La sinueuse parabole syrienne et néanmoins démente

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La sinueuse parabole syrienne et néanmoins démente

Juste un petit coup d’œil même pas soupçonneux sur quelques événements syriens, ou pseudo-syriens, durant la semaine dernière. On y retrouve les traces d’une démence furieuse ou d’une folie douce c’est selon, tout cela développé sans troubler apparemment quiconque. L’attention est à la fois religieuse et respectueuse et les commentaires se gardent bien de confronter les réactions contradictoires d’autorités qui sont pourtant en contacts constants et ne cessent de protester de leur amitié, de leur compréhension et de leur unité de vue ; “stratégie de la démence” dirait Loukianov, expliquant du Poutine dans le texte. Tout cela se concentre autour de la fameuse affaire de l’armement chimique sans doute, et même certainement, utilisé à Alep la semaine dernière…

• Mais d’abord une mise en bouche… Voici donc le président Barack Obama, sur la fin de sa tournée moyenne-orientale, qui fait une très rapide escale en Jordanie. Il prononce un discours où il arrive à dire successivement qu’une Syrie post-Assad risquerait fort d’être “un paradis pour les extrémistes“ qu’on trouve parmi les rebelles, en grand nombre et en position de force ; qu’il importe pourtant d’applaudir à la politique US de soutien aux rebelles, où l’on trouve en grand nombre et en position de force les susdits extrémistes. Jason Ditz, de Antiwar.com, nous résume cela le 22 mars 2013, citant successivement à propos de ce discours le Washington Post du 22 mars 2013 (“la Syrie post-Assad, paradis des extrémistes parmi les rebelles”) et le Los Angeles Times du 22 mars 2013 (“la politique US de soutien aux rebelles est bonne”)…

«Speaking today in Jordan, President Obama warned that a post-Assad Syria could be a “chilling scenario” where Islamist factions within the rebel movements thrived in a power vacuum, transforming the nation into a “enclave for extremism.” Though Obama expressed reservations about this future, he still expressed confidence Syrian President Assad would eventually fall, and defended the US policy…»

Et Ditz de terminer sur cette note à la fois un peu gênée pour son sujet, mélancolique en songeant au temps passé où l’on cultivait la cohérence au moins dans le même discours ; et son explication semble un peu courte pour expliquer un discours où l’on dit une chose à un paragraphe, et où l’on applaudit à son contraire au paragraphe suivant : «This sort of disconnect in policy speeches is nothing new, and the pro-regime change crowd remains a force to be reckoned with in the US, particularly in the Senate, meaning even if the administration is getting cold feet they have to give lip-service to the old policy, for now.»

• Cette entrée en matière introduit la saga du système de la communication entourant ce qui était décrit comme une attaque chimique ayant fait au moins 25 ou 26 morts à Alep, en Syrie. A côté et autour de cet événement tragique s’affrontent les diverses tendances et appréciations, qui expriment d’abord les positions des différents acteurs, parfois dans un ordre dispersé, souvent dans un ordre paradoxal. L’une des premières réactions du gouvernement US a été de tendre à dénier qu’il y ait eu une attaque. (Voir à nouveau Jason Ditz, de Antiwar.com, le 19 mars 2013 : «But was there a chemical weapons attack at all? That’s not clear. The Obama Administration says they have seen “no immediate evidence” that any chemical weapons were used, though they did say they are investigating it.») Cette réaction, qui s’est prolongée pendant deux jours, avant de passer la patate chaude à l’ONU ordonnant une enquête, met en évidence la réticence extrême de la Maison-Blanche, la crainte de se laisser entraîner dans une situation potentiellement explosive, où les pressions l’obligeraient à envisager la possibilité d’une intervention… On constate la même fragmentation des pouvoirs à Washington curieusement et joliment exprimée, et assumée avec une grande tranquillité, avec la contradiction à l’intérieur du discours d’Obama en Jordanie ; cette fois, il s’agit de l’opposition frontale et criante à la position de la Maison-Blanche, avec la position de la puissante commission du renseignement du Sénat, républicains et démocrates d’accord, ci-après…

