurrence, ‘fuck’ !