• Au contraire en effet, le Congrès (la Commission du renseignement) affirmait parallèlement que cette attaque avait bien eu lieu, que Assad était à la fois probablement et évidemment le coupable, qu’il convenait donc bel et bien d’attaquer la Syrie, tout cela à partir de renseignement “hautement secrets” dont la Maison-Blanche semblait ainsi n’avoir pas disposé. C’est tout juste si les imposants sénateurs ne nous indiquaient pas le lieu et l’heure de l’attaque, et le délai pour nous conduire à l’inévitable victoire US assortie des inévitables chute et trépas, d’ores et déjà imminents depuis deux ans, de l’“effroyable dictateur” Assad… (Toujours Jason Ditz, toujours Antwar.com le 20 mars 2013.)

«The case is closed for the Intelligence Committee chairs of both House and Senate, however, who each cited “highly classified” evidence that it was “probable” that the attack had taken place. Rep. Mike Rogers (R – MI), the House chair, says that since President Obama threatened to attack Syria if they used a chemical weapon, he is obliged to do so without waiting for the investigation, saying a failure to invade would be a “stain on our national character.” Sen. Dianne Feinstein (D – CA), his Senate counterpart, said essentially the same, noting that if the attack were confirmed it would mean Syria crossed the “red line” President Obama set up.»

• Trois jours plus tard, le Daily Telegraph donnait la parole au journaliste Alex Thompson, l’un des reporteurs vedettes de la chaîne télévisée Channel 4, et l’un des meilleurs correspondants britanniques (occidentaux) en Syrie depuis le début des troubles il y près de deux ans. (Le 23 mars 2013.) Thompson commence son texte par nous informer à propos de l’enquête décidée par les Nations-Unies concernant l’attaque d’Alep. Il met en évidence ce fait peu ordinaire d’une unité de satisfaction hautement proclamée par une sorte d’axe constitué pour la circonstance, inattendu et assez abracadabrantesque doit-on remarquer, Damas-Moscou-Washington, concernant cette enquête demandée, là aussi d’une façon fort peu ordinaire, par la Syrie elle-même.

«Whatever happened last week in the town of Khan al-Assal, west of Aleppo, it achieved something extraordinary in the Syrian civil war: unity among Washington, Moscow and Damascus. All welcomed the rapid decision by Ban Ki-moon, the United Nations secretary-general, to investigate an alleged chemical attack that reportedly killed 26, including Syrian soldiers.

»Unusually, the request for that investigation came from the Syrian regime, which claimed that Islamic jihadist rebels launched a chemical weapons attack. Since then, precious little evidence in any way has come from the area despite an awful lot of diplomatic noise around the world.»

• …Le reste du texte de Thompson dans le Daily Telegraph concerne une description des circonstances et des conditions de l’attaque, à partir d’une enquête et d’un témoignage précis de lui-même, sur place. Pour Thompson, les faits disponibles actuellement désignent le groupe islamiste Al-Nura comme le responsable de l’attaque, sans guère de doute pour lui. Il faut noter que Thompson n’est pas particulièrement pro-Assad, et que le Daily Telegraph l’est encore moins, ayant montré plutôt la tendance habituelle de la presse-Système pour l’invective anti-Assad systématique. La description que fait Thompson de l’attaque en est ainsi d’autant plus significative, et pour l’attaque elle-même, et pour les réactions quasiment pavloviennes anti-Assad qu’on trouve dans nombre d’institutions et de milieux des directions politiques du bloc BAO. Nous empruntons à son blog (sur le site de Channel 4), la description que fait Alex Thompson, le 23 mars 2013, de l’attaque chimique d’Alep du 17 mars. (Ce sont bien entendu les mêmes éléments qu’on retrouve dans son article du Daily Telegraph.)

«What follows amounts to Syria’s version of events in the attack near Aleppo on Tuesday in which 26 people died in unexplained circumstances. It comes from three senior medical and military sources in Damascus and in the Aleppo area. All wish to remain anonymous. It is the government version of events but it conforms to the few undisputed facts of the case: the low number of causalities for an alleged chemical attack; the fact that the UN took Syria’s complaint seriously and acted upon it and the fact that Syrian soldiers are among the fatalities.

»Damascus says it has conducted tests on the Victim’s blood samples and also soil samples and the rocket debris itself. It says the results have already been sent to the UN team investigating. I am told the Syrian officials have also supplied the phone numbers of the doctors who treated the victims to the UN and has vow to co-operate fully with the UN investigation which is now underway.

»Syria believes the chemical involved was a relatively small amount of chlorine gas, namely CL17 which was dissolved into saline solution in a home-made rocket. Two separate military sources have confirmed to Channel 4 News that it was a rocket and not a shell. Syrian sources say the missile was fired from an area close to Al-Bab which they say has been in the control of the Islamist group Al-Nusra Front for some time and that it hit a military checkpoint on the edge of Khan al-Assal to the west of Aleppo.

»Chlorine is ranked Tier 2 on the international classification of banned chemical weapons. That is, it is a known chemical agent capable of being weaponised and producing harmful effects but due to the way it vapourises and the toxicity involved, it is not considered a weapon of mass casualty effect in the way that Tier 1 chemicals such as sarin would be. It is known that Iraqi forces experimented extensively with chlorine before deciding against it for these very reasons. It is obviously easily available being widely used as a chemical in industrial sectors as well as for keeping swimming pools clean. There is also (and this my prove a telling detail) a chlorine factory just to the east of Aleppo.

»All in all weapons experts would consider chlorine as a not particularly effective chemical weapon in terms of effect, but one ideally suited to home-made weaponising because of factors like its stability and availability. In short the kind of device that conventional armies would not be interested in, but a militia group might just be. The area it hit, Khan al-Assal, has been in government hands since 17 March in an area where control often changes hands rapidly between the rebels and the Syrian Army.

»All sources we have spoken to say there is a pattern of victims suffering a variety of respiratory complaints from mild breathing difficulty, through fainting and vomiting to loss of consciousness and death. In most cases there were no signs of any conventional blast injuries in terms of external lacerations, burns or fractures, they say. Quite simply, one medical source connected to the hospital in Khan al-Assal said he has never seen anything like it.

»Let me stress again this is a war. All sides tell lies. I do not say any of this is credible or otherwise. But I do say that whatever Syria told the UN, the UN certainly found it credible enough to investigate. It is the most detailed account yet of what the Syrians believe happened.»

• Pour terminer, cédons à la plume à la doublette franco-britannique Fabius-Hague. Ils représentent l’effet ultime, où l’inversion semble avoir son mot définitif à dire, des deux diplomaties réputées parmi les plus fines, les plus sophistiquées, les plus aptes aux compromis et aux arrangements habiles, dans l’histoire des nations civilisées. La lettre écrite par Fabius-Hague semble flotter dans une sorte d’éther à part, à la lumière des événements que nous venons de passer rapidement en revue, – mais un “éther à part” où ils sont en bonne compagnie, avec l'hystérique Congrès des Etats-Unis. Elle est adressée à Lady Ashton. Dans un commentaire radio sur l’enquête ouverte par l’ONU, Fabius a fait une déclaration qu’on peut résumer en substance de la sorte : “L’ONU va ouvrir une enquête pour déterminer si, comme c’est probablement assuré et sans aucun doute tout à fait certain, les forces du régime Assad ont utilisé des armes chimiques, et comment…” La lettre (Reuters, via Le Point.fr le 22 mars 2013) va bien entendu dans cette même direction, qui est celle du triomphe de la lucidité et de l’intelligence.

«Les chefs de la diplomatie française et britannique s'inquiètent de voir le président Bachar al Assad recourir à des armes chimiques dans le conflit syrien, dans une lettre adressée à la porte-parole de la diplomatie européenne, Catherine Ashton. “Nous sommes de plus en plus préoccupés par la possibilité de voir le régime utiliser des armes chimiques”, écrivent Laurent Fabius et William Hague dans ce courrier daté du 21 mars.»


Mis en ligne le 25 mars 2013 à 05H46

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